Formation professionnelle : Pénicaud malheureusement loin du compte

Les projets de Muriel Pénicaud en matière de formation professionnelle sont-ils à la hauteur des problématiques actuelles de l’emploi ? On peut craindre le contraire.

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Formation professionnelle : Pénicaud malheureusement loin du compte

Publié le 13 juin 2018
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Par Éric Verhaeghe.

Dans la problématique du chômage en France, la question de la formation professionnelle prend une place de plus en plus sensible. La persistance d’un chômage de masse en France pose en effet question, et c’est probablement un phénomène complexe auquel nous sommes confrontés – complexe au sens où plusieurs facteurs d’explication interviennent pour éclairer sa compréhension, loin des solutions toutes faites auxquelles les politiques aiment parfois se raccrocher.

N’en déplaisent à ceux qui font du chômage un problème moral où de gentils chômeurs victimes du grand capital subiraient une condition indigne d’une démocratie moderne.

Le niveau des allocations pose-t-il problème ?

Il existe un tabou dans les « milieux sociaux » sur le lien systémique entre chômage de masse et niveau d’indemnisation. En France, l’indemnisation est plutôt longue et à un niveau relativement élevé. Elle est, pour simplifier, équivalente à 57% du salaire, avec un minimum proche du SMIC mensuel. Cette somme est versée pendant deux ans au maximum, sans dégressivité.

Dans la pratique, il est devenu impossible d’interroger l’impact de ce mode de rémunération sur le chômage de masse. La susceptibilité des « partenaires sociaux » sur cette question est immense.

Pourtant, on peut imaginer qu’entre un travail précaire payé au SMIC et une indemnisation par le chômage, beaucoup de profils faiblement diplômés préfèrent le chômage. Le système d’indemnisation permet cette solution de « fortune »: un salarié qui a travaillé quatre mois ouvre droit à quatre mois d’indemnisation. Dans la pratique, ce système offre un revenu net plus important au chômeur qu’au salarié employé à temps partiel payé au SMIC.

Il n’y a ici aucune considération morale ou stigmatisante. C’est un simple calcul de rationalité économique. Dans de nombreux cas, la France a créé une préférence pour le chômage.

Les défaillances du système scolaire au centre du jeu

Parallèlement, l’école publique en France fabrique, depuis de nombreuses années, un très important taux de décrochage scolaire, qui constitue probablement la plus grande injustice sociale de ce pays, sur laquelle les bienveillants de gauche font preuve d’une passivité constante. On estime à 20% d’une classe d’âge le nombre de jeunes qui sortent du système scolaire sans aucun diplôme. Autrement dit, sur environ 55 milliards annuels de budget pour l’école, 11 milliards sont dépensés en pure perte.

Pour les autres, l’absence d’orientation scolaire structurée débouche sur un excès de « mauvais diplômes » (les facultés de psychologie regorgent d’étudiants qui sont autant de futurs chômeurs) et une dramatique pénurie de diplômés (y compris dans les métiers industriels ou manuels) là où les besoins de l’appareil productif sont vivaces. On n’épiloguera pas ici sur la difficulté de trouver des développeurs informatiques compétents en France…

L’enjeu de la formation professionnelle

Dans cet ensemble, la formation professionnelle pourrait être considérée comme un atout pour lutter contre ce qu’on appelait à une époque le « chômage d’inadéquation » et qu’on appelle parfois le « chômage technologique ». L’importante différence entre la masse des compétences requises sur le marché du travail et la masse des incompétences issues de notre système scolaire et universitaire constitue en effet un gisement de main-d’oeuvre important, et probablement d’emplois pérennes.

Cette conviction macro-économique, dominante dans les élites parisiennes, est devenue, au fil des ans, une sorte de Graal. L’engagement de former 500.000 chômeurs par an aux métiers numériques constitue même un gimmick du discours public depuis Nicolas Sarkozy. François Hollande l’avait repris à son compte, avant qu’Emmanuel Macron n’y fasse écho.

