Par Jean-François Caulier.
De nombreuses et diverses raisons, principalement idéologiques, ont été avancées pour expliquer le phénomène des bagarres Nutella survenues cette fin janvier 2018 suite à la promotion exceptionnelle mise en place par Intermarché. De la folie des clients aux inégalités, en passant par le consumérisme et le marketing néolibéral, tout y est passé. Et pourtant, qui dit réduction de prix dit mécanisme de marché en œuvre.
Il existe donc une explication économique simple à cet événement qui permet de justifier tout d’abord que Bercy n’enquête pas et ensuite que le gouvernement n’interfère pas davantage par régulation.
Premièrement, il est intéressant de noter qu’Intermarché peut se permettre d’offrir une réduction de 70 % sur chaque pot de Nutella, indépendamment des quantités achetées. Cela donne une idée de la marge de profit dégagée usuellement ; ce qui indique à son tour le pouvoir de monopole (dans le sens de la domination) de Nutella sur le marché des pâtes à tartiner chocolatées.
Le succès de Nutella
Cette domination a moins à voir avec ses campagnes publicitaires qu’avec le succès de sa recette. Si les concurrents pouvaient faire aussi bien et moins cher, ils le feraient et attireraient ainsi l’ensemble des clients à eux.
Mais ils n’y parviennent pas. Le marketing ne peut en rien justifier la mainmise de Nutella sur son segment. Kronenbourg peut faire autant de publicité qu’il souhaite, il ne convaincra jamais les amateurs de bière sans modifier sa recette. L’argument marketing poussant les gens au consumérisme n’a aucun fondement.
Deuxièmement, Intermarché subit de plein fouet le retour de manivelle de ses campagnes promotionnelles. Le souhait de l’enseigne était certainement d’attirer le chaland par cet appât afin qu’il réalise ses courses par la même occasion.
Las, le buzz médiatique qui s’en est suivi, même s’il ne s’avère pas dommageable pour la marque, n’est pas pour autant positif. Est-ce que cela justifie de nouvelles réglementations interdisant les promotions trop importantes ?
Cet événement médiatique risque-t-il de créer un précédent auprès des autres enseignes de supermarchés, qui souhaiteront bientôt des émeutes dans leurs rayons ? Ce n’est pas évident.
La courbe de la demande
Comment expliquer que des individus en soient arrivés parfois aux mains pour se procurer ces pots tant convoités ? La réponse réside dans la courbe de demande : cette dernière reflète la disposition à payer des consommateurs. Le prix d’un marché à l’équilibre reflète la disposition à payer de l’acheteur marginal, c’est-à-dire celui qui n’achèterait plus si le prix était légèrement supérieur.
En abaissant le prix de 70 %, c’est à une foule d’acheteurs potentiels qu’Intermarché a ouvert la porte. On peut ici tirer deux conclusions. La première est qu’Intermarché a bien mal évalué la demande qui lui était adressée. L’enseigne aurait pu augmenter (c’est-à-dire diminuer de moindre ampleur) le prix tout en écoulant l’intégralité de ses stocks, mais sans file d’attente et échauffourées, augmentant de la sorte ses profits. C’est un manque à gagner.
Le mauvais signal
Ensuite, comment justifier un tel comportement de la part de certains clients ? Quand un prix n’envoie pas le bon signal, d’autres ressources rares, telles que le temps, sont mobilisées. Au Venezuela (ou dans les anciens pays socialistes), les prix sont administrés et les clients doivent faire la queue pour obtenir ce qu’ils désirent. Des émeutes peuvent s’observer lorsque l’autorité ne dispose pas des moyens nécessaires pour faire respecter l’ordre.
Une autre ressource rare est alors mobilisée : l’intégrité physique par usage de la violence. Cela permet ainsi de gagner du temps (et non de l’argent sur le prix puisque celui-ci est fixé). Si Intermarché avait été en mesure d’anticiper la vague de clients, sans doute aurait-il pu organiser des systèmes de file d’attente, comme pour les concerts prisés ou la sortie des nouvelles consoles de jeux ou smartphones. Sauf qu’alors il aurait mieux fait tout simplement d’augmenter le prix.
