Après l’élection de Macron, il est temps de penser à nouveau

Les partis traditionnels sont en ruines, à droite comme à gauche. Comment maintenant surmonter la crise politique ainsi créée ?

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Après l’élection de Macron, il est temps de penser à nouveau

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 2 juin 2017
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Par Jonathan Frickert.

Si Emmanuel Macron semble être le fossoyeur du clivage gauche – droite, la mort supposée de cette lecture trouve ses sources dans nos histoires politiques récentes.

Pourtant, il sera plus que nécessaire de réactiver l’antagonisme entre les deux forces pour garantir la vigueur de notre démocratie.

Un mal lointain

Le cynisme macronien n’est pas arrivé dans une cité foisonnante, mais sur un champ de ruines qui n’attendait qu’un coup de pied pour terminer de s’effondrer.

Des ruines d’abord issues de la structure idéologique des deux grands partis, témoignant de fortes contradictions internes.

Qu’incarne un Parti socialiste réunissant à la fois un laïcard orthodoxe comme Manuel Valls et un socialiste d’un autre âge comme Gérard Filoche ?

Qu’incarnent Les Républicains réunissant Nathalie Kosciusko-Morizet et Henri Guaino ?

L’alignement du RPR sur l’UDF

Ce dernier exemple avait été prophétisé en son temps par Philippe Séguin, voyant dans l’UMP un alignement du RPR gaulliste sur l’européisme de l’UDF. Charles Pasqua aura lui-même une phrase terrifiante sur ce qu’allait devenir le parti de droite républicaine : « Le RPR apporte les électeurs et l’UDF les élus ».

Initialement destinés à concrétiser vingt années d’alliances, les fondateurs de l’UMP ont oublié de ce qui faisait la force de cette alliance : l’identité forte des deux formations. Une identité qui aurait pu retrouver de la vigueur lors de la création de l’UDI et de LR, avec deux partis à l’identité marquée comme l’étaient l’UDF et le RPR. Or, de nombreux centristes ont décidé de rester à LR, faisant échouer la clarification.

Emmanuel Macron, après avoir phagocyté le PS, a donc profité de l’occasion, de la nomination de ses ministres à l’étiquette de sa majorité : LREM.

La transformation des partis en machines électorales

De ce fait, ces mouvements sont devenus des machines de guerre électorales sans âme, contrairement à ce qu’avaient le RPR, l’UDF ou le PS jospinien il y a encore 20 ans.

En privilégiant la synthèse sur le travail idéologique et culturel, ces partis n’incarnaient plus rien.

Les élections primaires ont donné à beaucoup l’impression d’un renouveau de la pensée, qu’elle soit de droite ou de gauche, avec des candidats, nous l’avons vu, très clivants.

Emmanuel Macron s’est engouffré dans cette brèche, à gauche tout d’abord, en proposant à l’aile droite du PS d’enfin se défaire de la gauche sectaire. Des personnalités comme Jean-Yves Le Drian, Gerard Collomb ou encore Manuel Valls, tous issus de l’aile droite du PS, ont ainsi été des prises de guerre.

La fin de l’aile gauche du PS

Emmanuel Macron a donc permis au PS d’enfin faire son Bad Godesberg et de se détacher de son aile gauche.

Une aile gauche qui peine aujourd’hui à dépasser les 5 % dans les intentions de vote pour les élections législatives, à l’image de son candidat malheureux à l’élection présidentielle.

Ces brèches idéologiques ont abouti à un rétrécissement de la base électorale des deux partis de gouvernement.
Le parti socialiste, avec les fameuses recommandations du think tank Terra Nova, s’était déjà coupé des classes populaires, le débat sur la déchéance de nationalité et la surenchère sécuritaire du gouvernement confronté à la menace terroriste et à la concurrence de la droite les a coupé des banlieues. L’électorat issu de ces zones est ainsi passé chez Jean-Luc Mélenchon.

