Retraites : la capitalisation est-elle vraiment efficace à tous les niveaux ?

L’économiste Jacques Bichot répond à l’article de Jacques Garello sur la nécessité de réformer les retraites grâce à la capitalisation.

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Seniors Retraités (Crédits Patrick, licence CC-BY-NC-ND 2.0)

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Retraites : la capitalisation est-elle vraiment efficace à tous les niveaux ?

Publié le 3 juin 2017
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Par Jacques Bichot.

Mon collègue et ami Jacques Garello a soutenu dans ces colonnes que, pour préparer les retraites, la capitalisation est efficace « à tous niveaux ».

Le passage de la répartition à la capitalisation permettrait, selon lui, d’augmenter le taux de remplacement obtenu par les retraités tout en réduisant du tiers le taux de cotisation.

Ces affirmations séduisantes reposent hélas sur une mauvaise compréhension du fonctionnement de la retraite par répartition et des problèmes que rencontre cette formule, ainsi que sur une appréciation trop optimiste des possibilités offertes par la capitalisation classique.

Nous allons montrer que la répartition ne peut pas être supprimée, mais devrait être réformée dans un sens lui conférant toutes les vertus que Jacques Garello reconnaît à la capitalisation classique, dont je recommande d’ailleurs le développement.

Tout système de retraite fonctionne grâce à l’investissement

Le but des systèmes de retraite est de reporter du revenu de la période médiane de l’existence vers la période terminale. Tout report de revenu s’opère en consacrant une partie de la production à l’investissement, de façon à profiter ultérieurement des dividendes du capital ainsi constitué, ainsi que de la revente de ce capital, pour acquérir une partie des biens et services qu’il contribue à produire.

Or il existe deux sortes de capital : les hommes (capital humain) et les équipements, avec la technologie et l’organisation nécessaires à leur existence et à leur fonctionnement (capital classique).

Le capital humain représente des investissements deux à trois fois supérieurs à ceux que requiert le capital classique. Il serait donc raisonnable, pour organiser nos retraites, de compter pour un quart à un tiers sur l’investissement dans le capital classique, et pour deux tiers à trois quarts sur le capital humain.

Investir dans le capital humain

La retraite par répartition fonctionne toujours, économiquement, grâce à l’investissement dans le capital humain. C’est ce qu’Alfred Sauvy a expliqué dans le courant des années 1970 en utilisant une formule lapidaire : « pas d’enfants, pas de retraite ». Bien entendu, il ne s’agit pas seulement que des enfants viennent au monde, il faut qu’ils soient entretenus, soignés, éduqués – toutes opérations que les économistes analysent comme investissement dans le capital humain.

Hélas, les législateurs, dans tous les pays dotés de retraites par répartition, ont adopté des règles faisant des cotisations vieillesse la base légale de l’attribution des droits à pension.

Et les économistes, à de rares exceptions près1, ne leur ont pas expliqué leur erreur gravissime, ni le moyen de la corriger. Les droits à pension étant de ce fait attribués au prorata de versements qui ne préparent en rien les pensions futures (ils sont utilisés pour servir les pensions actuelles), les régimes fonctionnent de façon erratique.

Pourquoi il faut réformer, et non supprimer, la répartition

Cette architecture légale abracadabrante qui fait de la répartition un système de Ponzi doit impérativement être remplacée par des règles économiquement raisonnables.

Les régimes par répartition doivent fonctionner juridiquement comme ils fonctionnent économiquement, c’est-à-dire en attribuant des droits à pension au prorata des investissements réalisés dans la jeunesse, et non plus au prorata des cotisations vieillesse, qui sont de facto des redevances versées par les personnes ayant antérieurement bénéficié de tels investissements.

Autrement dit, il ne doit plus y avoir entre répartition et capitalisation que les différences inhérentes à celles qui distinguent le capital humain du capital classique.

Ceci étant, pourquoi ne pas suivre le conseil de Jacques Garello et mettre en extinction la répartition au profit de la capitalisation classique ? Tout simplement parce qu’il n’existe pas assez de capital classique pour constituer la base des opérations de report massives sur lesquelles nos contemporains souhaitent pouvoir compter.

Pas assez de capital classique

En France, il s’agit de plus de 400 milliards d’euros par an à demander au capital : 320 milliards de pensions, plus la prise en charge des seniors par l’assurance maladie (à laquelle ils cotisent de manière plutôt symbolique) et par l’assurance dépendance ou ce qui en tient lieu.

Or, 400 milliards, c’est un peu plus que l’excédent brut d’exploitation de la totalité des sociétés françaises : le résultat distribuable étant très inférieur à l’excédent brut d’exploitation, cela veut dire que les fonds de pension devraient être propriétaires exclusifs d’entreprises représentant plus que la totalité des entreprises françaises ayant la forme de sociétés.

La proposition de mon estimé collègue, si elle était mise en application, déboucherait donc sur la suppression de la plus grosse partie de la propriété individuelle, car il faudrait que les fonds de pension deviennent propriétaires non seulement de toutes les actions de sociétés françaises, mais aussi d’une très grosse partie de l’immobilier ou de l’équivalent en actifs étrangers.

