La politique et la langue française

L’altération du langage public amène à s’interroger sur son pendant, le « non-dit déjà-pensé », les idées toutes faites, la vérité unique, le dogme, qui en constituent le fondement et dont ce langage est la révélation.

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La politique et la langue française

Publié le 15 août 2018
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Par Thierry Godefridi.

Dans un pamphlet paru en 1945, Politics and the English Language, George Orwell (La ferme des animaux, 1984…), qui en plus d’écrivain était journaliste, écrivit :

À notre époque, il n’y a pas moyen de rester à l’écart de la politique. Les débats sont tous de nature politique, et la politique elle-même est un amas de mensonges, de dérobades, de folie, de haine et de schizophrénie. […] Le grand ennemi d’un langage clair est le manque de sincérité.

Revenons-en à l’essai d’Ingrid Riocreux, qui faisait l’objet de l’article précédent, sur l’altération de la langue française et la fabrication du consentement et, en particulier, à son chapitre sur les « Dits et non-dits du discours médiatique ».

D’après Ingrid Riocreux, les médias désignent les individus de deux manières, soit l’auto-désignation (ils les appellent comme ils se désignent eux-mêmes), soit une désignation idéologique (ils les appellent comme ils se les représentent).

Comme exemple de l’auto-désignation, elle cite celui des fidèles de Mahomet, désignés autrefois les mahométans, adeptes du mahométisme (tout comme les disciples du Christ, les chrétiens, pratiquant le christianisme). Désormais, on ne parle plus de mahométisme mais d’islam (c’est-à-dire soumission à Dieu), ni de mahométans mais de musulmans (les soumis à Dieu). N’est-il pas étonnant, que, dans une société laïque, voire athée, l’existence de Dieu soit ainsi implicitement admise dans le langage public ?

À titre d’exemple parmi d’autres de désignation idéologique, Ingrid Riocreux cite le mot « nazi ». À l’origine, c’était ainsi que les adversaires du Nazional Sozialismus désignaient ce parti. Employer ce mot ou son dérivé « nazisme », c’est nécessairement ne pas parler « du » nazisme mais parler contre le nazisme. Quand un parti d’opposition de gauche diffuse un montage photographique du secrétaire d’État belge à l’asile et aux migrations affublé d’un costume d’officier nazi, le sens du message n’échappe à personne.

Si ce n’était abject, ce serait amusant, dans la mesure où ceux qui recourent à cette image ignorent ou feignent d’ignorer ce que le terme « nazi » abrège, à savoir Nazional Sozialismus, littéralement « national-socialisme » ou l’adjectif se plaçant en français après le nom qu’il modifie, « socialisme national ». D’« extrême droite », le parti d’Hitler, comme a voulu le faire accroire la propagande communiste ?

Ingrid Riocreux écrit :

Mais on n’en est pas encore à considérer que les deux grands totalitarismes du XXe siècle sont portés par une idéologie de gauche et se distinguent essentiellement par une différence d’échelle : l’un étant un socialisme national, quand l’autre se veut international.

C’est un aspect dont Drieu Godefridi traite dans La passion de l’égalité, son essai sur le socialisme1.)

Viendra peut-être un temps où l’on dénoncera les crimes abominables commis par les « cocos » de la même manière que l’on dénonce ceux commis par les « nazis », les termes « nazis » et « cocos » participant d’une même démarche lexicale à connotation péjorative à l’égard de courants de pensée qui partagent plus que des affinités idéologiques. Si l’usage de « nazisme » a fini par faire oublier le socialisme national, celui de « coco », par contre, continue de pointer directement vers son référent, ce qui gêne ceux qui persistent à préconiser le Grand Soir comme seul moyen de sauver l’Homme et l’Humanité.

L’altération du langage public amène à s’interroger sur son pendant, le « non-dit déjà-pensé », les idées toutes faites, la vérité unique, le dogme, qui en constituent le fondement et dont ce langage est la révélation. Qu’est-ce que ce fatras de croyances et de convictions que l’on nomme communément le « politiquement correct » et qui touchent tous les domaines susceptibles de faire l’objet d’un parti pris idéologique, comme l’Europe, l’immigration, la religion, l’avortement, l’euthanasie, l’écologie, la théorie du genre, l’école ?

Ingrid Riocreux le définit comme le « consensus de semi-vérités » présentées comme des évidences et destinées à souder la société qui, étant une construction artificielle, se sert de vérités artificielles, c’est-à-dire de mensonges, des « idées en vogue chez les puissants » (le « rapport de forces comme fondement du juste »), comme lieux communs dans l’espace public.

