Par Thierry Benne.
Un article de l’Iref-Europe
La mise sous tutelle de cet organisme ne résoudra pas la question de son (in)utilité. Il est fort probable que l’économie française se porterait mieux sans ses propositions.
Présentation de France Stratégie
À vrai dire, nous avons trop souvent croisé le fer contre ses propositions, pour que le centre public d’étude et de réflexion France Stratégie soit inconnu de nos lecteurs. Ils se rappellent sans doute notre dernière philippique contre le loyer fictif, avec la mise en évidence de grossières erreurs de calcul inadmissibles à ce niveau.
France Stratégie est la nouvelle appellation du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, qui a pris en 2013 la succession du Commissariat à la Stratégie, héritier lui-même de l’ancien Commissariat au Plan. Rattachée au Premier ministre, c’est une structure lourde puisqu’elle réunit une bonne centaine de personnes (cf. sur le site officiel, les pages « Équipe »), dont pour l’essentiel des économistes, des hauts fonctionnaires et des experts de fort calibre.
Cinq missions lui sont dévolues dans les domaines de la prospective, de la stratégie, de l’évaluation des politiques publiques, des différentes formes de concertation et de débat public, des comparaisons internationales des politiques publiques.
France Stratégie a également la charge d’animer un réseau de sept Conseils et Centres, dont notamment le Conseil d’Orientation des Retraites, le Conseil d’Orientation pour l’Emploi, le Conseil d’Analyse Économique et le Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales. À vrai dire, un bien vaste réseau, qu’il serait très certainement dommage de priver des conseils d’un pilote avisé.
À ceci près que depuis un certain temps, s’inspirant ouvertement des thèses de Terra Nova et d’une partie de l’intelligentsia de gauche (Piketty, Attali et consorts) l’Agence s’est lancée dans la provocation systématique et la formulation des propositions les plus farfelues, en témoignant d’une antipathie marquée aussi bien envers les propriétaires fonciers réduits sans ménagement au rang de « rentiers », que des retraités accusés d’accaparer avec leurs pensions excessives des ressources qui seraient bien mieux employées dans une politique ambitieuse pour la jeunesse.
La proposition explosive de France Stratégie
Même si France Stratégie nous a déjà habitués par le passé à quelques embardées mémorables, il faut reconnaître que cette fois-ci, elle a frappé un grand coup. Ce mercredi 11 octobre, elle lance sur son site une note d’analyse (N° 62) qui tient en 12 pages serrées et qui indique « Comment assurer la résorption des dettes publiques en zone euro ».
A priori le titre est suffisamment neutre, il ne vend pas la mèche et il dissimule parfaitement l’explosif caché à l’intérieur. Il faut donc défaire soigneusement le paquet pour accéder à la charge. Mais là on n’est pas déçu !
De quoi s’agit-il ?
L’étude part du constat que les dettes publiques de la zone euro ne cessent de croître, qu’elles ont atteint des niveaux préoccupants et que même les politiques les plus volontaristes et les plus rigoureuses des États ne produiront guère d’effet tangible avant plusieurs décennies. Or durant ce laps de temps, les États se trouvent dans une position de vulnérabilité telle que leur défaillance n’est pas à exclure.
France Stratégie se propose donc de tracer les pistes permettant de surmonter ce risque. On n’entrera pas dans le détail très technique de toutes les solutions alternativement avancées qui jouent notamment sur la variation des degrés de solidarité entre les États ou sur le concours plus ou moins appuyé de la Banque centrale, avec éventuellement l’émission d’obligations perpétuelles à taux zéro.
Mais toutes ces solutions plus ou moins indexées sur une croissance rien moins qu’acquise ne peuvent évidemment supprimer le risque, elles se bornent donc à le différer, à le partager, à le transférer ou même en solution ultime à le noyer avec le recours peu aguichant à la planche à billets.
Or pour vaincre tous ces obstacles, France Stratégie observe finement qu’il existe un moyen beaucoup plus simple, beaucoup plus sûr et beaucoup plus rapide de restaurer efficacement la solvabilité des États. C’est d’organiser une sorte de casse public sur les biens immobiliers résidentiels du secteur privé.
Il suffit de décréter que l’État s’approprie du jour au lendemain une partie du terrain sur lequel est bâti tout immeuble résidentiel pour qu’instantanément la solvabilité de l’État se redresse, puisqu’il inscrit à l’actif de son bilan la contrepartie du produit de ce qui est présenté comme un impôt exceptionnel.
Certes, me direz-vous, l’État est plus riche (et les propriétaires fonciers plus pauvres !), mais jusqu’à présent cela ne procure au Trésor public aucune liquidité supplémentaire susceptible de diminuer l’endettement constaté.
C’est sans compter sur l’imagination débordante de France Stratégie qui « essore » jusqu’à la corde le propriétaire ainsi spolié, en exigeant de lui une sorte de loyer sur la partie du terrain dont l’État lui laisse généreusement l’usage, après en avoir indûment confisqué la propriété.