Pas de place pour la propriété des classes moyennes

Certes, les fonds de pension français pourraient investir à l’étranger, mais cela ne donnerait pas une place importante à la propriété privée de la classe moyenne française.

Si l’épargne des ménages français, exception faite des plus riches, passe entièrement par des fonds de pension, ce ne sont pas ces ménages, mais les fonds, des investisseurs étrangers et une petite minorité de grandes fortunes, qui  seront propriétaires des biens fonciers, immobiliers et sociétaux français.

En revanche, rappelons que la faiblesse de la retraite par capitalisation dans notre pays laisse un champ considérable à son développement. Comme à Jacques Garello, cet essor, et aussi celui du viager – qui permet de conserver une part plus importante de propriété privée – me paraît hautement souhaitable.

Simplement, le mieux étant l’ennemi du bien, sachons raison garder à propos de la capitalisation classique (la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a) et attaquons nous à l’incontournable réforme systémique de nos retraites par répartition, qu’il faut transformer juridiquement en ce qu’elles sont réellement : des retraites par capitalisation humaine.

  1.  Je l’ai fait dans divers articles et ouvrages, le dernier de ceux-ci étant La retraite en liberté (Le Cherche-midi, 2017, 128p.).
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  • Bah la répartition ,c’est tout le monde sur un radeau et on se partage les vivres….la capitalisation ,le radeau a abordé une île et tout le monde fait des projets….après guerre il était normal que la France ruinée pense à sa survie , elle avait perdu la guerre et l’après guerre (merci Charles) contrairement aux autres pays européens , Allemagne comprise.

  • C’est une évidence que le tout capitalisation butterait sur le maque de capital. Une société normale a comme valeur quelques années de production de valeur ajoutée, ce qui est bien insuffisant pour payer 30 ans de retraite ! Par ailleurs possession du capital = choix de ce que l’on en fait. Vaut il mieux laisser ce choix à ceux qui ont l’avenir devant eux ou ceux dont il est derrière ?

  • La répartition doit être supprimé par pour des raisons d’efficacité économique mais pour une seule et unique raison : la seule valeur qui doit exister c’est la liberté individuel, et il est injuste de prélever par la contrainte chez certains pour donner à d’autres.

  • Investir dans le capital humain
    C’est bien joli, mais avec la faillite du système d’éducation français…
    La première chose à corriger serait moins d’énarques, plus d’ingénieurs…

    Pas assez de capital classique
    Vous oubliez qu’il est possible d’investir dans l’UE, dont on rabache qu’il en faut plus. D’ailleurs plus de capital disponible signifira plus d’entreprises, plus d’emplois, moins de chômeurs.

    Or, 400 Md€, c’est un peu plus que l’excédent brut d’exploitation de la totalité des sociétés françaises

    Donc selon vous, il faut l’extorquer d’une façon ou d’une autre puisque le secteur privé ne produit pas assez ❓
    Involontairement, vous démontrez la faillite du système de répartition, que vous confirmez là :

    la proposition de mon estimé collègue, si elle était mise en application, déboucherait donc sur la suppression de la plus grosse partie de la propriété individuelle, car il faudrait que les fonds de pension deviennent propriétaires non seulement de toutes les actions de sociétés françaises, mais aussi d’une très grosse partie de l’immobilier – ou de l’équivalent en actifs étrangers.

    Vous oubliez l’inflation exponentielle qui en résulterait. Un tel mouvement ne peut se faire brusquement. Sur 10-20 ans, ce qui laisse le temps de réagir. N’imaginez quand même pas les gestionnaires faire une razzia d’actions le lundi matin à 09:00 précise et rafler tout ce qui est à vendre ❓ Cela n’a aucun sens. Et tout investir sur le même marché est un non-sens question répartition de la sécurité.

    Comment font la Suisse, Singapour ❓
    La Suisse a un système mixte, basé sur 3 piliers. Le premier est la répartition comme en France. Vous payez beaucoup pour les revenus importants, vous recevez beaucoup moins en retour. Le second pilier fonctionne sur une base de capitalisation, dont plusieurs caisses et assurances privées gèrent les fonds. Vous recevez une pension sur la base de ce que vous avez versé et de ce que le capital a produit, actuellemnt 6%. Le troisième pilier est libre, vous en faites ce que vous voulez. Or que je sache, la propriété privée existe toujours en Suisse, et Nestlé n’est pas possédé uniquement par les fonds de pensions suisses. Les européens et surtout anglo-saxons, la famille propriétaire de Loreal, privés, fonds divers… Quant au second pilier, l’état suisse n’hésite pas a y mettre son nez. Par exemple, ils sont tenus d’avoir des obligations d’état (qui ne rapportent plus rien actuellement), ils sont tenus à limiter la part de l’immobilier à environ 30% des fonds), et pourtant des logements moins chers permettraient plus d’emploi et de vivre un peu mieux.
    Quant à Singapour, la caisse de l’état gère plusieurs fonds.
    Votre crainte ne me semble pas justifiée sauf que vous soulignez la faillite du système français qui est dans le mur.
    Pourquoi ne pas s’inspirer de la Suisse, Singapour, Pays-bas, pays correctement gérés ❓

  • seule la capitalisation permet la responsabilisation.

