L’intelligence artificielle va-t-elle nous mettre au chômage ?

En associant robotisation et puissance informatique, l’IA pourrait-elle nous faire perdre tous nos avantages compétitifs au profit des machines ? C’est aller un peu vite en besogne.

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L’intelligence artificielle va-t-elle nous mettre au chômage ?

Publié le 7 février 2018
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Par Laurent Pahpy.
Un article de l’Iref-Europe

De quelques dizaines de millions à 2 milliards d’emplois supprimés d’ici 2030 dans le monde : l’éventail des prédictions de l’impact de l’intelligence artificielle (IA) et de la robotisation sur le travail est aussi large que le nombre d’experts et d’études sur le sujet. Depuis que les innovations technologiques révolutionnent nos vies, des prédicateurs avisés nous ont toujours fait craindre un chômage de masse qui n’est jamais venu. L’IA dérogerait-elle à cette règle ?

Schumpeter a toujours eu raison

Dès le début du XIXe siècle en Angleterre, au cœur de la première révolution industrielle, un mouvement de tondeurs, de tisserands et de tricoteurs, les luddites, s’opposa violemment à l’automatisation des métiers à tisser. La peur de ceux dont la profession allait disparaître était compréhensible.

Leurs emplois ont pourtant été remplacés par de nouveaux métiers. À l’heure des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la crainte du chômage de masse provoqué par une invention radicale telle que l’IA est toujours d’actualité.

Les innovations s’accompagnent toujours d’un phénomène de « destruction créatrice » décrite par Schumpeter. Les transformations technologiques génèrent des gains de productivité tandis que certains emplois se transforment et que d’autres sont supprimés, car devenus obsolètes.

Ces gains se traduisent par des offres plus compétitives (de meilleure qualité et moins chères) pour les consommateurs. Le pouvoir d’achat de ceux-ci augmente et il peut être alloué à de nouveaux biens ou services.

La production de ces derniers permet alors d’embaucher ceux qui ont perdu leur travail, ce qui nécessite leur reconversion professionnelle. La richesse globale augmente tout en « déplaçant » les emplois.

Ces gains de productivité ont considérablement affecté notre société. Activité majoritaire il y a deux siècles avec 65 % de la population active en 1805, l’agriculture représente désormais moins de 3 % de l’emploi en France.

Avec l’exode rural, les paysans n’ont pas chômé éternellement, mais se sont reconvertis en ouvriers. De la même façon, depuis les années 1970, les emplois industriels ont perdu du terrain au profit des services. Ces derniers font aujourd’hui travailler plus des trois quarts des actifs.

Répartition en pourcentage des emplois par secteur d’activité depuis 1800 en France

 

Données INSEE

Ce mécanisme de destruction créatrice pourrait-il supprimer plus d’emplois qu’il n’en crée ? Alors que cela ne s’est jamais réalisé, à chaque innovation, des disciples de Ricardo et de Marx nous alertent sur les risques d’un chômage technique généralisé. En associant robotisation et puissance informatique, l’IA pourrait-elle cette fois-ci nous faire perdre tous nos avantages compétitifs au profit des machines ?

« Cette fois-ci, c’est différent »

Le regain d’intérêt actuel pour l’IA repose sur les travaux de plusieurs scientifiques et ingénieurs visant à augmenter les capacités d’apprentissage des machines. Les réseaux de neurones artificiels et les modélisations logiques des raisonnements humains permettent d’imaginer de nouvelles applications comme les voitures autonomes ou la reconnaissance de tumeurs.

Le scénario d’une domination maléfique des machines n’est pas à l’ordre du jour : un cerveau humain est encore capable de réaliser plus de 10 millions de fois plus d’opérations par seconde que les meilleurs processeurs. L’apprentissage dit « non supervisé », réalisé à partir d’interactions avec l’environnement sans que des humains signalent à la machine si elle répond correctement ou qu’ils lui expliquent comment traiter l’information, n’est toujours pas envisageable.

À l’heure actuelle, aucun indicateur ne démontre que « cette fois-ci, c’est différent ». Les pays les plus robotisés, les plus connectés et les plus informatisés du monde tels que la Corée du Sud ou l’Allemagne présentent des taux de chômage frictionnel, entre 3 et 5 % de la population active. L’IA est donc en train d’améliorer nos vies et de rendre obsolètes certains métiers sans pour autant générer de chômage de masse dans les pays les plus avancés.

Taux de chômage, de robotisation et de pénétration des smartphones et de l’Internet en France, aux États-Unis, en Allemagne, au Japon et en Corée du Sud

 

Banque MondialeNewzooITUIFR

L’innovation ne se décrète pas

Par définition, l’innovation c’est ce qui ne se prévoit pas. Personne ne peut prétendre savoir quels seront les métiers de demain. Un porteur d’eau ou un maréchal-ferrant du XVIIIe siècle pouvait-il prédire avec certitude que des métiers tels que data analyst ou youtuber verraient le jour ?

