Remboursement des lunettes à 100% : la novlangue du ministère de la Santé

Agnès Buzyn, ministre de la Santé s’échine à mettre en œuvre une promesse d’Emmanuel Macron : « rembourser à 100% les lunettes, les prothèses dentaires et les prothèses auditives d’ici 2022 ». Mais au fait de quoi se mêlent-ils ?

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Remboursement des lunettes à 100% : la novlangue du ministère de la Santé

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 16 février 2018
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Par Richard Guédon.

« Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui renoncent encore à des soins essentiels en raison des frais qui restent à leur charge… s’agissant des lunettes, des prothèses dentaires et de l’audition, je fixe l’objectif de 100 % de prise en charge d’ici à 2022. »

Il est toujours surprenant de voir l’ensemble des médias reprendre ce type d’information sans sourciller et considérer comme normal que l’État, au plus haut niveau, vienne se mettre à la place du libre jeu des acteurs économiques.

Soyons clairs, cette idée que de nombreuses personnes renoncent aux soins pour des raisons financières n’est qu’une idée toute faite qui s’évanouit si l’on regarde à peine plus loin que le bout de son intérêt électoral.

Les renoncements aux soins sont rares

Concernant les prothèses dentaires, les enquêtes faites au niveau européen montrent que 9% des Français déclarent renoncer à des soins dentaires, pour 8% en Europe en moyenne. Parmi ces 9%, la moitié déclare ne pas aller chez le dentiste parce qu’elle en a peur (mais oui !).

Au final ce sont donc seulement 4,5% qui renoncent aux soins dentaires pour des raisons financières. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise puisque les Français sont couverts par une complémentaire santé à 96%.

Dans un pays, quand 96% des gens soit la quasi-totalité, peuvent se faire soigner les dents, on se moque du monde en montant en épingle les 4% restants qui, de plus, s’ils sont démunis, ont droit à la CMU, c’est-à-dire à l’assurance maladie et à la complémentaire gratuites.

Quant au reste à charge de cette immense majorité, est-ce vraiment un scandale, quand on en a les moyens, d’avoir à participer au financement de ses propres soins ?

On peut trouver des lunettes à sa bourse

En optique, la signification des enquêtes sur les renoncements aux soins est d’autant plus obscure qu’une paire de lunettes contient 2 éléments de nature économiques très différentes : des verres, qui sont des prothèses de nature médicale, qu’on ne choisit pas, et des montures qui, outre qu’elles font  tenir les verres sur le nez, sont des éléments esthétiques de personnalisation du visage, qu’on choisit comme un bijou.

En pratique, sauf en cas de défauts visuels très particuliers, il est toujours possible de trouver une paire de lunettes correspondant à son budget. On peut en effet mettre les très nombreux magasins d’optique en concurrence, on peut acheter moins cher sur internet. On peut aussi utiliser les plateformes mises en place par les complémentaires qui analysent les devis des opticiens et donnent des adresses d’opticiens partenaires.

En audioprothèse l’État organise la pénurie

Concernant l’audio prothèse, il y a en effet un problème, puisqu’en moyenne le reste à charge après pose d’un appareil auditif est de 1100 euros par oreille. C’est l’État et lui seul qui en est responsable à 100% en organisant pénurie et monopole : pénurie d’audioprothésistes en raison d’un numerus clausus serré, monopole des mêmes audioprothésistes sur la vente des prothèses auditives.

Dictionnaire novlangue-français

La soi-disant méthode annoncée en grande pompe par Mme Buzyn est de « définir un panier de soins indispensables qui seraient intégralement remboursés par la Sécu et les complémentaires ».

Prenons notre dictionnaire novlangue – français et traduisons : « moi, l’État, je définis quelles lunettes, prothèses dentaires et audioprothèses doivent être vendues, et à quel prix elles doivent être remboursées par les complémentaires santé, puisque la sécu n’a pas d’argent pour ça ».

Autrement dit, l’État prétend dicter leurs prix et leurs remboursements à des acteurs purement privés, dont la vocation économique est de travailler ensemble librement, ce dont ils ne se privent pas. Mais de quoi se mêle-t-il ?

Les acteurs n’ont pas attendu Mme Buzyn

Les acteurs économiques n’ont pas attendu Mme Buzyn, ils se débrouillent très bien tout seuls, merci : il suffit de déambuler dans les rues des grandes villes françaises pour constater de visu le dynamisme du secteur de l’optique ; Essilor, le leader mondial de la fabrication des verres, est français, et les innovations se succèdent en matière d’implants dentaires et de technologie audio prothétique.