Effritement idéologique du PS

Strictement réduite à la fonction publique, la base électorale du PS suit ainsi son effritement idéologique.
Il est désormais inscrit dans les étoiles que l’aile gauche du PS s’alliera, d’une manière ou d’une autre, à la France Insoumise ou à ses avatars futurs.

De la même manière, la déception des classes moyennes et populaires après un quinquennat prometteur de Nicolas Sarkozy les a envoyé dans les bras grands ouverts de Marine Le Pen dès 2012, réduisant l’électorat LR aux retraités.

Une déception bien compliquée à réparer, et ce pour deux raisons :

La première est l’incompatibilité des intérêts des classes moyennes et populaires, animés par les soucis de chômage ; et les retraités, très attachés à leur épargne et qui, de ce fait, n’ont pas sauté le pas du vote FN. Le point central de ces deux électorats est le pouvoir d’achat, chose déjà préemptée par Emmanuel Macron, rendant difficile l’opposition à celui-ci.

Identité et classes populaires

La seconde est une incompréhension profonde des préoccupations des classes populaires en matière identitaire.

Ces deux raisons avaient une réponse : la pédagogie. Or, le jeu politique et la communication qui l’anime ne peuvent s’en accommoder.

Cette impossible pédagogie entraîne aujourd’hui un phénomène que beaucoup regrettent. La campagne pour l’élection législative et le bilan de la campagne de François Fillon ont permis à certains de jeter le bébé avec l’eau du bain. Par une erreur de diagnostic quant à la défaite du candidat, en grande partie due à des questions d’éthos qu’Emmanuel Macron a davantage incarné

Ces deux causes rejoignent une troisième : la multiplication des primaires.

Importées des États-Unis, dont le paysage politique bipolaire et l’élection du président au suffrage universel indirect rendent nécessaire ce mécanisme, les primaires ont connu des soubresauts dès 1990, lorsque Charles Pasqua envisage ce mécanisme pour départager Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing pour l’élection présidentielle de 1995, souhaitant tous les deux rempiler pour une troisième candidature.

La primaire à gauche

Si elles ne se sont pas faites à droite, c’est bien à gauche que la première expérience est menée durant cette même élection. Lionel Jospin est ainsi désigné candidat du Parti socialiste face à Henri Emmanuelli lors d’un scrutin interne au parti.

Repris en 2002 par les Verts, le PS organise une nouvelle primaire en 2006, encore une fois fermée.

Cette primaire crée un précédent, avec dorénavant des primaires ouvertes dès 2011 et créant des débats à droite quant à l’opportunité de telles élections.

L’idée aura un tel succès que la question se posera de leur nécessité en cas de président sortant susceptible de se représenter. La réponse sera négative en 2012 à droite, mais se concrétisera à gauche en 2017.

Eviter la captation de l’élection par les partis

Ayant pour objectif d’ouvrir la désignation des candidats d’un mouvement ou plus largement d’un camp à l’ensemble de l’électorat, avec une condition de partisanerie – qui ne peut être contrôlée qu’en sondant les âmes – ces élections étaient vouées à sortir la désignation des candidats du verrou des partis.

Pourtant, les élections primaires en France auront montré l’impérieuse nécessité de tenir compte des spécificités de notre sociologie politique.

En effet, loin de sortir les candidats de leurs partis, ces primaires les enferment, et ce par un mécanisme très simple.

Dynamique des élections

Chaque élection, chaque tour, chaque campagne suppose d’épouser une dynamique propre.

« Au premier tour, on sélectionne. Au second, on élimine », dit le proverbe largement entendu encore récemment.

De la même manière, au premier tour, les candidats doivent rassembler leur camp. Au second tour, ils doivent cliver contre l’adversaire.

Les élections primaires ont établi une autre logique : aux primaires, il faut rassembler les siens, à l’élection présidentielle, il faut rassembler les Français.

De ce fait, les candidats l’ayant emporté lors des primaires ont peiné à chercher des voix, ne pouvant changer de programme après la primaire au risque de trahir l’électorat qui leur a fait gagner, mais au mépris de la nécessité de rassemblement. Le candidat est alors pris en tenaille par son propre électorat des élections primaires.

