Par Jean-Baptiste Noé.
Ne nous y trompons pas : ce n’est pas tant une réforme du baccalauréat qu’a présenté Jean-Michel Blanquer ce 14 février qu’une réforme du lycée. Car toucher au bac, c’est toucher à l’ensemble de l’organisation du lycée.
Sur le fond, cette réforme n’en est pas une. Rien ne change vraiment, on appelle autrement ce qui existe déjà. Mais, là où la réforme sera intéressante à observer, c’est sur le moyen terme. Car elle introduit ici et là de la concurrence entre les disciplines (donc entre les professeurs) et entre les établissements. Cette concurrence revient à faire courir un marathon au mammouth obèse donc, potentiellement, sur le moyen terme, à le faire exploser.
Les changements du bac
En Première, les élèves auront deux épreuves de français, un écrit et un oral. Comme aujourd’hui.
En Terminale, ils auront deux épreuves écrites au mois d’avril, sur les deux disciplines de spécialité choisies. En juin, ils auront une épreuve écrite de philosophie et un oral. C’est un changement important, car cela allège les épreuves écrites du mois de juin.
Ces résultats obtenus compteront pour 60% de la notation finale du bac.
Ensuite, les résultats trimestriels compteront pour 10% de la note finale. C’est le contrôle continu.
Enfin, il y aura des partiels, qui compteront pour 30% de la note finale. C’est présenté comme du contrôle continu, mais cela n’en est pas vraiment. Ces épreuves communes porteront sur l’ensemble des disciplines étudiées par l’élève. Elles auront lieu en janvier et avril de l’année de Première et en décembre de l’année de Terminale. Les établissements donneront à leurs élèves un sujet tiré d’une banque de données de sujets. Les copies seront corrigées par d’autres établissements et elles seront anonymes.
Ces points posent plusieurs problèmes. Si les épreuves écrites ont lieu au mois d’avril, cela signifie qu’il faut avoir fini les programmes fin mars et non plus fin mai. C’est donc deux mois de cours en moins. Que vont ensuite faire les élèves entre avril et fin juin ? Bachoter leur philosophie et leur oral. Cet oral est par ailleurs une reprise du TPE (Travaux personnels encadrés) passé jusqu’à présent en Première. Derrière la réforme apparente, il y a donc une grande continuité.
Autre problème, celui des partiels. Cela signifie que tous les établissements doivent avancer au même rythme et faire les chapitres dans le même sens pour être prêts au même moment. À moins que la liste des sujets soit suffisamment vaste pour donner un vrai choix. Le bac devient en réalité plus complexe et les professeurs vont passer leur temps à évaluer plutôt que faire cours. D’autant que ces partiels compliquent mais ne résolvent rien.
C’est simplement déplacer à un autre moment les épreuves qui avaient lieu en juin, et non pas une fois, mais trois fois. Il n’y aura donc aucune économie sur les copies ni sur l’organisation. C’est même l’inverse puisqu’il va falloir organiser trois partiels au lieu d’une épreuve finale. Là aussi, cette réforme n’en est pas une.
Les changements du lycée
Il y aura très peu de changement en Seconde. C’est en Première et en Terminale que cela va se faire. C’est la fin des trois séries générales, L, ES et S. Les élèves auront un tronc commun et devront ensuite choisir trois spécialités en Première et deux spécialités en Terminale.
En réalité, c’est maintenir différemment les filières générales. Dans le lycée d’aujourd’hui, il y a déjà un tronc commun et les filières choisies apportent des spécialités. Plusieurs lycées ont regroupé les filières ES et L, voire L et S pour le tronc commun et la classe est séparée pour les spécialités. Là aussi, il n’y a donc rien de nouveau.
L’introduction de la concurrence
En revanche, il est clair que cette réforme introduit une concurrence entre les disciplines, donc entre les professeurs, et entre les établissements. On peut déjà prévoir ce que vont choisir les élèves : histoire géographie, littérature et économie d’une part, mathématiques, physique et sciences de la vie et de la terre d’autre part. Mais en Terminale ? Comme dans les meilleurs jeux de télévision, s’il y a trois disciplines en première semaine, il n’y en a que deux pour la deuxième. Qui sera donc évincée ? Il va falloir se battre et l’on peut déjà prévoir que l’économie et la SVT seront sur la sellette.