En conclusion, Intermarché a bien mal évalué la domination de Nutella sur son segment et la disposition à payer des clients. En décidant d’un prix trop faible, ceux-ci ont fait appel à leur autre ressource rare : le temps. Et lorsqu’aucune organisation des files n’est prévue, chacun en profite pour gagner du temps par la violence.
Le gouvernement peut ainsi vaquer à d’autres occupations. Nul besoin d’enquête ni de réglementation nouvelle. Dans le secteur concurrentiel des supermarchés, Intermarché reviendra vite dans une logique de maximisation de profit et les promotions exagérées disparaîtront.
Faute de disposer des comptes d’Intermarché, nous n’avons là que spéculations gratuites…
Article intéressant. Dans le même domaine ou presque, je suis étonné que Contrepoints ne nous ait pas parlé (à ma connaissance) de la récente et troublante pénurie de beurre. Quels étaient les mécanismes à l’œuvre ?
bonjour D.F.,
c’est relativement simple :
Lactalis est un acteur très important de ce marché devenu mondial qu’est le beurre. il y a une demande mondiale (entre autres en Chine) pour ce produit. Lactalis a donc augmenté ses prix auprès des distributeurs français. qui ne l’ont pas accepté car, comprenez vous, on obéit aux distributeurs. Lactalis a donc décidé de ne plus les approvisionner et de fournir ses meilleurs clients étrangers. et ça leur a fait bizarre aux distributeurs.
Pourquoi ne citer que Lactalis? Tous les autres industriels du marché laitier sont aussi producteurs de beurre et ils ont raisonné de la même manière.
Il y avait effectivement pénurie de beuure…à l’ancien prix.
Une demande de la Chine ? vous êtes sur ?
Voici une photo d’un facing du rayon beurre dans une grande surface française en Chine dans une grande ville 12 millions d’habitants: http://image.noelshack.com/fichiers/2018/05/5/1517543338-2017-11-04-11h21m09-1.jpg
Ils vendent tous au plus 2 plaquettes de beurre dans la semaine. Il n’existe pas de recette de cuisine au beurre en Chine, les chinois ne mangent pas de pain, ni au petit déjeuner ni les autres repas.
Il n’y a franchement rien de troublant aux mécanismes de la concurrence. Qualifier la concurrence de crise est symptomatique de la profonde incompréhension de l’économie dans ce pays. Il est vrai qu’en France, quand par miracle la concurrence joue enfin, tout le monde est surpris ou feint la surprise, à commencer par les monopoles, les oligopoles et toutes ces sortes de connivences que l’Etat obèse soutient et entretient avec une passion amoureuse.
Merci à tous pour vos réponses. Ce ne sont pas les mécanismes de la concurrence que je jugeais troublants, mais la pénurie de beurre en elle-même.
(Et je me demande pourquoi trois abrutis ont cru bon « downvoter » ma question, qui était peut-être niaise à leurs yeux mais, me semble-t-il, assez légitime.)
Simple et lumineuse démonstration de la théorie économique. C’est intéressant, mais n’oubliez-vous pas que dans la réalité, il existe une loi qui interdit de vendre à perte ?
L’auteur énonce des marges supposées importantes qui permettraient cette promotion…
Analyse très fine et amusante !
J’envie les étudiants de cet enseignants.
De telles marges laissées au distributeur par une marque leader m’étonnent aussi un peu.
Il semble qu’il s’agit de vente à perte de la part d’Intermarché, cela grâce à la période des soldes.
