« La Révolution française et la psychologie des révolutions » de Gustave Le Bon (1)

Un autre regard sur la Révolution française et les révolutions en général, loin des passions, mythes et autres fantasmes. Fascinant.

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Révolution française by tonynetone(CC BY 2.0)

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« La Révolution française et la psychologie des révolutions » de Gustave Le Bon (1)

Publié le 12 février 2018
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Par Johan Rivalland.

J’ai découvert les écrits de Gustave Le Bon il y a environ 25 ans, avec la Psychologie des foules, un livre majeur à mes yeux, pour lequel je regrette de n’avoir pris aucune note (je ne le faisais jamais à cette époque), sans quoi j’aurais écrit depuis longtemps un article de présentation (mais je me suis promis de le relire un jour et de vous en élaborer un).

Puis, j’avais enchaîné avec la lecture du passionnant ouvrage de Catherine Rouvier sur Les idées politiques de Gustave Le Bon. Mais j’étais déçu, en revanche, de ne pouvoir trouver trace, à l’époque, de ses nombreux essais sur par exemple Les lois psychologiques de l’évolution des peuples, Les opinions et les croyances, la Psychologie du socialisme, la Psychologie de l’éducation, etc.

Aujourd’hui, grâce à internet, mais aussi aux diffusions libres d’écrits tombés dans le domaine public comme ici, tout devient plus facile d’accès. Et c’est donc avec grand bonheur et simplicité que j’ai pu me procurer le présent ouvrage.

Un essai hors des sentiers battus

Comme l’indique Gustave Le Bon dans sa préface de la réédition de 1913, son essai a été diversement reçu à l’époque, en particulier de la part de politiques imprégnés de toutes les imageries et stéréotypes attachés à la Révolution. Tel un Emile Ollivier refusant catégoriquement l’idée défendue par Gustave Le Bon que « le gain récolté au prix de tant de ruines eût été obtenu plus tard sans effort par la simple marche de la civilisation ». Comme plusieurs peuples l’avaient d’ailleurs déjà obtenu avant même l’époque révolutionnaire.

Car, ainsi qu’il l’établit, en précisant que son analyse n’a pour objet ni de blâmer ni de louer la Révolution, mais simplement de l’observer à partir de ses méthodes psychologiques attachées à l’étude des opinions et croyances, trois types de conceptions se dégageaient à l’époque : celle qui veut que la Révolution française doit être acceptée ou refusée en bloc, celle qui la voit comme un phénomène mystérieux resté inexplicable, et enfin celle qui voudrait qu’on ne puisse la juger avant la publication d’un nombre immense de pièces officielles encore inédites.

La première y voit un événement heureux ayant sorti les Français de la barbarie et les ayant libérés de l’oppression de la noblesse, tandis que la seconde contribue également à maintenir son prestige et la troisième se garde de toute interprétation à même d’en expliquer la nature.

Face à ce constat, Gustave Le Bon propose une analyse qui sort du champ des interprétations rationnelles, pour en étudier les influences mystiques, affectives et collectives, étrangères à la raison. Entre autres exemples, il dit ceci :

Comment, sans connaître les transformations de personnalités dans diverses circonstances, comprendre que les bourgeois intelligents et pacifiques qui, dans certains comités, décidaient la création du système métrique et l’ouverture de grandes écoles, votaient ailleurs des mesures aussi barbares que la mort de Lavoisier, celle du poète Chénier ou encore la destruction des magnifiques tombeaux de Saint-Denis ? Comment comprendre enfin la propagation des mouvements révolutionnaires en général sans la connaissance des lois réelles de la persuasion, si différentes de celles qu’enseignent les livres ?

Les révolutions, un processus lent

Gustave Le Bon s’intéresse aux différents types de révolutions. Qu’elles aient lieu dans le domaine scientifique, politique ou religieux, les transformations des croyances, idées et doctrines qu’elles impliquent suivent un même cheminement.

Elles débutent souvent sous l’action de mobiles parfaitement rationnels, comme la suppression d’abus criants ou d’un régime politique honni, par exemple, dans le cas d’une révolution politique.

Mais la logique rationnelle, comme celle maniée par les philosophes pour la Révolution française, ne débouche sur une révolution que si elle suscite d’abord une logique mystique (ici, la croyance en les vertus d’une société créée de toutes pièces par certains principes), puis une logique affective, qui déchaîne les passions, et parfois conduit aux pires excès, par le jeu d’une logique collective qui pousse ses membres à agir de manière tout à fait différente de celle avec laquelle ils auraient agi en ne suivant que les trois autres formes de logique.

Par ailleurs, l’impulsion ne vient jamais de la foule, mais d’une tête qui la conduit. « Elle dépasse bien vite ensuite l’impulsion reçue, mais ne la crée jamais ». Cependant, précise-t-il :

Les brusques révolutions politiques, qui frappent le plus les historiens, sont parfois les moins importantes. Les grandes révolutions sont celles des mœurs et des pensées. Ce n’est pas en changeant le nom d’un gouvernement que l’on transforme la mentalité d’un peuple. Bouleverser les institutions d’une nation, n’est pas renouveler son âme.