La concurrence est aussi établie entre les établissements. Toutes les spécialités ne pourront pas être proposées. Certains établissements auront donc intérêt à proposer des spécialités rares pour attirer certains élèves et en évincer d’autres. Or le mammouth obèse et monopolistique n’est absolument pas habitué à la concurrence, qui risque fort de le faire courir, ce qui n’est jamais bon pour lui. Cette réforme introduit des brèches qui peuvent se révéler redoutables sur le moyen terme.
Des défis non résolus
Il est par ailleurs dommage qu’au moment où le ministre introduit une petite dose de liberté dans le bac, un sénateur dépose un projet de loi, avec le soutien du ministère, pour empêcher la création des écoles libres. C’est une incohérence et une erreur par rapport aux bonnes dispositions proposées par le ministre.
Reste désormais à voir l’application concrète de ces mesures et la réaction des syndicats et du corps enseignant. La dernière réforme du lycée datait de 2011. On peut donc attendre la prochaine, qui arrivera bientôt. Cette réforme ne fait faire aucune économie et ne règle pas le problème de fond : l’absence de candidats aux concours de recrutement. Rien n’est réglé donc et les défis de l’Éducation nationale restent entier.
Le document de présentation de la réforme du bac proposé par le ministère de l’éducation est disponible ici
Je ne vois rien dans ce projet qui soit compatible avec une présentation en candidat libre, c’est à dire non formé dans un lycée.
Est-ce à dire que cette liberté est désormais considérée comme caduque?
Lorsqu’on regarde avec un peu d’attention le tableau de matières générales, on s’aperçoit avec inquiétude que les outils de base de tout le monde, les mathématiques, n’y figurent pas. L’examen des « spécialités » (il faut une certaine dose de prétention pour pense qu’on peut devenir un « spécialiste » d’une discipline en quelques heures de cours et en subissant un examen) présente déjà comme le montre le texte de l’article, que les élèves se sépareront comme d’habitude en deux groupes principaux, sur la base de leur crainte des mathématiques et des sciences et par défaut, de leur attirance pour les disciplines littéraires, économiques et sociales. De ce point de vue, la réforme ne changera donc rien. La seule chose que je trouverais intéressante, ce serait de rendre aux établissements la maîtrise de leur choix pédagogiques et de leur pouvoir d’évaluation finale conduisant au diplôme, en organisant régulièrement des examens qui comptent pour le diplôme final (le poids de 60% pour les examens organisés au niveau national est beaucoup trop lourd : il faudrait réduire cela à 20%, c’est-à-dire à un contrôle). Les examens finaux devraient avoir lieu en juin mais se limiter à trois matières (par exemple Philosophie, Mathématiques et une au choix). Une façon simple est que les académies organisent simplement les contrôles au sein des lycées sous forme d’examen oral en présence du professeur titulaire, d’un inspecteur, et d’un professeur invité extérieur. Le phantasme français est de croire que l’organisation nationale ou académique met les élèves sur le même pied alors qu’ils ne le sont pas, pas plus que les lycées. Et ce sentiment ne sera pas dissipé par la réforme proposée. Quoi qu’il en soit, on voit que le baccalauréat, va se transformer sans qu’on s’en aperçoive, en concours d’entrée dans l’enseignement supérieur mais il l’est déjà pour toutes les filières sélectives, mais via le contrôle continu. CQFD.
HD, Prof des U er.
En Terminale, il faudra choisir entre physique et SVT, sachant qu’il est risqué de se passer des maths pour qui veut faire une carrière scientifique. Quel dommage ! Un futur ingénieur devra prendre maths et physique. Les SVT sont pourtant passionnantes, et nécessaires pour comprendre bien des choses…
Pardon, il parait que ça ne s’appellera plus Terminale, mais un truc qui plait bien à notre ministre comme “classe de maturité”.
Y’en a pas marre des gadgets ?
C’est au nombre de commentaires (4!) que l’on voit l’intérêt des citoyens pour une réforme qui devrait être fondamentale mais qui ne sera que marginale. En France, on arrive toujours à passer les réformes “au bleu”. Prenez l’exemple des accords de Bologne : 3 ans = bachelor ; 5 ans = master ; 8 ans = docteur. Le “niveau” Bachelor est resté “licence” pour conserver le mot “baccalauréat” ; par contre, on aurait pu dire “maîtrise” au lieu de “master” (passer de 4 à 5 ans, ce n’est pas grave). Finalement, on ne change pas grand-chose par rapport à licence-maîtrise-DEA-Doctorat. Si on veut rester “particuliers”, à quoi bon faire semblant de se fondre dans l’Europe. C’est le cas du “baccalauréat”.