Incertitudes autour des primaires

Le Front national ayant mené, du fait du cordon sanitaire, une OPA sur 25 % de l’électorat, la base électorale se réduit davantage.

Ajoutons à cela le contexte déjà évoqué ici, à savoir l’émergence d’Emmanuel Macron, préemptant le centre, et nous aboutissons à la conclusion que les primaires n’étaient assurément plus le mode de désignation à privilégier dans le contexte politique actuel.

Les bases électorales des principaux partis se sont progressivement amenuisées par l’effet de choix souvent antagonistes, à la manière d’un individu piégé dans des sables mouvants.

Pour finir sur les causes de ce ramollissement, la question politique rejoint naturellement la question plus noble de l’État.

Émergence de l’Europe

En effet, comme l’avait une nouvelle fois prophétisé Philippe Séguin dès la campagne pour le Traité de Maastricht en 1992, l’émergence du super-État européen a peu à peu grignoté les compétences des États via les traités européens.

Le champ d’intervention de l’État étant étranglé par l’Union européenne, les partis nationaux ont dorénavant 80 % de leurs propositions en commun, correspondant aux 80 % de lois d’origine communautaire.

En cela, Emmanuel Macron, par son europhilie, incarne encore une fois parfaitement cet air du temps.

Les partis politiques ont mis de côté la lutte culturelle et idéologique qui faisait leur beauté.

Pourtant, le clivage gauche-droite n’est pas mort, car il représente de véritables antagonismes.

Un antagonisme toujours présent

Cette situation est-elle réellement dramatique ?

À première vue, non, puisqu’elle correspond à une évolution de la sociologie française.

En effet, David Ricardo a dégagé en son temps la distinction entre infrastructure et superstructure. Karl Marx reprendra cette idée, en déduira que l’infrastructure économique détermine la superstructure politique.

L’effacement du clivage n’est qu’une nouvelle manifestation de cette analyse, avec une France coupée entre les gagnants et les perdants de la mondialisation. Les cartes des votes, qu’elles soient géographiques ou sociologiques, sont accablantes, ce qui rend cette situation dramatique pour l’état de la démocratie.
L’économiste Charles Gave rappelle très souvent que l’État suppose une volonté de vivre ensemble, reprenant la phrase de Renan sur la conception française de la Nation.

Deux France

Cette Nation est pourtant morcelée entre deux France aussi irréconciliables que le sont les deux gauches. Ce nouveau clivage n’a pourtant rien de sain, car il témoigne d’une crise profonde de la société française.

Philippe Nemo, dans Qu’est-ce que l’Occident ? a montré que l’émergence du libéralisme européen est née de la tolérance puis du pluralisme, principe voulant que la vérité ne puisse se trouver que dans une multiplicité d’opinions.

Or, le clivage qui a été révélé ici n’est guère réjouissant, laissant une part conséquente de nos compatriotes face à un choix entre social-clientélisme et social-nationalisme, entre Hillary Clinton et Domingo Cavallo.

Les libéraux et libéraux-conservateurs, comme les socialistes authentiques, se retrouvent pris au dépourvu, comme l’ont montré les turpitudes de la France Insoumise dans l’entre-deux tours et le déchirement de l’électorat de droite.

Pertinence du clivage droite-gauche

Pourtant, le clivage gauche – droite a encore du sens.

Il y a de cela plusieurs semaines, j’ai collé, sur le mur jouxtant mon bureau, les éléments fondamentaux du clivage inventé en 1789 en France entre républicains et monarchistes, tant la réalité de ce clivage ne semple plus que théorique.

Le clivage est en réalité divisé en quatre blocs : révolutionnaires, progressistes, conservateurs, réactionnaires.

Les deux premiers relèvent de la gauche, les deux derniers, de la droite. Le clivage interne de chaque partie ne dépendant que de la radicalité, non des valeurs.

Droite et gauche, égalité, conservation, liberté

La gauche est définie par deux notions : le progrès et l’égalité.