Depuis 20 ans, malgré un environnement réglementaire incertain et les multiples obstacles semés par les autorités et l’assurance maladie, les assureurs complémentaires santé ont créé des plateformes santé dans les domaines où la Sécurité sociale est peu ou pas présente.

Les plateformes santé

Les objectifs principaux de ces plateformes sont la modération et la négociation tarifaire, la qualité des prestations, l’orientation des assurés vers les professionnels de santé et la mise en place du tiers payant.

En pratique, Sévéane, Santéclair et autres Carré Blanc permettent d’obtenir une baisse significative du « reste à charge » des assurés en diminuant le coût (valeurs moyennes) :

  • des prothèses dentaires de 15% ;
  • des verres de lunettes de 40% et des montures de 15% ;
  • des lentilles de 10% ;
  • des appareils auditifs de 20% à 60%, selon l’appareil choisi.

La liberté de chacun est respectée puisque, contrairement à la sécu, aucun professionnel n’est obligé de négocier avec ces plateformes et d’adhérer aux réseaux qu’elles groupent autour d’elles.

De même aucun assuré n’est obligé de se rendre chez un professionnel du réseau de son assureur, il y est simplement encouragé par les avantages qu’il sait y trouver. Et le succès est là puisque plus de 70% de la population a aujourd’hui accès à une plateforme.

On constate, une fois de plus, dans ces domaines où la sécu ne bloque pas le système, que la liberté concurrentielle s’exerce au profit des assurés et pas à leur détriment.

Quelques suggestions

Alors la conclusion s’impose d’elle-même, l’État doit s’occuper de ses affaires, et laisser les acteurs travailler :

  • En matière de lunettes, de prothèses dentaires et d’audioprothèses, les complémentaires remboursent plus et mieux que la sécurité sociale. Sortons la donc du système et confions le remboursement aux complémentaires dès le premier euro.
  • Laissons les complémentaires travailler librement et les reste à charge s’amélioreront.
  • Elles ont déjà beaucoup investi, facilitons-leur la vie en permettant, par exemple, qu’elles puissent accéder aux informations nécessaires à leur travail.
  • Desserrons l’étau des numerus clausus, libérons les prix des professionnels, mettons fin aux monopoles générateurs de rentes.

Bon courage

Quant à Mme Buzyn, plutôt que de faire la mouche du coche dans les secteurs gérés librement par les agents économiques, nous lui proposons quelques idées : libéraliser, enfin, l’assurance maladie pour la sortir de son déficit abyssal ; traiter, vite, la situation dramatique des hôpitaux soumis à une gestion publique calamiteuse ; réformer, sans attendre, les retraites par répartition qui sont à bout de souffle. Et sincèrement, bon courage !

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  • il est vrai que souvent le gouvernement se mêle de ce qui ne le regarde pas et en fait fout le bordel partout où il passe et pond des lois

  • Tout ce qui est gratuit crève la poche dit-on dans mon pays de Savoie. Nos oligarques repus par le gaspillage public traitent toujours les conséquences au lieu des causes. Comment le bon sens peut accepter la 2 ème voire la 3 ème paire de lunettes gratuite ? La S.S. les mettent à la charge des mutuelles et celles-ci des assurés !! Mais bien sur au pays où le statut public impose de payer un service non rendu, tout est permis !!!

  • L’article ne prend pas en compte complètement l’aspect financier. Tout d’abord, le remboursement est un leurre : ce sont les cotisations aux complémentaires santé qui paient les prothèses et les soins. L’obligation d’adhérer à complémentaire santé et du remboursement des prothèses dans le panier de soins fait payer à tous les lunettes et appareils auditifs de certains.
    Ensuite, ces cotisations intègrent les droits d’entrée (parfois 4,5%)et les frais de gestion qui figurent sur le plan de prélèvement (parfois 13%) . Il faut y ajouter la marge bénéficiaire de l’assurance (sauf mutuelles) de l’ordre de 40% (cet ordre est déterminé ici par la baisse des cotisations dans le cadre des complémentaires communales) et les taxes sur les complémentaires (plus de 13%). Bilan : c’est beaucoup plus cher qu’un crédit !
    (J’ai analysé tous ces paramètres dans mon essai Un projet social-libéral pour la France, Libréchange, p. 259).

    • Les mutuelles et les institutions de prévoyance encaissent une marge bénéficiaire tout à fait significative mais de manière parfaitement occulte, bien supérieure aux marges officielles et publiées des assurances privées. Il faut bien faire vivre les amis syndicalistes et/ou FM. Si ce n’était pas le cas, à quoi les mutuelles pourraient-elles bien servir ? On se le demande… Autant tout passer à 100% par la Sécu, dont les propres frais de fonctionnement sont déjà atroces, avec au bas mot la moitié des employés en sureffectif patent.