Sans doute la classe disposant du pouvoir politique considère-t-elle qu’il est plus facile de contrôler une société d’idiots que de gouverner un peuple intelligent. C’est un mauvais calcul, prévient Ingrid Riocreux, car « l’illettrisme engendre la violence » (comme moyen d’expression et, pire, de pensée), « et l’insécurité appelle la tyrannie ».


Sur le web

  1. La passion de l’égalité, Essai sur la civilisation socialiste, Drieu Godefridi, Texquis (Bruxelles).
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  • Viaduc effondré à Gênes, le journaliste du figÂrO commente :
    Matteo Salvini et son gouvernement “hors système”.
    ah bon, il y avait un système, mais lequel ? Et nous, sommes-nous toujours, espérons le, dans le système ?

  • Magnifique! J’adhère complètement.
    Je rajouterais que l’Education Nationale avec Bel Kacem et Blanquer ne fait que fabriquer des idiots utiles aux puissants y compris les ingénieurs qui s’ils connaissent bien leur métier, n’ont pas reçu la culture suffisante pour avoir un esprit critique et donc ne sont que des pantins ou des marionnettes du pouvoir même s’ils sont persuadés du contraire.
    De nombreux livres font état de ce fait, F X Bellamy “Les dshérités ou l’urgence de transmettre”, B Levet “Le crépuscule des idoles progressistes”, N Polony “Bienvenue dans le pire des mondes”, C Guilluy ‘Le crépuscule de la France d’en haut”, A Coffinier, Orwell “1984”, Huxeley “Le meilleur des mondes”, etc…

  • 2ème loi de la thermodynamique:

    L’entropie ‘S’ (le chaos) d’un système isolé ne peut qu’augmenter.

    L’augmentation du chaos ‘S’ est une manifestation de la dispersion de l’énergie (sous toutes ses formes) dans l’ensemble du volume accessible.

  • “je suis un défenseur de l’environnement car je milite pour greenpeace.”..

    • si on remettait les charrues devant les boeufs et qu’on se demandait si ce propose greenpeace (ou toute assoc autoproclamée écolo) aboutit à un meilleur environnement?

    • Greenpeace n’est qu’une mafia qui a besoin d’argent pour payer les 3.000 personnes qui en vivent. D’où ses actions médiatiques car il lui faut convaincre les gens d’envoyer de l’argent !

      • En 1985, c’est le contribuable qui a envoyé des millions de francs pour le Rainbow Warrior. L’argent a fini sur un compte dans un paradis dit fiscal.

      • @ Virgile
        À la différence près que “maffia” est ici un terme aussi mal utilisé que “nazi” ou “coco” dans les exemples de l’article, erreur contreproductive.

        • Il y plusieurs définitions de “mafia”:

          1: Association secrète d’origine sicilienne servant des intérêts privés par des moyens illicites et recourant à la violence.
          – Effectivement, cela ne colle pas complètement avec Greenpeace qui n’est pas “secrète” ni “d’origine sicilienne” 🙂

          2. Groupe d’intérêt occulte.
          Voilà qui colle mieux…

  • Et que dire du terme « Ghetto »

    Ceux qui ont été enfermés dans des ghettos ne pouvaient sortir, à la différence d’une forteresse où l’on n’empêche toute personne étrangère d’entrer.

    Le sens de ces mots semble différent de nos jours….

    A propos de George Orwell,
    Il nous rappeler ceci :
    Un peuple qui élit des corrompus,
    des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres,
    n’est pas victime : il est complice…

    Merci à l’auteur pour cet article

    • Orwell n’a fait que nous rappeler ce que Confucius* dénonçait déjà : le langage est une arme de destruction massive .
      L’électeur, complice involontaire, en est bien victime lorsqu’il est soumis depuis son plus jeune âge à l’aliénation d’un système
      rééducatif capturé par les pouvoirs en place.

      *“Lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté”.

  • TB ! Étant un missionnaire du libéralisme (et de la francophonie ce qui paraît contradictoire à bien des libéraux, qui oublient les défauts du monopole), je porte la discussion dans des milieux qui ne le sont pas, mais en m’exprimant modérément (voiryvesmontenay.fr), sinon je ne serai pas lu. Mais même cette expression modérée butte sur des réflexes pavloviens : les mots libéral, marché, privé déclenche des réactions bloquantes qui n’ont rien à voir avec le sujet abordé. Idem en sens inverse pour inégalités, syndicats, fonctionnaires. Le sens précis disparaît devant la connotation supposée.

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