Être de gauche, c’est estimer que l’égalité est supérieure à la liberté et qu’il faut que l’État intervienne pour transformer la société dans le sens de l’égalité. En cela, les fascismes sont des enfants naturels de la gauche.

La droite, elle, se définit par la conservation et la liberté.

Être de droite, c’est estimer que la liberté est supérieure à l’égalité et qu’il faut laisser vivre la société sans vouloir la transformer. En témoigne la frilosité plus grande dans l’électorat de droite quant à l’évolution souvent forcée du mode de vie occidental.

Friedrich Hayek avait défini un clivage très proche en parlant d’ordre construit, d’ordre spontané et d’ordre naturel. La gauche étant du côté de l’ordre construit et la droite de celui de l’ordre naturel.

Or, pour permettre à ce clivage de renaître, il faut mener un véritable diagnostic de la société contemporaine et surtout une pédagogie que la démocratie du court-termisme ne permet pas.

Ainsi, pour recréer du clivage, il faut recréer de la pensée.

Recréer du clivage, recréer de la pensée

L’hégémonie culturelle est depuis une trentaine d’années à gauche, du fait de l’entrisme bien plus fort des progressistes dans les milieux universitaires et associatifs durant les années 1970 et 1980. La droite, elle, n’a pas connu de penseur notoire depuis Raymond Aron.

Cette hégémonie a empêché, notamment à droite, l’émergence d’une véritable pensée, d’une véritable culture.

Il y a trois ans, dans Le Point, Roger Scruton, philosophe anglais, a ainsi déploré l’inexistence d’un véritable courant intellectuel conservateur en France.

Le centre phagocytait la pensée de droite et la pensée de gauche depuis que la construction européenne a harmonisé le clivage. Son émancipation est l’occasion pour la droite comme pour la gauche de se réinventer.

Retour aux partis

Si la solution passe par une reprise en main de la question idéologique et culturelle, elle suppose également le retour à d’authentiques structures partisanes distinctes.

À gauche, il est ainsi nécessaire de recréer un bloc, similaire à ce qu’était le Parti communiste français auparavant, avec une véritable pensée et une culture militante qui n’existe encore aujourd’hui nulle part ailleurs, que ce soit par le marxisme ou par le proudhonisme, ce qui permettrait de faire émerger, par exemple, une gauche non étatique.

À droite, le départ de l’aile centriste sera l’occasion, comme beaucoup l’espéraient dès 2015 et la création des Républicains, de retrouver l’essence de la pensée de droite, qui était autrefois incarnée par le RPR de Jacques Chirac. Son opposition à la politique socialiste du début des années 1980 a permis au parti gaulliste d’épouser les contours de la Révolution conservatrice.

Centre et droite

Cette renaissance passera par une clarification vis-à-vis de l’aile centriste, avec laquelle la droite devra naturellement conserver des liens, mais sans pour autant fusionner au risque de créer une confusion aujourd’hui à l’origine d’une part des difficultés de cette famille politique.

Concrètement, le reliquat du PS, plutôt de se fourvoyer dans les aventures personnelles de micropartis, pourrait fonder avec la France insoumise un bloc de gauche authentique, lorsque la droite des Républicains, qui ne se reconnaissent pas dans une posture de co-construction avec En Marche !, serait disposé à rallier une droite dite « hors les murs » refusant toute complaisance avec l’extrême-droite.

Les deux phases parallèles de reconstruction pourraient se fonder sur les projets respectifs des candidats à la présidentielle.

Ce travail idéologique sera peut-être l’occasion, en face de deux socialismes macroniens et lepénistes, d’achever l’étatisme français, avec un pôle socialiste-libertaire et un pôle libéral-conservateur.

 

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  • Il y a effectivement au moins* deux France, et c’est bien pourquoi on travestit 99 fois sur 100 la réalité lorsqu’on commence une phrase par « Les Français (en n’oubliant pas la majuscule, SVP) … »

    Et c’est ce que fait en permanence notre microcosme politique, entre autres, de droite comme de gauche

    * En fait c’est bien plus que deux

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