C’est dire à la fois la conscience que le pouvoir exécutif peut avoir des faillites du système, et l’impuissance d’y remédier. Les années passent, les formations au forceps financées par Pôle Emploi ou par les branches professionnelles se suivent, et le chômage de masse demeure.

L’échec prévisible d’Emmanuel Macron sur le sujet

Le projet de loi présenté par Muriel Pénicaud, et annoncé en son temps comme un big bang de la formation professionnelle se révèle très déceptif au regard des promesses qu’il portait, et ne devrait pas échapper à la loi de l’impuissance qui a frappé toutes les lois en matière de formation professionnelle depuis 10 ans.

Dans la pratique, la mesure essentielle de ce projet consiste à transformer les crédits d’heures de formation professionnelle en crédits monétaires. Les entreprises devront provisionner une somme de 500 euros par an et par salarié pour financer des formations. Ce droit sera portable d’une entreprise à une autre, ce qui ne manquera pas de poser un problème comptable encore non-identifié par les têtes pensantes de la haute administration. Au moment du départ du salarié, l’entreprise devra en effet verser cette somme à l’organisme chargé de porter les droits.

Mais nous ne sommes plus à une complication près dans la vie de nos chefs d’entreprise… taxés de tous les maux fiscaux par ailleurs !

Cette mesure permettra-t-elle d’éradiquer le chômage de masse ? Non, bien entendu, pas plus que les autres mesures du projet de loi, qui évitent soigneusement de repenser l’architecture de notre système de formation professionnelle. Non que cette mesure soit mauvaise en elle-même, mais elle n’est pas à la hauteur de l’enjeu systémique qui se pose au pays, avec ses plus de 3 millions de chômeurs dont on voit mal quel métier ils pourront exercer demain.

Le traitement des détails techniques pour oublier l’essentiel ?

Assez triomphalement, Muriel Pénicaud annonce qu’à l’avenir les contributions diverses et variées au financement de la formation professionnelle seront collectées par les URSSAF. L’idée mérite d’être débattue et là encore, n’est pas toxique en elle-même. Simplement, on peine à mesurer quel impact concret elle peut avoir sur le salarié dont l’emploi est menacé et qui aurait tout intérêt à suivre une formation pour éviter un chômage prolongé.

On retrouve ici le biais technocratique avec lequel la question de la formation professionnelle est traditionnellement traitée. Les hiérarques s’interrogent sur l’amélioration de la tuyauterie incompréhensible qui s’est mise en place au fil des années pour dissimuler les médailles en chocolat, les prébendes et les financements discrets des organisations syndicales. Ce serait d’ailleurs intéressant de faire la liste des voyages outre-mer payés aux syndicalistes qui président les organismes paritaires collecteurs sur les deux ou trois dernières années. On découvrirait à quel point l’île de la Réunion, la Guadeloupe ou la Martinique et leurs chômeurs en mal de formation passionnent des titulaires de mandat par ailleurs beaucoup moins curieux de ce qui se passe à Roubaix, à Sedan ou à Dijon.

Ce marché hyper-réglementé de la formation professionnelle a en réalité un  besoin majeur : celui du big bang que Muriel Pénicaud avait annoncé, mais qu’elle a renoncé à produire. Il faut laisser les salariés choisir librement les formations nécessaires à leur reconversion économique et arrêter de vouloir guider leurs choix. Dans tous les cas, l’action « rationnelle » aboutit à des échecs qui favorisent le chômage.

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  • Non, trois fois non.
    La formation professionnelle ne comblera jamais l’incommensurable problème qui place la France comme étant le seul pays de l’OCDE dont 20 à 25 % des jeunes sortent chaque année du système éducatif sans maîtriser les apprentissages fondamentaux (lire, écrire, compter et … parler correctement la langue en usage dans le pays).
    Cette question de la formation professionnelle est en grande partie un leurre, un leurre d’autant plus énorme qu’il fait le jeu et les intérêts d’une myriade d’acteurs.
    A une époque où la guerre économique mondiale nécessite toujours plus de qualification, toujours plus d’intelligence, la France produit chaque année des tombereaux d’analphabètes.
    Et ceux qui sont à l’origine de ce problème ont trouvé comme solution très coûteuse la formation professionnelle, sachant que nombre d’études prouvent que la souplesse cognitive après un certain âge est extrêmement limitée.
    A cela, il faut ajouter une culture nationale qui rend les gens rétifs à l’idée de changer de métier. Cet archaïsme est d’ailleurs entretenu indirectement par l’approche des structures publiques en charge de la lutte contre le chômage et en charge de son indemnisation.