La plupart du temps dans ce genre de vente c’est à la fois le producteur et le distributeurs qui écrase ou annule leur marge. D’expérience ce genre d’opération « prix cassés » sur un ou deux articles sont très profitable pour les magasins car la plupart des clients en profitent pour acheter d’autre produits qui eux ne sont pas en promotion. La grande distribution est une industrie mature qui maitrise parfaitement sont business et éminemment pragmatique, si ce genre d’opérations n’étaient pas profitables elles n’existeraient pas tout simplement. C’est juste un des nombreux outils de vente parmi tant d’autre…
Même les plus grande marque on besoin de temps à autre d’être mis en avant et rien n’est plus efficace qu’une bonne opération « prix cassé ». même coca cola y passe c’est dire…
La loi qui interdit de vendre à perte est facilement contournée par la grande distribution, puisque ce sont les fournisseurs qui doivent prendre en charge les opérations promotionnelles : vous me fournissez du Nutella à -70%, et je vous le vends dans mes magasins en mettant une grande page de pub dans les prospectus et des affiches…
Un supermarché vend…..le contenu d’un charriot ,la marge se calcul sur le charriot pas sur chacun des elements constitutifs.
Cette loi est donc obsolète et sans objet aujourd’hui….une voiture vendue sans options obligatoires est vendue à perte comme les imprimantes jet d’encre par exemple, la ‘marge se calcule sur l’ensemble. Tefal pourrait offrir la’pate à crêpe pour vendre une crepière par exemple , interdit ?non.
Intermarché offre du nutella à ses clients comme il’vous offre le verre d’eau ou l’usage de toilettes…
Quelle drôle d’histoire en période de soldes..c’est sûr qu’une vraie solde est très choquante ,elles sont devenues tellement rares….
Ils sont fous ces Français de ce battre pour du nutella
@ BOYER
Ils ne se sont pas battus pour du Nutella mais pour « du Nutella à ce prix-là »! (Et belle publicité « gratuite » pour Intermarché!)
Respectons la liberté des prix et laissons faire le marché. Le gouvernement n’a pas à intervenir.
@ Jacques Peter
Que c’est beau un « principe » qui ne tient pas compte de son application concrète!
Le réel ne se pliera pas souvent à vos « principes » (irréalistes)!
L’être humain n’étant pas parfait, les échanges inter-humains ne peuvent être parfaits également. En quoi est-ce surprenant?
Le réel se plie encore moins aux applications concrètes des principes socialistes, gauchistes et du même style, dont les conséquences sont encore plus éloignés des idéaux initiaux soutenant ces mêmes principes. Entre deux maux, on choisit le moindre.
@ Gosseyn
Pas plus que tous ses congénères aussi « pseudo-scientifiques »!
« Cette domination a moins à voir avec ses campagnes publicitaires qu’avec le succès de sa recette. Si les concurrents pouvaient faire aussi bien et moins cher, ils le feraient et attireraient ainsi l’ensemble des clients à eux. »
C’est tout à fait inexacte. Vous négligez largement l’inconscient et l’effet de la propagande sur les esprits des masses.
On sait que des gens qui ne connaissent pas le nom du produit préfère Pepsi à Coca-Cola, mais dès lors qu’on nomme la marque le choix « rationnel » change subitement.
En fait, c’est une erreur de croire que l’humain est rationel tout le temps. Non il ne l’est pas. Il y a une grande part d’inconscient et d’irrationnel, d’habitute, que l’on a tous et y compris dans nos choix de consommation.
Pour preuve : il existe des marques qui valent largement celle de Nutella, mais l’habitude fait que pendant longtemps si je devais acheter de la pâte à tartiner j’achetai nutella (bon en fait je n’achète pas ce genre de produit mais bon).
Certes mais c’est constitutif de l’être humain.
Cela n’autorise en rien certains, forcément mieux-pensants et plus rationnels (évidemment) que les autres, à obliger les mêmes autres à vivre selon leurs recommandations « éclairées ».
Indépendamment de la mauvaise appréciation d’Intermarché qui aurait pu gagner plus en évitant un retentissement pas vraiment positif, cet article donne un aperçu intéressant des mécanismes économiques en jeu dans cette histoire.
Il montre aussi la vacuité d’une éventuelle intervention étatique à ce sujet. L’interventionnisme étatique multiforme étant la véritable plaie de ce pays avec tous ces « responsables » « éclairés » qui veulent régir la vie de leurs concitoyens jusque dans des détails les plus insignifiants… toujours pour leur bien évidemment. Mais c’est bien constitutif de certaines idéologiques (malheureusement prégnantes en France) qui visent à obtenir, aux forceps s’il le faut, un Homme « socialement » parfait.