Par Frédéric Mas.
Dans son livre de psychologie morale Tribus morales. L’émotion, la raison et tout ce qui nous sépare, Joshua Greene relate une expérience faite par un magazine américain.
Celui-ci avait demandé à une partie de ses lecteurs : « Si quelqu’un vous intentait un procès dont vous sortiez blanchi, cette personne devrait-elle payer les frais d’avocat ? ».
85 % des personnes avaient répondu positivement. À une autre fraction de ses lecteurs, le magazine avait posé la question suivante : « Si vous traîniez quelqu’un en justice et que vous perdiez le procès, devriez-vous payer ses frais d’avocat ? ». Pour 44 % d’entre eux, pas question.
Dans les deux cas, la perception de la réalité est déformée par l’intérêt personnel, le plus souvent de manière inconsciente, ce qui nous empêche d’être, dans le domaine de la morale, du droit ou de la politique, les juges impartiaux que nous prétendons parfois être.
Pour Joshua Greene, ce biais a pour origine nos conceptions de la morale, taillée évolutivement pour convenir à la coopération au sein des petits groupes, mais pas entre les groupes eux-mêmes : le tribalisme moral tend à biaiser nos jugements en faveur de notre propre groupe – quel que soit le groupe dans lequel nous nous insérons réellement.
Le tribalisme politique à l’honneur dans Tribus morales
Le tribalisme le plus exposé médiatiquement en ce moment reste le tribalisme politique : le biais partisan qui nous conduit à favoriser notre groupe au détriment de celui d’en face, à percevoir d’un œil favorable ce qui renforce nos convictions, et à ignorer ce qui peut les affaiblir n’est peut-être pas étranger à la défaite à la fois des Républicains et des socialistes aux législatives.
À entendre certains stratèges et analystes politiques en vue à la gauche de la gauche et à la droite de la droite, il fallait, soit mettre la barre totalement à gauche, soit totalement à droite pour gagner les suffrages. En remportant les primaires à gauche, Benoit Hamon personnifie cette stratégie de l’échec plaçant la barre à la gauche de la gauche, en se basant sur les opinions et les commentaires des militants les plus à gauche du Parti socialiste.
La polarisation politique n’a pas payé
À droite et (plus souvent) à l’extrême droite, certains analystes, dans le sillage de Patrick Buisson, ont eux aussi soutenu la nécessité de porter le combat sur les valeurs de sa frange la plus radicale (et la plus antilibérale), oubliant au passage deux données fondamentales : Les Républicains est un catch all party interclassiste traditionnel, qui assemble des intérêts et des valeurs très divers, et les tentatives de combler le fossé entre extrême droite et centre-droit se sont jusqu’à présent soldées par des échecs répétés (certains pourront avoir en tête les tentatives du MPF de M. Philippe de Villiers pour occuper ce terrain).
Résultat : Emmanuel Macron a gagné au centre, en fédérant l’aile droite du parti socialiste et l’aile gauche des Républicains. Plutôt que de repenser à nouveau frais les lignes de clivage idéologiques, les nouveaux rapports de force, et l’éternel dialectique entre passions et intérêts, certains, en guise d’analyse, ont préféré vendre aux partis et à leur clientèle ce qu’ils souhaitaient entendre plutôt que les analyses qui auraient pu les porter à la victoire.
En politique, l’extrême polarisation tribale des positions morales n’est pas toujours gagnante.
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