    Des solutions socialistes à des problèmes générés par le socialisme.

    • Et pourtant la France sait aussi former des élites, de vrais spécialistes dans des domaines de pointe… qui partent souvent à l’étranger une fois le diplôme obtenu :/

      La formation professionnelle ne réglera peut être pas le problème à elle seule. Mais sa lourdeur actuelle contribue à aggraver le problème. C’est une bonne chose de la corriger aussi.

    • La formation professionnelle en France ne souffre que d’un mal : elle est gérée par les « partenaires sociaux ». Qui du coup en profitent pour brasser des millions qui finissent dans plein de choses, mais certainement pas la formation.
      Et toute tentative pour remettre à plat le système, dans la mesure où elle ferait mal au portefeuille des partenaires mentionnés ci-dessus, est un chiffon rouge qui entraînerait la paralysie du pays.

  • APPRENTISSAGE – Réflexions et Suggestions de réformes et d’adaptations (Transmis à mon député 13/02/2018
    • Une heure à former un apprenti c’est une heure non facturée à un client.
    • L’apprenti est rémunéré, mais le jeune qui apprend un métier dans un lycée professionnel ne l’est pas et ses chances de trouver un emploi à la sortie sont plus réduites. De plus La création et le fonctionnement du Lycée professionnel est à la charge des contribuables.
    • Il aurait été plus judicieux de laisser la possibilité de commencer un apprentissage à 14 ans plutôt que de le prolonger jusqu’à 30 ans. (durant les années 1970, j’avais 2 apprentis en chaudronnerie qui ont commencé leur apprentissage en alternance à 14 ans, Mr LEGOFF a créé une entreprise très importante, Mr HUET est devenu chef de production avec une trentaine de personne sous ses ordres, ils sont retraités depuis)
    • Pour exercer un métier manuel comme par exemple celui de chaudronnier, plombier il faut être intelligent. Diriger vers ses métiers des jeunes qui n’ont pas le niveau intellectuel suffisant c’est l’échec inévitable et un rejet par les entreprises et le chômage après une coûteuse formation au lycée professionnel.
    • La réglementation concernant l’apprentissage doit être celle de la CEE pas celle de la France qui a ajouté par la loi ou décrets des obligations et contraintes aux employeurs qui considèrent qu’un apprenti est une charge. Exemple : Interdiction d’utiliser des machines (presse plieuse, cisaille etc., de monter sur un escabeau (c’est possible maintenant, mais dans les esprits, l’interdiction demeure)
    • Il faut soustraire à l’éducation nationale la formation professionnelle. Elle ne sait pas réduire ou clore des formations qui n’offrent plus de débouchés et ouvrir rapidement celles où il y a des d’emplois à la clé. Et la formation qu’elle assure est souvent déconnectée des entreprises. Ceci fait qu’avec en plus des diplômes dévalorisés, les jeunes sont conduit à un chômage bien plus grand que l’apprentissage en alternance.
    • La formation professionnelle doit dépendre exclusivement du Ministère du Travail associé aux organisations professionnelles patronales, niveau national avec délégations aux régions et organisations professionnelles.
    • Les CIO (Centres d’Information et d’Orientation) ne doivent plus dépendent de l’Education Nationale mais des régions. Voir s’il n’est pas possible de les rapprocher avec les CIDJ (Centres d’Information Jeunesse) et des organismes comme les BIJ (Bureaux d’Information Jeunesse). Dans la mesure du possible, les centres d’information doivent être regroupés auprès des services de POLE EMPLOI. A ST Malo le CIO est près du port de Pêche, CIDJ à Intra Muros, le BIJ près de la Médiathèque et POLE EMPLOI à ZI Nord
    • Les organisations professionnelles doivent mettre à disposition des centres d’information des vidéos et documents concernant chaque métier. Elles sont nombreuses mais leur diffusion est limitée.
    • Le recrutement des professionnels de Lycées professionnels ne doit plus se faire sous l’égide de l’Education nationale par le CALP (Concours d’Accès au Corps des Professionnels de Lycées Professionnels). Ce système exclus des professionnels qui ont acquis une forte expérience dans un métier et qui pourraient devenir d’excellents professeurs, des personnes de plus de 50 ans au chômage pourraient avoir ce profil. Ceci après une formation adéquate à la pédagogie.
    • Tous les candidats qui postulent pour devenir professeur doivent avoir une expérience manuelle d’au moins trois années dans le métier à enseigner. Ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. (BTS, DUT sans expérience)
    • Les FPA (Centre Professionnel Accéléré) pour les plus de 18 ans. Partenariat organisation professionnelles patronales et régions doivent être soutenus et développés.
    • Les lycées professionnels devraient être organisés comme les 22 Ecoles de Production en France dont 10 en Auvergne Rhône-Alpes (AURAEP) financées en partie par la Région. Les écoles de production proposent une alternative aux dispositifs scolaires et d’apprentissage existant grâce à un concept de pédagogie unique articulée autour de la commande client. Théorie et pratique ne sont pas dissociées. C’est cet enseignement simultané qui fait toute la spécificité des écoles de production. Les 2/3 du temps hebdomadaire sont consacrés à la pratique en atelier, le 1/3 restant se déroule en enseignement théorique général et technologique.
    Pour des élèves très en attente de concret, cet enseignement innovant atteint son but : il capte leur intérêt en prodiguant un enseignement particulièrement professionnalisant.
    CONCLUSION. L’Allemagne a trois plus d’apprentis et d’entreprises moyennes exportatrices que la France. Résultat : un excédent commercial de plus de 200 milliards d’euros et la France 60 de déficit…….. !