      La réalité, c’est qu’une ample cohorte de parasites vivent grassement du système de protection sociale aux dépens de la population française, pour vivre sans avoir à produire et profiter des richesses spoliées aux producteurs, et c’est pourquoi toute réforme significative est fermement combattue, à commencer par sa privatisation.

  • Jadis tout ça était prit à 100% par les mutuelles , je n’ai jamais paye un paire de lunette durant ma vie professionnelle……l’état a donc donné quelques faveurs au monde mutualiste…pas beau tout ça surtout que ce monde n’a pas hésité à augmenter régulièrement ses prix !

    • Il est probable que vous bénéficiiez d’une mutuelle d’entreprise très favorable. Dont vous payiez une quote-part, mais de manière quasi invisible. A la retraite, c’est vous qui payez plein pot !
      Ceci dit, si vous voulez vraiment jouer gagnant, le mieux est de vous passer de mutuelle, et de financer vous-même ce que la sécu ne prend pas en charge.
      Un rapide calcul de vos remboursement annuels, sur plusieurs années, vous prouvera que ce choix est pertinent.

  • Dire que les prothèses doivent être remboursées à 100% c’est
    1- les faire payer aussi par ceux qui n’en ont pas besoin, donc par une augmentation générale des cotisations,
    2- inciter à l’augmentation des prix puisque « c’est gratuit »,
    3- négliger qu’il vaudrait mieux favoriser la modération des coûts en évitant d’entraver dans ce domaine la libre concurrence.

    C’est particulièrement vrai dans le cas des prothèses auditives:
    Le contenu technologique d’une prothèse est négligeable par rapport à celui d’un « smartphone » et pourtant elle est vendue au moins dix fois plus cher alors que le marché potentiel est comparable (la moitié de l’espèce humaine a ou aura besoin d’aide auditive). Ce surcoût vient d’une distortion de concurrence entretenue par l’intrusion mondiale des règlements sanitaires qui excluent du marché les éventuels concurrents indépendants notamment open-source, aussi bien pour ce qui concerne le traitement du signal acoustique que l’adaptation individuelle qui pourrait être automatisée à domicile sans passer par des audioprothésistes.

  • 2 grossières erreurs dans votre article concernant les plateformes de tiers payant :

    1- la qualité ils s’en tamponnent, seul le prix compte lorsque vous vous affiliez avec eux. Et je peux vous dire que les professionnels (je parle du dentaire que je connais bien, ma femme étant dentiste) ne se privent pas pour bâcler le travail puisque les tarifs sont plafonnés.

    2- Si les patients se rendent à 70/100 chez un praticien du réseau ce n’est pas parce qu’ils sont satisfaits de la qualité, mais plutôt parce que la loi Leroux autorise le remboursement différencié. Les gens n’ont donc pas le choix, si ils ne vont pas dans le réseau, il ne sont que très peu remboursé.

    En gros ces réseau sont un copie conforme du premier de tous les réseaux : la sécu et les praticiens conventionnés. Et on sait très bien ce que ça va donner :une catastrophe

  • « Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui renoncent encore à des soins essentiels en raison des frais qui restent à leur charge »
    Déjà qu’ils commencent par nous laisser la totalité de nos salaires et de nous rendre la moitié, voire les 2/3, qu’ils nous prélèvent tous les mois. (rapport salaire net/coût total employeur)

  • Cette nouvelle prise en charge aura évidemment un impact non négligeable sur le prix des mutuelles (je doute que ce soit la sécu qui soit mise à contribution).
    Dès lors, le péché original vient d’une décision du gouvernement précédent : la complémentaire obligatoire pour (presque) tous. On ne peut y échapper que si on n’est pas salarié.

  • Le renoncement aux soins vient en grande partie d’une organisation, par l’Etat, d’une pénurie en praticiens. Quand il faut des mois pour aller consulter un ophtalmo, un dermato, un ORL… on finit par laisser tomber.

  • Belle effet d’annonce qui va payer cette mesure démagogique ?
    Va-t-on raboter le budget de tous les touristes sanitaires ?
    Le prix de remboursement des lunettes est bloqué depuis des années. Les mutuelles paient une partie des remboursements. Sont-ce elles qui vont être sollicitées ?
    C’est à dire le cochon dé mutualiste qui verra sa prime augmentée

  • Remboursement 100% ça pousse à la consommation , pas étonnant la visite 1 fois / an donc encombrement du cabinet de rv inutiles , délais d’ attente à rallonge et forcément il y a pénurie de praticien …..J’ ai souvent l’ impression que ce pays est une cage aux folls et qu’ il y a des cages ds la cage
    MORILLE Alain

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