Le propriétaire ne peut pas s’acquitter chaque année de cette nouvelle charge imprévue ? Qu’à cela ne tienne, l’État bon prince lui fait crédit : la redevance non acquittée ira en portant intérêt grossir la valeur du capital foncier que l’État s’est approprié et en bon prêteur à gages, il revendiquera en conséquence une fraction plus importante du prix de l’ensemble bâti ou de son estimation lors de la prochaine mutation (vente ou succession) constatée.
Une mesure très satisfaisante pour l’État
Naturellement, très satisfaits d’eux-mêmes, les quatre auteurs (dont le commissaire général adjoint) de cette proposition géniale n’en reviennent pas eux-mêmes et se félicitent de tous ses avantages : elle re-solvabilise efficacement les États, la redevance foncière réduit les impôts des propriétaires, puisque leur revenu (et aussi leur capital !) est amputé d’autant, l’expropriation plante un bon coup d’épingle dans la bulle immobilière qui va se dégonfler instantanément et in fine cela accroîtra la mobilité de la population active auparavant captive de sa propre implantation foncière.
En effet, dans une certaine philosophie faussement libérale, le salarié n’est rien de plus qu’un simple pion que l’on déplace instantanément sur l’échiquier de l’emploi. Or, dans l’esprit de nos penseurs, il s’agit d’un moyen de production parfaitement fongible, entièrement et immédiatement délocalisable pour rejoindre au plus tôt l’emploi qu’on lui assigne. On assure ainsi cette parfaite fluidité de l’emploi, qui séduit tant le monde de la finance. Bref rien que des avantages, ce qui n’est évidemment pas le point de vue des propriétaires.
Pour eux, cette expropriation rampante va inciter l’État à augmenter encore la dépense publique, puisque l’exemple de la CSG montre suffisamment que l’appétit public est insatiable dés lors qu’il s’agit de glisser sur la pente de la facilité.
Qui garantit donc que cet impôt prétendument exceptionnel ne suivra pas le sort de la plupart de ses prédécesseurs inlassablement reconduits et majorés ? Que vaut encore la parole d’un État, s’apprêtant à devenir voleur, après avoir été trop souvent menteur ?
D’autre part si le Conseil constitutionnel fait primer son rôle de juge sur celui de « conseil », l’atteinte à la propriété ne fait aucun doute et la réforme passerait alors inévitablement par une modification de la Constitution, dont on imagine sans peine le trajet compliqué et incertain.
Enfin au lieu du dégonflement progressif de la bulle immobilière, on entrerait immédiatement en période de crise avec un effondrement quasi-immédiat du marché :
- de l’ancien, sous le nombre des biens immédiatement mis en vente
- du neuf, aucun acquéreur sensé n’acceptant de payer 100 % du prix d’un bien dont le copropriétaire public, qui s’est installé de force et en parasite n’est ni honnête, ni sûr, ni à vrai dire fréquentable.
Et plus personne n’ayant intérêt à devenir ou à rester propriétaire de son logement, ou plus largement à investir dans un logement quelconque, on peut s’attendre à une crise économique et locative majeure dont nos quatre apprentis sorciers n’ont sans doute pas la moindre idée.
D’ailleurs, pourquoi réserver cette merveilleuse suggestion aux seuls biens immobiliers et ne pas procéder de même pour les actifs financiers ou mieux pour les œuvres d’art (dont on bloquerait ainsi subsidiairement le risque de transfert à l’étranger, puisqu’avec l’État en croupe, elles deviendraient quasiment incessibles du jour au lendemain) ?
C’est ainsi qu’on perçoit les relents de la veille rancœur des intellectuels (?) de la gauche française , avec aussi le mépris rentré de l’Inspection des Finances vis-à-vis de ce que ces messieurs appellent avec condescendance la rente immobilière.
En réalité, et par pure idéologie, ces gens-là n’ont toujours pas compris que l’immobilier fait directement partie de l’économie d’une nation, qu’il existe un marché de l’immobilier, des entreprises et des métiers du bâtiment, des centres de formation, une importante filière d’apprentissage, toute une palette d’investisseurs, des prix, un parc locatif et qu’amputer le pays de l’apport du bâtiment, ou scléroser son activité, c’est se diriger à coup sûr vers d’énormes problèmes en termes de production, d’emploi, de formation, de crédit, de consommation, de logement, d’organisation du territoire et même de compétitivité internationale.
Une provocation inutile de France Stratégie
Quoi qu’il en soit, cette note d’analyse N° 62 conjugue ainsi une inutile provocation destinée à choquer le bourgeois avec un encouragement implicite à laisser filer la dépense publique pour laquelle il suffira à l’avenir – et quoique ses promoteurs s’en défendent – de faire varier le curseur du taux d’expropriation. France Stratégie offre ici un magnifique exemple de ce que l’État peut inventer pour gaspiller l’argent du contribuable, sans l’once du moindre retour utile à la nation.