  • Effectivement la formation porfessionnelle restera un leurre tant que la formation initiale sera aussi nulle. En moyenne bien sûr, tant il est vrai qu’un jeune très intelligent s’en sortira toujours.
    Mais que faire de ces crétins parlant un sabir informe et qui crachent sur la France et son éducation. Je pense à ces jeunes ignares qui viennent engueuler le prof en disant que leur imam leur a dit que la théorie de l’évolution de Darwin est fausse, et autres sottises du même genre. Ajoutez-y les cinglés de la pédagogie qui sévissent à l’EdNat depuis 1968 et vous avez la désolation que chacun peut constater.

    • Une seule cause à tout cela, la chienlit, pardon, les forces progressistes.
      Je ne vois pas de solution possible émerger. Je pense qu’il est malheureusement trop tard. Il y a un temps pour tout.
      Ils ont créé les causes du chaos et le chaos arrive (loi de Murphy).

      Certains, naïfs, parce que des périodes plus calmes se manifestent, ont l’illusion que les choses vont s’arranger (par miracle).
      Mais il ne s’agit que des symptômes typiques d’un malade qui s’enfonce vers l’inéluctable.
      Le moins mauvais qu’il puisse se produire, c’est la poursuite de l’histoire que nous avons déjà entamée, une lente et inexorable descente vers la médiocrité.
      Ce qui me désole, c’est que nombre d’intervenants sur ce site, au nom d’une Liberté mal comprise, embrassent les thèses universalistes de la gauche.
      Par exemple, ils soutiennent la nécessité de l’accueil sans fin de migrants qui ne feront, au mieux, que grossir les problèmes dont nous parlons à présent.
      Quant à la formation d’élites, la France, là aussi a singulièrement régressé. Non seulement, les classements internationaux des écoles (Shanghai et autres) sont un moyen de le prouver, mais il y a d’autres paramètres plus directs, comme le dépôt de brevets, les publications dans les revues scientifiques, les médaillés de prix internationaux…

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