Présidentielle : le faux débat sur les travailleurs détachés

Le travail détaché fait l’unanimité contre lui parmi les candidats à l’élection présidentielle. Ce débat en cache un autre beaucoup plus important.

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Présidentielle : le faux débat sur les travailleurs détachés

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 20 avril 2017
- A +

Par Jean-Yves Naudet.
Un article de l’Iref-Europe

En apparence, les candidats s’opposent à propos de la directive européenne sur les travailleurs détachés. En réalité, les positions sont quasi-unanimes.

Pour Marine Le Pen : « Supprimer de notre territoire la directive détachement des travailleurs qui y créé une concurrence déloyale inadmissible ».

Pour Nicolas Dupont-Aignan : « Suspendre immédiatement l’application des dispositions les plus contraires à l’indépendance de la France dont les travailleurs détachés ».

Pour Jean-Luc Mélenchon : « Cesser d’appliquer unilatéralement la directive sur le détachement de travailleurs en France ».

Benoît Hamon : « Sur le plan social, je veux mettre fin à la concurrence entre les peuples. Je demanderai une révision de la directive sur les travailleurs détachés ».

Mais les autres sont sur la même ligne.

Jean Lassalle « Appliquer le droit du travail français aux travailleurs détachés en France ».

François Asselineau : « Abrogation de la directive sur les travailleurs détachés ».

Même François Fillon, dont le programme est pourtant le plus libéral, propose de « Renégocier de fond en comble la directive sur le détachement des travailleurs et en suspendre l’application en France, si la négociation n’a pas abouti avant la fin de 2017 ».

Quant à Emmanuel Macron, il veut en limiter l’application : « Nous nous battrons contre les abus liés au travail détaché. Nous devrons limiter à un an la durée autorisée de séjour d’un travailleur détaché dans notre pays et redéfinir au niveau européen les règles du détachement pour mettre fin à toutes les formes de concurrence sociale déloyale ». Ce qui a l’avantage d’être assez flou pour permettre toutes les interprétations !

Et les travailleurs français détachés ?

Rappelons d’abord, (IREF 14 mars 2016 : « Travailleurs détachés en Europe : dumping social ou concurrence salutaire ? »), qu’il y a un moment que l’U.E. discute d’une modification du texte de 1996 sur les travailleurs détachés, modification voulue par la France et l’Allemagne, refusée par les pays de l’est.

Ce n’est pas parce qu’un Président français demandera à négocier qu’un nouvel accord sera trouvé ; quant à tous ceux qui demandent l’abrogation pure et simple du texte, comment faire sans sortir de l’UE ?

En outre, un travailleur est qualifié de détaché « s’il travaille dans un État membre de l’UE parce que son employeur l’envoie provisoirement poursuivre ses fonctions dans cet État membre ». Or, ce n’est que l’application des libertés de circulation prévues dès le Traité de Rome de 1957.

La plupart des candidats exagèrent l’importance de la question des charges sociales du pays d’origine, car les travailleurs détachés qui viennent chez nous sont essentiellement peu qualifiés (83% d’ouvriers), payés au niveau du SMIC, pour lequel les charges sociales en France ont été allégées : l’écart est donc minime et il n’est important que pour les salaires plus élevés.

En sens inverse, presque tous oublient qu’il y a de nombreux travailleurs français détachés dans les autres pays de l’UE (125 000 selon les statistiques de 2015). Comme dans tout protectionnisme, empêcher les uns d’entrer, c’est empêcher les autres de sortir !

Ne plus appliquer la directive, c’est construire une usine à gaz

De plus, tous se trompent de texte : ce n’est pas de la directive de 96, sur les travailleurs détachés, que date la question des charges sociales du pays d’origine, et suspendre la directive ne changerait pas ce point.

En effet, c’est dès le début des années 60 qu’une directive a donné au travailleur la possibilité de rester affilié au régime d’origine, pour ne pas changer sans cesse de régime et faciliter la mobilité.

Ce point est repris dans le règlement de 2004 sur la Sécurité sociale, qui ne peut être modifié que par accord unanime. De plus, en pratique, le détachement moyen en France est de 47 jours ; on imagine l’usine à gaz si, pour 47 jours, ces travailleurs devaient s’affilier, puis se désaffilier à notre Sécu !

Tout cela ne sert qu’à faire des effets d’estrades, occultant les vraies questions. Pourquoi les Français ne veulent-ils pas remplir ces emplois ? Parce qu’ils sont mal payés ?

Les entreprises pourraient les payer davantage si, pour les salaires plus élevés, les charges françaises n’étaient pas écrasantes. De plus, chez nous, le travail manuel est dévalorisé, tout le monde voulant être bachelier et entrer à l’université dans des filières sans débouchés.

Le vrai débat, c’est celui sur la concurrence et les réformes !

Ce que cache mal ce débat, c’est le refus de la majorité de la classe politique de l’ouverture des frontières, les travailleurs détachés n’étant qu’un prétexte. C’est le refus de la concurrence réputée déloyale. Mais si les conditions sont les mêmes partout, où est la concurrence ?

Or seule la concurrence pousse nos entreprises à s’adapter sans cesse ; fermer les frontières nous priverait de ce dont nous avons besoin, pénaliserait les consommateurs, mais surtout laisserait nos entreprises s’endormir, protégées du vent du grand large : chute immédiate de la productivité et de l’innovation.