Les véritables révolutions, celles qui transformèrent la destinée des peuples, se sont accomplies le plus souvent d’une façon si lente que les historiens ont peine à en marquer les débuts. Le terme d’évolution leur est beaucoup mieux applicable que celui de révolution.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Gustave Le Bon place les révolutions scientifiques en tête des révolutions. Même s’il choisit dans cet ouvrage de s’intéresser surtout aux révolutions politiques et note que la plupart du temps, en sciences, on a affaire à des évolutions plutôt que des révolutions, qui ont lieu, elles, lors de ce que Thomas Kuhn appellera plus tard un changement de paradigme (les découvertes de Darwin, Pasteur, etc. correspondent à ces révolutions selon Le Bon).

Notons, au passage, que cette analyse va bien dans le sens de ce que Johan Norberg montre dans le chapitre sur les libertés dans son ouvrage « Non, ce n’était pas mieux avant », lorsqu’il indique que si les révolutions dans les pays arabes n’ont pas eu le même résultat que dans d’autres révolutions, comme par exemple lors de la chute de l’URSS, ou dans certains pays asiatiques, d’Afrique et d’Amérique latine, entre autres, (en attendant, espérons-le, une révolution en Corée du Nord ?), c’est que les mentalités n’étaient pas suffisamment mûres pour accepter certains changements.

Toujours est-il que, si l’on en revient aux révolutions politiques, elles sont rarement spontanées selon notre auteur et la raison ne prend aucune part à leur élaboration. Ce sont plutôt les croyances qui entrent en jeu.

La croyance arrive à un degré d’intensité tel que rien ne peut lui être opposé. L’homme hypnotisé par sa foi devient alors un apôtre, prêt à sacrifier ses intérêts, son bonheur, sa vie même, pour le triomphe de cette foi. Peu importe l’absurdité de sa croyance, elle est pour lui une vérité éclatante. Les certitudes d’origine mystique possèdent ce merveilleux pouvoir de dominer entièrement les pensées et de n’être influencées que par le temps.

Par le seul fait qu’elle est considérée comme vérité absolue, la croyance devient nécessairement intolérante. Ainsi s’expliquent les violences, les haines, les persécutions, cortège habituel des grandes révolutions politiques et religieuses, la Réforme et la Révolution française notamment.

Gustave Le Bon s’appuie sur différents exemples de révolutions pour analyser les éléments en jeu et les processus de contagion mentale qui débouchent sur elles, en fonction des situations.

Mais surtout, il établit un intéressant parallèle entre, d’une part, les révolutions religieuses, qu’il décrit comme bien plus puissantes que celles de nature politique et, d’autre part, la Révolution française, dont plusieurs éléments semblent très comparables avec notamment la Réforme : intolérance de Calvin et de Robespierre, méthodes de Montluc et de Carrier, mentalités des jacobins de la Terreur et de Grégoire XIII, férocité des guerres de religion et de la guerre de Vendée, etc.

Le rôle des gouvernements et des peuples durant les révolutions

Il existe un nombre impressionnant de pays modernes dans lesquels des gouvernements ont été renversés, à un moment ou à un autre, par des révolutions. Le plus souvent par un mouvement spontané qui eût pu être déjoué assez facilement. Là encore, notre auteur en apporte plusieurs exemples, que je vous invite à découvrir en vous procurant le livre.

Ces faits montrent le rôle des petites circonstances accessoires dans les grands événements et prouvent qu’il ne faut pas trop parler des lois générales de l’histoire. Sans l’émeute qui renversa Louis Philippe, nous n’aurions probablement jamais eu ni la République de 1848, ni le second Empire, ni Sedan, ni l’invasion, ni la perte de l’Alsace.

Si l’effet de contagion mentale en jeu est souvent lié aux « procédés modernes de publicité », il est aussi dû, dans de nombreux cas, à un mauvais commandement des troupes qui cèdent, même face à quelques insurgés.

Il existe ainsi, de fait, une réelle diversité des révolutions, de par leur nature, y compris parfois renversement du gouvernement par l’armée, voire de véritables révolutions faites par des gouvernements eux-mêmes. Gustave Le Bon en apporte là encore différents exemples, qui font aussi la richesse de l’ouvrage.

Il n’en reste pas moins que les hommes d’influence et les gouvernements ne font que passer. Et le caractère des peuples ne se forge durablement qu’avec le temps. Voilà pourquoi il écrit (rappelons-le, il y a un peu plus d’un siècle maintenant) :

Si l’on ne connaissait de la France que les bouleversements depuis plus d’un siècle, on pourrait la supposer vivant dans une profonde anarchie. Or, dans sa vie économique, industrielle, politique même, se manifeste au contraire une continuité paraissant indépendante de tous les bouleversements et de tous les régimes (…) Plus on étudie l’histoire des révolutions, plus on constate qu’elles ne changent guère que des façades. Faire des révolutions est facile, modifier l’âme d’un peuple très difficile.