  • Personnellement je nai pas tout compris. Par contre je voudrait rajouter que quasiment tous les Français qui en ont les moyens font de la retraite par capitalisation via leur résidence principale.

    • Quand un couple de Smicards bosse en région parisienne et paye 1200€ de loyer pour un 2 pièces. Comment fait-il pour capitaliser via sa résidence principale qui ne lui appartient pas et ne lui appartiendra jamais ? (L’accès à un HLM demande 15 à 20 ans, car quand il y en a un de disponible, il y a souvent un cas plus prioritaire qui apparait)

      • Au lieu de cotiser pour payer la retraite par répartition, il cotisera pour la retraite par capitalisation. Quel est le problème résultant du changement de nom de la ligne de prélèvement?

  • Pourquoi opposer réparation et capitalisation ? Le système de retraite Suisse combine les 2 et ne s’en sort pas si mal.

  • Jacques Bichot est l’un des plus grands spécialistes du sujet (retraite). Ces livres sont très intéressants

  • Un point ne me semble pas traité. Le capital doit être rémunéré qu’il soit humain ou pas. En répartition on rémunère le capital humain actif par le salaire brut complet moins les cotisations retraites, le capital humain inactif par les cotisations retraites des humains actifs et le capital action par les dividendes.
    En capitalisation établie, on rémunère toujours de la même façon le capital humain actif, il devient inutile de rémunérer le capital humain inactif par les cotisations sur salaire (le de capital des fond de pension ne passe pas aux héritiers mais est transmis en droit aux humains actifs), les humains inactifs étant ceux qui possèdent le capital en action, ils sont rémunérés par les dividendes. Reste à traiter le passage en capitalisation ce qui n’est pas une mince affaire. J’ai juste?

    • De toutes façons, c’est toujours un problème de partage de gâteau entre actifs et retraités. La question est comment faire grossir le gâteau. En répartition, les retraités se contentent de consommer ce qui est prélevé sur les actifs mais ce sont bien les actifs qui pilotent et je pense que c’est sain car ils ont l’avenir devant eux. A contrario un système par capitalisation rend extrêmement frileux. Le sénior qui est à la tête d’un capital indispensable pour assurer ses vieux jours ne prend que rarement des risques avec ce capital, soit exactement ce qu’il ne faut pas faire pour avoir une économie dynamique. Quelques seniors avertis géreront eux-mêmes leur capital d’actions mais la plupart s’en remettront (à moins que ce ne soit imposé) à des organismes gestionnaires plus soucieux de leurs intérêts que de ceux des retraités. En plus, selon les traditions bien françaises, ces organismes seront pilotés par les « élites » habituelles passées par l’ENA et les cabinets ministériels. Plutôt inquiétant !

      • Le sénior qui est à la tête d’un capital indispensable pour assurer ses vieux jours ne prend que rarement des risques avec ce capital

        Cela dépend des systèmes. Le second pilier suisse n’est pas libre, vous n’avez pas votre mot à dire. Il est même un peu frileux. A Singapour, c’est sans doute mieux.

        mais la plupart s’en remettront (à moins que ce ne soit imposé) à des organismes gestionnaires plus soucieux de leurs intérêts que de ceux des retraités.

        Les assurances sont des entités responsables. Bien sur, les bénéfices sont partagés, mais si des non-énarques sont aux commandes tout ira bien. Il faut laisser de la liberté au gestionnaire et à l’assuré.

      • Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un partage de gâteau entre actifs et retraités. Le gâteau de la production se partage entre salariés et actionnaires.
        En retraite par répartition on prélève sur la part des actifs une cotisation retraite versée aux retraités. La part des actionnaires est indépendante.
        En capitalisation, une fois en charge, le prélèvement sur les actifs est très faible, ne sert qu’à maintenir un niveau de capital dans le fond de pension collectif, et la part prélevée sur les actifs pour les retraités n’existe plus car les retraités se contentent de la part des actionnaires qu’ils sont devenus. Enfin je crois. Le point c’est que une fois en charge, le capital des fonds de pension n’a plus vraiment besoin d’être abondé, il est sensé ne pas s’autodétruire (bon, si c’est la CGT qui gère, c’est moins bisou)

  • Bonjour

    L’énorme différence entre retraite par capitalisation et retraite par répartition est que la retraite par répartition est autoritaire, monopolistique et étatique. Tout l’inverse de la philosophie libérale.
    La répartition est collectiviste et étatique. La capitalisation individuelle et concurrentielle.
    Malheureusement les états ont tjs capté les retraites par capitalisation lors d’alternance politique (Petain Kirchner ect..)

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