Non seulement ce processus repose sur l’imagination des scientifiques, des ingénieurs et des entrepreneurs, mais l’innovation doit aussi être acceptée par le consommateur. Ces mécanismes ne peuvent être modélisés et personne ne peut affirmer leur impact sur le marché du travail à long terme.

Les prédictions quant à la fin des emplois peu qualifiés sont tout autant hasardeuses. Certains travaux manuels ne sont pas près d’être supprimés. Difficile de dire qui, entre un technicien de surface et un radiologue, a le plus de risque de perdre son emploi à moyen terme. Les machines sont aujourd’hui bien plus capables d’analyser avec précision les résultats d’un scanner que de passer la serpillière.

L’IA n’est pas responsable du chômage de masse en France

Les modèles d’inclusion des marchés du travail de la plupart des pays les plus connectés et les plus automatisés au monde devraient nous inspirer. Ces pays démontrent que l’innovation technologique ne peut être invoquée pour expliquer le chômage de masse qui caractérise la France depuis plusieurs dizaines d’années.

Plutôt que d’écouter ceux qui agitent nos peurs en faisant des prédictions hasardeuses sur une prétendue guerre des intelligences entre les intellectuels et une population peu productive rendue « inutile », donnons-nous les moyens de profiter du développement des nouvelles technologies telles que l’IA pour permettre à tous de participer à la création de richesse et d’en récolter les fruits.

Contrairement aux autres pays avancés, si certains sont exclus aujourd’hui en France, ce sont les barrières à l’entrée sur le marché du travail, telles que les contrats réglementés ou le salaire minimum instaurés par des syndicats corporatistes, qu’il faut blâmer. Ne nous trompons pas de responsable et laissons l’IA révolutionner nos vies et transformer nos emplois.

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  • Une chose est certaine l’intelligence artificielle…va supprimer des postes d’enseignants ..un esclave n’a pas besoin d’intelligence ni de savoir !

  • Difficile d’y voir clair dans ce sujet qui relève de la prévision.
    Personne ne connaît évidemment le futur.
    N’y connaissant rien, je me lance quand-même pour dire mes inquiétudes.
    Si j’ai bien compris, les robots, l’automatisation par ses gains de productivité a réduit la main d’oeuvre dans les secteurs agricoles et industriels pour les transférer au secteur des services. Mais aujourd’hui on pressent que l’IA et la robotique pourrait aussi par ses gains de productivité commencer à réduire ce secteur… pour les transférer vers… la recherche ? D’autres types de services plus centré sur l’humain et ses affects ? Quoi ?
    Je ne sais donc que penser ? Qui pourrait apporter un peu d’éclairage à ma confusion ?

    • Les services seront remplacés par d’autres services.
      Par exemple, les secteurs culturels sont en forte croissances depuis le début du XX siècle avec l’apparition de la photo, du cinéma, de la radio, de la TV et maintenant internet qui ont complétement distancé l’imprimerie et l’opéra en démocratisant la consommation artistique.

      • Hum ,la’production actuelle de services culturels est saturée par contre on manque de …psy et d’asiles de fous ,de gardien de prison de militaires….l’homme n’était pas très intelligent , il le sera encore moins…..exemple avec le gps ,plus aucun conducteur équipé n’est capable de s’orienter,on ne sait plus s’alimenter ni s’acclimater à des changements climatiques ,le b a ba de la vie à disparu ,nous sommes tous dépendant des conseils officieux de ceux qui se déclarent , sachant !

  • « Les réseaux de neurones artificiels et les modélisations logiques des raisonnements humains permettent d’imaginer de nouvelles applications comme les voitures autonomes ou la reconnaissance de tumeurs. »
    Personnellement et bien qu’informaticien, je n’ai toujours pas compris ce que recouvre ce type de propos.
    Les ordinateurs d’aujourd’hui sont certes plus rapides et disposent d’immenses capacités de stockage mais leur logique de base est la même à savoir un traitement d’instructions simples sur des données codifiées avec des 0 et des 1.

    • Tu as parfaitement raison. Et on peut ajouter que nos neurones fonctionnent également en activer / désactiver, meme si d’autres distinctions nécessitent de ne pas faire de raccourci.

      Cependant, au cas ou tu ne connaîtrais pas encore, voici un bon début :
      https://youtu.be/trWrEWfhTVg

      Aujourd’hui, nous ne sommes pas capables de savoir comment les IAs parviennent à ce résultat, il n’y a pas de modèle mathématique permettant de prendre en compte les nœuds et leur pondérations (meme si à la base, ce ne sont que des 0 et des 1 : il n’y a pas moins de nombre en base 2 qu’il y en a en base 10 ou 60). On ne peut que constater la validité du résultat. Ou pas.

  • « L’apprentissage dit « non supervisé », réalisé à partir d’interactions avec l’environnement sans que des humains signalent à la machine si elle répond correctement ou qu’ils lui expliquent comment traiter l’information, n’est toujours pas envisageable. »
    Ah bon , pourtant justement ca marche très bien, suffit de lire les publications à ce sujet.