Le rôle du peuple selon Gustave Le Bon

C’est à cette âme des peuples que Gustave Le Bon s’intéresse ensuite, montrant qu’elle est issue d’un délicat dosage entre rigidité et malléabilité. Sans rigidité, l’âme ancestrale n’aurait aucune fixité, et sans malléabilité, elle ne pourrait s’adapter aux changements civilisationnels. C’est pourquoi un excès de rigidité conduit à la décadence et à la disparition d’un peuple ou d’une civilisation, un excès de malléabilité à des révolutions incessantes.

L’excès de rigidité peut aussi aboutir, et c’est notre sujet, aux révolutions les plus violentes, comme ce fut le cas de la Révolution française.

L’auteur nous livre ainsi une analyse passionnante des mécanismes de cette Révolution française, dont le but initial était de substituer au pouvoir de la noblesse celui de la bourgeoisie. Mais le peuple, qui ne comprend pas grand-chose aux idées de ses meneurs, se laisse bientôt emporter dans son élan instinctif, faisant fi des considérations rationnelles et se laissant guider par sa fougue violente et dévastatrice.

À rebours de ce qu’affirmaient de nombreux auteurs ou historiens, parmi lesquels Jules Michelet, par exemple, qui considéraient que l’acteur principal de la Révolution avait été le peuple, Gustave Le Bon affirme qu’il n’en est que l’instrument. Loin de constituer cet « ensemble merveilleux » qu’évoque entre autres M.A Cochin, l’impulsion unique venait du grand club jacobin de Paris, auquel les milieux de petits clubs un peu partout en France ne faisaient qu’obéir avec une docilité parfaite.

Une idée étant sans force et n’agissant qu’à la condition d’avoir un substratum affectif et mystique pour soutien, les idées théoriques de la bourgeoisie devaient, pour agir sur le peuple, se transformer en une foi nouvelle bien claire dérivant d’intérêts pratiques évidents. Cette transformation se fit rapidement quand le peuple entendit les hommes envisagés par lui comme le gouvernement, lui assurer qu’il était l’égal de ses anciens maîtres. Il se considéra alors comme une victime et commença à piller, incendier, massacrer, s’imaginant exercer un droit.

(…) La foule, soulevée par les meneurs, agit surtout au moyen de sa masse. Son action est comparable à celle de l’obus perforant une cuirasse sous l’action d’une force qu’il n’a pas créée. Rarement la foule comprend quelque chose aux révolutions accomplies avec son concours. Elle suit docilement les meneurs sans même chercher à deviner ce qu’ils souhaitent.

Divinisée par les Jacobins, y compris des époques suivantes, cette foule en réalité versatile est loin d’être aussi vertueuse que ce qu’ils imaginent. Gustave Le Bon distingue ainsi deux grandes catégories distinctes :

– la foule silencieuse composée de la grande majorité des gens vivant dans le labeur et le silence, qui a besoin d’ordre et de tranquillité pour exercer son métier. Elle est ignorée des historiens, car ne fit jamais les révolutions.

– celle plus subversive, composée « d’un résidu social subversif dominé par une mentalité criminelle ». C’est cette dernière qui constitue le ferment des révolutions, celle sur laquelle s’appuient les meneurs.

La crainte du châtiment empêche beaucoup d’entre eux d’être criminels en temps ordinaire, mais ils le deviennent dès que peuvent s’exercer sans danger leurs mauvais instincts. À cette tourbe sinistre sont dus les massacres qui ensanglantèrent toutes les révolutions.(…) Ce peuple impulsif et féroce a toujours été dominé facilement d’ailleurs dès qu’un pouvoir fort s’est dressé devant lui. Si sa violence est sans limite, sa servilité l’est également. Tous les despotismes l’ont eu pour serviteur. Les Césars sont sûrs de se voir acclamés par lui, qu’ils s’appellent Caligula, Néron, Marat, Robespierre ou Boulanger.

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  •  » celle plus subversive, composée « d’un résidu social subversif dominé par une mentalité criminelle ». C’est cette dernière qui constitue le ferment des révolutions, celle sur laquelle s’appuient les meneurs » : tout à fait, et les communistes l’avaient bien compris, ils s’appuyaient sur la pègre pour mener la danse (macabre). De nos jours il y a sérieusement de quoi s’inquiéter quand on constate la jeunesse et la déshérence de certains quartiers. On peut voir également la complaisance de nos « élites » vis à vis de cette population. Et de l’autre côté, « la foule silencieuse composée de la grande majorité des gens vivant dans le labeur et le silence » est méprisée, ignorée et bien vite remise au pas si elle a le malheur de manifester (cf. manif pour tous)

  • Que dit Gustave Le Bon de la guillotine et de Robespierre ou encore du génocide brittano-vendéen ?

  • La « tourbe sinistre », c’est bien l’expression juste pour la foule qui peut être manipulée si facilement en la laissant croire qu’elle dirige son action et qu’elle est maître des événements.

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