Le refus de tous les nouveaux traités de libre-échange, la volonté de remettre en cause les espaces, pourtant réduits, de liberté en Europe, tout cela va dans le même sens.

Ce que masque au fond ce débat, c’est le refus des réformes. L’essentiel pour les politiques est d’empêcher les Français de découvrir que notre Sécurité sociale est plus coûteuse qu’ailleurs, pour des services parfois plus médiocres, car la directive sur les travailleurs détachés et l’application, même marginale, des cotisations plus faibles des pays d’origine ont une vertu pédagogique, celle de toute concurrence : voir nos défauts –ici ceux de la Sécu- et nous inciter à mettre en œuvre des réformes. Ce n’est donc pas une question anecdotique, mais le symptôme des blocages d’une majorité de la classe politique française.

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  • La Bisounourserie libérale existe aussi !
    Peut on lutter contre le coût d’un travailleur chinois…Non ,le travail détaché sur des jobs non délocalisables est la mort du salarié français ou autre !

    • On lutte contre le « travailleur chinois » en produisant des biens et services pour lesquels la France a des avantages comparatifs par rapport à la Chine. L’on peut également gagner des emplois en vendant des biens et services aux Chinois, de plus en plus demandant, puisque du plus en plus riches. Les salaires moyens de pays comme la Suisse ou le Danemark sont plus élevés qu’en France, et ils n’empêchent pas ces pays d’avoir des taux de chômage inférieurs. L’économie n’est pas un jeu à sommes nulles.

    • Il y a tant de travailleurs chinois détachés en France ? Ils ne sont pas concernés par les textes européens, hors du contexte de l’article.
      Votre argument doit porter sur un autre sujet j’imagine…?

      • On délocalise en Chine ,les chinois vont dans des pays ayant un pénurie de travailleurs. Autre truc le télétravail super sympa pour faire bosser des ingénieurs indiens en laissant les notre chez pôle emploi…Et nous que faisons nous pour nos chômeurs ?

  • Lutter contre le coût d’un travailleur chinois : si on cherche à être compétitif dans de la production de masse de produits standardisés, non, on ne peut pas lutter contre le coût d’un travailleur chinois (on parle bien d’un travailleur chinois de l’intérieur du pays, hein, vu que ceux des côtes, surtout dans le sud du pays, ont vu leur coût fortement augmenter ces dernières années).
    Est-ce que c’est sans espoir pour les entreprises françaises ? Non, il « suffit » de trouver les bons créneaux, de monter en gamme…
    Quant à la concurrence des travailleurs détachés… où est-elle ? Est-ce qu’un chômeur de Roubaix qui travaillait dans un centre d’appel d’un vendeur par correspondance acceptera un job de 3 mois dans la construction à 300km de chez lui…?

  • « on imagine l’usine à gaz si, pour 47 jours, ces travailleurs devaient s’affilier, puis se désaffilier à notre Sécu ! »
    En passant il y a 2 ans du RSI à la Sécu j’ai du attendre presque 12 mois pour être affilié et recevoir une carte vitale. Il faudrait donc créer une Secu des travailleurs détachés, avec une efficience hors du commun ☺️

    • @ PukuraTane

      Effectivement! Il m’a fallu bien plus de 6 mois pour « enseigner » à la « sécu » pourquoi, selon la législation en vigueur en France (ignorée), elle n’avait plus à exiger mes cotisations sociales, ce qu’elle a bien dû admettre à contre coeur!

  • L’article parle d’ « effets d’estrade » et de « faux débats » autour de la directive européenne.
    Ce n’est que partialement vrai. Le problème, en effet, réside moins dans le texte que dans la manière dont celui-ci est utilisé par les entreprises pour effectivement baisser les couts salariaux, en détournant son esprit, quitte à transgresser les lois en vigueur.
    Certes, le principe existait dans le Traite de Rome, mais celui-ci impliquait des pays similaires (Benelux, France, Italie, Allemagne), et l’ « Esprit du monde des affaires » était différent.
    Alors, oui, les travailleurs détachés en France sont des ouvriers peu qualifiés, provenant majoritairement des pays de l’Est les plus pauvres comme La Roumanie ou la Bulgarie, dans lesquels le salaire minimum est de quelques centaines d’Euros, sur lesquels les charges sociales de ces pays s’appliquent, a des taux bien inférieurs. Mais au-delà des avantages financiers, ils sont surtout corvéables à souhait, ignorant de leurs droits, payés sous le smic, travaillant plus de soixante heures semaine, logés lorsqu’ils le sont dans des conditions infâmes…Bref ils offrent une rentabilité qui va bien au-delàs de la simple question des charges sociales.
    De sorte qu’ils constituent 70% des ouvriers sur les grands chantiers de France, même sur les chantiers de sociétés publiques, ou encore dans les transports routiers, on pense à GEODIS, pourtant filiale de la SNCF.
    Je conseille à l’auteur de l’article la vision d’un reportage de Cash Investigation sur le sujet – ils sont disponibles sur le net – afin de lui permettre de redéfinir ce qu’il appelle « une usine à gaz »

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