Un printemps tunisien

À l’occasion de la célébration de la fête de la Femme en Tunisie, ce 13 août 2017, le président de la République a annoncé des mesures fort attendues depuis longtemps en mesure de donner enfin naissance à un printemps tunisien.

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Drapeau Tunisien à Paris en 2011 lors d'une manifestation (Crédits Gwenael Piaser, licence Creative Commons)

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Un printemps tunisien

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 16 août 2017
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Par Farhat Othman.

La Tunisie qui a été à la source du printemps arabe est en passe d’avoir enfin son propre printemps. En effet, à force de parler de cette saison du revif, on l’aura enfin sous forme d’islam tunisien, marquant le triomphe d’un l’islam paisible et policé sur cette terre maghrébine profondément soufie.

C’est aussi la revanche tant attendue de ce soufisme maghrébin, correcte lecture de l’islam des origines, sur un salafisme qui n’est que l’islam du temps de décadence, par trop mâtiné de traditions judaïques et chrétiennes, un islam judéo-chrétien.

Méthode Coué postmoderne

C’est un peu une méthode Coué postmoderne qui a prévalu en Tunisie avec le dernier discours du président de la République qui lance la révolution mentale tant attendue au pays.

Elle est d’autant plus capitale qu’elle vient juste après un discours du chef du gouvernement pour en contester, et à juste titre l’analyse; ce dernier prétextait, en effet, pour oser l’égalité successorale, que la société n’était pas encore prête.

Or, les observations sociologiques les plus pertinentes l’ont démontré : le peuple tunisien est mûr pour toutes les avancées démocratiques, y compris dans sa lecture de l’islam; ce sont ses élites qui ne le sont pas, tirant avantage de la législation scélérate de la dictature, dont des pans entiers datent du protectorat, pour asseoir leur mainmise sur une société voulue toujours asservie.

Il est vrai, cette minorité traditionaliste dans le pays est fort active, étant instrumentalisée idéologiquement et politiquement; aussi, c’est elle qu’on entend le plus, non la voix sage du Tunisien qui est hédoniste, bon vivant.

Une telle instrumentalisation a atteint son summum  avec le gouvernement de la troïka, quand les islamistes avaient encore le vent en poupe à la faveur de la stratégie occidentale en Syrie et en Libye, arrivant ainsi à transformer le jeune Tunisien en terroriste, grâce à un judicieux lavage de cerveau, mais aussi et surtout le déni de ses droits et ses libertés.

Pourtant, la réputation du Tunisien est d’être le plus doux des Maghrébins, une brebis même, disent les mauvaises langues du fait de son goût raffiné pour une vie paisible, son ouverture sur l’altérité et son penchant à croquer la vie à pleines dents. Et voilà la jeunesse tunisienne la plus nombreuse chez les terroristes ! Et voilà le jeune Tunisien loup égaré du terrorisme mondial diffracté dans le monde entier.

Un tel état des choses ne pouvait durer et il y a été mis fin avec l’échec occidental en Syrie et le chaos en Libye qui dessert bien plus les intérêts de l’Occident à long terme qu’il ne les sert à court ou moyen terme. Car il y a péril en la demeure, puisqu’il y va désormais de la sécurité de l’Occident lui-même.

Une nouvelle donne

La nouvelle donne en Syrie et dans le monde a vu refluer le soutien occidental aux islamistes dans le cadre de cette alliance classique du capital et de la religion la plus rigoriste; on l’a vu, hier, avec le protestantisme et le capitalisme et on le voit, aujourd’hui, avec un capitalisme redevenu sauvage et un salafisme islamiste, ce que j’ai qualifié de capitalislamisme sauvage.

On l’a vérifié en Tunisie comme au Maroc, la férule islamiste recule. Annoncée déjà par le rapport Jenkins, elle ne pouvait durer eu égard à ses ratages au plus haut sommet de l’état; certains parlent même de crimes; C’est dire !

Malgré cela, en Tunisie, à la faveur de ce qu’on a appelé compromis historique, le parti Ennahdha, officiellement second au pays, mais véritable premier parti en termes de poids législatif, est resté puissant, agissant en coulisses.

Moyennant un profil bas allié à une désinformation efficace, il réussit à tromper sur ses intentions véritables, son ramage ne donnant lieu à aucune action concrète; aussi a-t-il continué à agir en douce pour maintenir en l’état la législation liberticide de la dictature toujours en vigueur.

En cela, bien qu’à terre littéralement, il continue à bomber le torse, du fait qu’il a su bénéficier du secours des supposés laïcistes, ses partenaires au pouvoir qu’il a su noyauter comme il l’a fait, hier, du temps, de la troïka.

Car ce sont les modernistes qui sont responsables en premier, avec à leur tête les amis d’Occident, très actifs en Tunisie, dans la persistance des lois obsolètes dans le pays. On l’a vu dernièrement avec cette fausse bonne loi sur les violences faites aux femmes qui néglige l’essentiel pour se focaliser sur l’accessoire devenu capital du point de vue occidental, en harmonie avec une vision occidentalocentriste en totale déconnexion avec les réalités du pays.