    Un classique serait celui la je pense :
    https://arxiv.org/abs/1312.5602

    • Et vu les progrès extrêmement rapides qui sont fait dans ce domaine en ce moment même, ca sera vite applicable à des sujets beaucoup plus complexes
      (voir aussi openAI et son bot qui joue à DOTA )

    • L’intelligence se distingue de l’automatisme dans sa capacité à répondre à des situations complexes exceptionnelles. L’apprentissage, en météo ou en logistique, ça ne vaut pas une bonne analyse, il suffit de regarder les actualités pour s’en convaincre…

      • Je ne suis pas sur de bien comprendre votre remarque.
        J’ai pris des exemples d’IA faible, (vu que l’IA forte n’est pas au programme du jour) donc pas d’adaptation à des situations hors contexte (enfin pas d’une manière flagrante ou efficace en tout cas).
        Pour ce qui est de la meteo, la vous m’avez perdu, on n’utilise absolument pas de technique d’IA dans ce domaine il me semble(ou bien ?)
        J’aurais tendance à croire que l’analyse d’une machine donnerait justement des meilleurs résultats dans ce domaine précis.

        • Dit autrement, la plupart des usages de l’intelligence ne consistent pas à définir des stratégies gagnantes dans des jeux à règles fixes où on peut se livrer à un apprentissage. L’intelligence est l’apanage du maître et non de l’apprenti. C’est ce qui lui permet de dégager de son expérience des principes directeurs qu’il pourra appliquer dans d’autres situations analogues, mais imprévues et où les règles seront différentes. L’analyste météo peut dès aujourd’hui être remplacé par un programme qui pondra le communiqué envoyé aux médias. C’est ce que j’appelle de l’automatisation, elle ne fait que la partie fastidieuse et répétitive de la météorologie. Mais le véritable météorologue, c’est celui qui saura faire la synthèse de plusieurs modèles, en faire tourner des variantes, retrouver des historiques semblables, et donner des avertissements pertinents le jour où une situation encore jamais observée menace. Aucune chance que ce travail puisse être confié à une IA, aucune chance que l’apprentissage « sans maître » puisse former de nouveaux météorologues.
          L’IA peut vous fournir un bulletin météo, mais personne n’a besoin du bulletin en soi. Ce dont on a besoin, c’est de faire le meilleur choix pour une activité qui dépend de la météo : prendre ou non son parapluie, abriter ses meubles de jardin pour la nuit, finir de rentrer son foin avant la pluie, semer ses graines ou attendre, etc. Comment une machine, avec ses résultats synthétiques globaux et médians, serait-elle meilleure que l’examen de la bonne sélection des résultats bruts du modèle de prévision ? Comment faire de l’apprentissage sur des phénomènes aux effets potentiellement mais incertainement catastrophiques ?

          • « Dit autrement, la plupart des usages de l’intelligence ne consistent pas à définir des stratégies gagnantes dans des jeux à règles fixes où on peut se livrer à un apprentissage »
            Oui c’est certain que les jeux à règles fixes ne concernent qu’un nombre limité de cas.

            « Mais le véritable météorologue, c’est celui qui saura faire la synthèse de plusieurs modèles, en faire tourner des variantes, retrouver des historiques semblables, et donner des avertissements pertinents le jour où une situation encore jamais observée menace. Aucune chance que ce travail puisse être confié à une IA, aucune chance que l’apprentissage « sans maître » puisse former de nouveaux météorologues. »
            Pourtant même dans les cas d’IA faible on observe des bons comportements dans les cas imprévus (pas tout le temps certes, un humain peut encore rester nécessaire pour vérifier le résultat pour l’instant par sécurité)

            « Ce dont on a besoin, c’est de faire le meilleur choix pour une activité qui dépend de la météo : prendre ou non son parapluie, abriter ses meubles de jardin pour la nuit, finir de rentrer son foin avant la pluie, semer ses graines ou attendre, etc. »
            Argument pertinent 😉

            « Comment faire de l’apprentissage sur des phénomènes aux effets potentiellement mais incertainement catastrophiques ? »
            Certes il faut une IA forte pour ce genre de taches (et une certaine confiance des gens dans l’IA aussi)
            Mais je soulignerai quand même que les progrès réel en IA forte sont présent aussi, il sont très peu relayés par les « journalistes » parce-que c’est beaucoup moins sensationnel que de battre n’importe quel humain au jeu de GO par exemple; le domaine en est à ses balbutiements, mais techniquement les avancées sont fabuleuses aussi !

          • Tout grand maître a commencé par être un élève. Et les IAs aujourd’hui n’en sont qu’à leur balbutiements, ils se distinguent déjà parmi les meilleurs élèvent qui soient.
             »
            Aucune chance que ce travail puisse être confié à une IA, aucune chance que l’apprentissage « sans maître » puisse former de nouveaux météorologues
             »
            Question de génération. On pourra en reparler dans 20 ans.
            voir moins.

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