D’ailleurs, fort mécontent de cette publication intempestive dont le pouvoir se serait bien passé juste avant la discussion de la loi sur le logement, l’entourage du Premier ministre ne mâchait pas ses mots : « France Stratégie a pris l’habitude de publier des idées irréalistes sans aucune impulsion politique ».
D’autant que l’Allemagne et l’Italie s’étaient immédiatement émues de ces propositions délirantes édictées pour toute la zone euro, et publiées officiellement sous l’autorité apparente du Premier ministre, mais visiblement sans que personne de son Cabinet n’ait donné un quelconque imprimatur. Et quand on s’aperçoit que les Conseils d’Orientation de l’Emploi, d’Orientation des Retraites ou encore de l’Analyse Économique appartiennent tous au même réseau, sous la coupe du même chef de file, il y a évidemment quelque souci à se faire.
Au point que le Premier ministre envisagerait de placer la turbulente officine sous la tutelle du futur Délégué à la Transformation Publique, ce qui n’est pas à proprement parler un cadeau vu l’ampleur du reconditionnement intellectuel à effectuer.
Du moins, même si son ancien président est devenu l’un des plus proches conseillers du prince, on se prend à espérer que France Stratégie ne puisse bientôt plus continuer librement et en dehors de tout contrôle à alerter les médias et à affoler les foules par des propositions complètement extravagantes issues d’un monde privilégié et irresponsable de hauts fonctionnaires, d’économistes et d’experts bobos complètement coupés des réalités de la vie courante.
Doutons quand même que cette demi-mesure parvienne à satisfaire les contribuables exaspérés par les onéreuses facéties de l’occupante du prestigieux hôtel de Vogüé, car on ne compte plus le nombre de ceux qui pensent qu’il n’y a aucune raison de différer la dissolution pure et simple d’un organisme qui a largement fait la preuve de son inconséquence et même parfois de sa nocivité.
C’est sans doute la raison pour laquelle, audacieuse mais non point téméraire, France Stratégie évite soigneusement de rappeler sur son propre site le budget qui lui est alloué, en montrant ainsi que même dans le plus public des laboratoires d’idées, l’information économique a ses limites.
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J’aurais bien vu le titre suivant :
France Stratégie, l’onanisme inutile
Parce que envisager la faillite douce et contrôlée de l’état est illusoire. Ils envisagent des scénarios pour que l’état puisse continuer à faire la fête. Lorsque la faillite surviendra, rien ne se passera comme prévu. Ce sera le chaos, comme en Grèce, et les plus faibles en paieront le prix le plus élevé. Le problème qu’ils n’ont pas vu, c’est que la France, c’est plus lourd que la Grèce. Qui aura les moyens d’avancer autant de moyens ❓
Excellent article.
Delenda est « France Stratégie »!
Ce n’est pas France Stratégie qu’il faut l’appeler, mais France communiste débile. Les français sont des abrutis donc ce pays est foutu!
Si vous en doutiez encore France stratégie vient vous le prouver une fois de plus.
Évidemment, dans l’immédiat la mesure imaginée a des côtés « logiques »:
– comme les « rois de France », l’état redeviendrait propriétaire de tout le territoire (pourquoi s’arrêter qu’aux sols bâtis?)
– en redevenant propriétaire, l’état hérite en même temps de la « rente » de bailleur
– en calcul économique, de fait, l’état s’enrichit: il augmente d’un coup sec, son capital et ses revenus … dans l’immédiat théorique.
– en fait, l’état ne ferait que remonter de la profondeur à la surface sa propriété si, en France comme dans d’autres pays, un propriétaire actuel ne l’est pas du sous-sol de ses terres et de ses éventuels trésors: minerais, eau, énergie.
– Par contre, j’imagine le casse-tête administratif qui suivra: à commencer par une réactualisation, chiffrée, pas trop approximative de la valeur cadastrale de toute la France métropolitaine ou pas, bâtie.
– Et puis les conséquences si cette mesure folle n’a pas d’équivalent dans les autres pays: « l’émigration des riches » est loin de s’éteindre
– Je suppose qu’en 12 pages, l’étude sérieuse des conséquences psychologiques, politiques, internationales ou économiques chiffrées de cette mesure ne tiendrait pas dans 12 pages!
Bref « qui a bien pu pondre ça et qui ne l’a pas recouvert »?
Si la France cherche où faire des économies, qu’elle poursuive la tâche de J.M.Ayrault qui avait commencé à dissoudre ces centaines de « comités Théodule » et autres conseils et groupes d’étude … et leurs administrations ancillaires. « Stratégie » payante!
Excellent article (tant pis pour la redondance du commentaire !).