Il semble que l’on ait enfin réalisé à quel point la conjoncture est favorable à un véritable coup de balai dans la législation antique du pays. L’Occident semble comprendre son erreur en Tunisie et agirait désormais dans ce sens.

D’où le discours présidentiel osant enfin s’orienter vers l’égalité successorale et le droit des femmes à se marier avec qui elles veulent, et ce non seulement au nom de la Constitution, mais aussi et surtout de l’islam auquel elle renvoie au demeurant. Ce qui est parfaitement possible et auquel on n’a pas arrêté d’appeler et de le démontrer.

Marchandage politique

Le sûr est que sans une telle réorientation stratégique de la part de nos partenaires d’Occident, le chef de l’État n’aurait pas fait aussi vite se volte-face, désavouant son chef de gouvernement, mais aussi bousculant ses partenaires islamistes.

Certains parmi eux jugent ce discours comme une sorte de coup de pied de l’âne à leur égard. D’ailleurs, le chef du parti islamiste, officiellement en vacances, n’a pas assisté au discours du président.

Il est acquis aussi que le président n’aurait pas osé ce que certains excités de la politique qualifient de trahison, nécessitant sa destitution, qu’après avoir eu l’assentiment du parti islamiste pour l’appuyer, ne serait-ce que parce que le système mis en place, dans le pays l’impose du fait de son poids au parlement.

Cela ne fut pas sans concession de la part de Carthage, bien évidemment, si ce n’est un marchandage. Car aujourd’hui, on pratique en haut lieu le fameux jeu enfantin « je te teins tu me tiens par la barbichette ».

La clef d’explication de cette nouvelle stratégie était d’ailleurs dans le discours du président qui, malgré sa confirmation que la Tunisie n’a pas rompu juridiquement ses rapports avec la Syrie, ainsi que l’a démontré son talentueux ministre des Affaires étrangères, se retient encore d’y envoyer un ambassadeur en excipant juste du fait de la guerre dans le pays.

Il s’agit d’un argument peu consistant, bien évidemment, mais qui sonne comme un avertissement : soutenez ma réforme ou j’agis de concert avec les autorités syriennes. Ce qui gênerait à haut point les islamistes eu égard à la question des filières de jihadistes tunisiens envoyés en Syrie du temps de leur passage au pouvoir en quasi solo.

Une délégation parlementaire, qui a fort irrité le parti islamiste, surtout du fait de l’activisme en parallèle du puissant syndicat dans le sens du rétablissement des relations diplomatiques avec la Syrie, est rentrée au demeurant de ce pays avec, selon ses dires, de compromettantes révélations pour le parti Ennahda.

S’attaquer aux sujets sensibles

C’est la faiblesse politique avérée du parti islamiste qui autorise aujourd’hui toutes les avancées possibles et imaginables en Tunisie, un printemps arabe enfin avéré sous sa forme tunisienne, une exception Tunisie.

Cela commencera donc par l’égalité successorale et le mariage de la musulmane avec le non-musulman: mais cela ne doit pas s’arrêter là, en toute bonne logique. Déjà, l’abrogation de la circulaire illégale sur cette dernière question doit entraîner ipso facto une autre, aussi illégitime, relative à la vente et la consommation d’alcool, dont il a été démontré qu’elle n’est pas interdite en islam, seule l’ivresse l’étant.

C’est qu’Iil importe aussi d’oser au plus vite aller plus loin sur tous les sujets sensibles parmi les plus honteux, comme le droit à une libre vie privée pour les citoyens, notamment sexuelle entre adultes consentants, y compris de mêmes sexes, mais également la dépénalisation du cannabis, la loi actuelle, même amendée, faisant trop de ravages dans les milieux des jeunes sans véritable intérêt de santé.

En effet, c’est sur de telles questions délicates, érigées en faux tabous qu’il est possible de progresser aujourd’hui; faut-il oser y croire et y agir ! D’ailleurs, le parti islamiste a pris ses précautions à ce sujet en se positionnant sur de tels sujets, que cela soit l’homophobie, l’alcool ou le cannabis.

C’est que l’argument religieux a bien été  démonté, notamment pour l’homosexualité, et il importe donc de se débarrasser du prétexte de l’opposition de la société, qui est un pur mythe, encore plus que  de l’opposition du parti islamiste, pure tactique.

Aujourd’hui, plus que jamais, les pieds du géant Ennahdha sont d’argile, le roi Ghannouchi étant tout nu. C’est le temps du printemps tunisien !

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  • Le capitalisme redevenu sauvage ?! On l’avait domestiqué avant ? Cet article n’a rien à faire sur contrepoints.

  • Jeu de plage, c’est de saison :

    Cherche dans le texte au moins 5 mots ou expressions qui rejettent sur l’occident les malheurs présents de la Tunisie… qui est indépendante depuis … 1956.

  • Ah bon, l’islam est décadent car trop mâtiné de traditions judaïques et chrétiennes ?
    Je croyais sottement que l’islam décadent était celui de la violence, du djihadisme, de l’intolérance, de la sujétion des femmes…
    On m’aura mal renseigné.

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