Guerre de religiosité en Tunisie

La Tunisie n’a que le choix d’être une démocratie ou une théocratie ; l’une ou l’autre issue dépend de l’option des partenaires d’Occident eu égard au degré de dépendance de ce pays de leur système, aujourd’hui menacé en Tunisie.

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Guerre de religiosité en Tunisie

Publié le 5 avril 2017
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Par Farhat Othman.

Depuis peu, à l’approche des élections municipales annoncées pour le 17 décembre 2017, les milieux religieux intégristes s’agitent fortement, quasiment à visage découvert.

Ainsi, se sont multipliées récemment des campagnes pour l’interdiction de la vente d’alcool dans les grandes surfaces de certaines villes. Ce qui augure d’un tour de vis supplémentaire aux libertés, déjà sérieusement écornées, sinon limitées ou simplement interdites.

La honteuse reculade de l’État

Après El Jem, site de l’un des plus beaux amphithéâtres romains en Méditerranée, c’est dans la cité populaire de Msaken et la capitale du sud, Sfax, que l’on commence à s’agiter, appelant ouvertement à perturber l’ordre public pour interdire l’alcool supposé prohibé par la religion.

Invariablement, ce sont des minorités de zélotes, appuyés par des contrebandiers, nullement représentatifs les uns et les autres de l’opinion publique, quoiqu’autoproclamés gardiens de l’ordre moral, qui cherchent à profiter de la faiblesse de l’État pour imposer leur loi rigoriste.

En cela, ils ne tirent leur force que du soutien en sous-main du parti islamiste et de la complicité — ou l’inertie — du pouvoir en place, et ce au prétexte de ne pas aggraver la crise de l’État et pour soi-disant sauvegarder l’ordre public. Ce qui a amené l’État à céder aux voyous, leur faisant des concessions en violant le droit en vigueur.

Religiosité rampante

Ce fut bien le cas à El Jem où la pression de la minorité des agitateurs professionnels a amené l’interdiction pure et simple de la vente de boissons alcoolisées dans la ville alors qu’elle était doublement autorisée, et par l’administration et par la justice.

C’est ce qui a encouragé la religiosité rampante dans le pays, qui n’attendait que son heure pour se déclarer, risquant d’ouvrir la boîte de Pandore d’une guerre civile dans le pays entre négateurs et défenseurs des libertés constitutionnelles et des droits humains.

Ce qui défie l’entendement, c’est que le parti religieux, sans l’appui duquel aucun trublion n’aurait bougé, fait partie de la coalition au pouvoir ; il en est même l’élément le plus puissant ! C’est dire à quel point l’État est en déroute, n’ayant plus d’éthique après la perte de son autorité.

Et ce sont les visées islamistes, dont personne ne doute plus au pays, qui ont le vent en poupe pour une plus grande religiosité que renforce l’alliance avec les barons de la corruption chez les ennemis d’hier, ce qui généralise la corruption quasiment à tous les rouages de l’État.

La licéité de l’alcool en islam

En acceptant de céder à El Jem, et donc de bafouer ce qui restait de l’État de droit en l’affaiblissant encore plus, les autorités en place ont ainsi donné un coup de fouet aux protestataires, les encourageant à essaimer dans le pays.

Comme ils sont relayés par la désinformation de médias noyautés par les islamistes, outre la démission des démocrates englués dans leurs contradictions, le plan occulte du parti Ennahdha pour théocratiser la Tunisie semble bel et bien parti.

Aussi, pour contrer ce danger imminent, la société civile se mobilise-t-elle de plus en plus. Ainsi, après la proposition d’un projet de loi pour dépénaliser l’homosexualité avant la journée mondiale de lutte contre l’homophobie, un appel vient d’être lancé afin que les autorités reconnaissent enfin le caractère licite de l’alcool en islam. Ce qui impliquerait tout logiquement le droit de le vendre librement, car la religion ne prohibe que l’ivresse.

L’arme de la duplicité

Cet appel s’adresse surtout au parti islamiste qui a fait de la duplicité une arme politique de simulation et de dissimulation en instrumentalisant la foi du peuple, et surtout en cherchant à tromper ses alliés occidentaux.

L’analyse faite par l’appel gêne d’ailleurs au plus haut niveau les religieux, car elle retourne contre leurs propres armes : celles du respect sourcilleux des préceptes authentiques de l’islam.

Or, une telle stratégie est d’autant plus redoutée par les islamistes qu’elle entend ratisser large, étendant les violations par le parti islamiste de l’islam à tous les sujets sensibles. Ainsi, outre l’alcool et l’homosexualité, on appelle à un sexe libre entre adultes consentants ou à la dépénalisation des drogues douces.

Car jusqu’ici, les religieux, qui ont noyauté même les cercles supposés libéraux, n’ont eu à affronter que des laïcistes, ce qui les a toujours renforcés auprès des masses trompées sur leur foi plutôt qu’il ne les a desservis.

S’insérant dans le cadre de cette stratégie appelée poléthique, l’appel à reconnaître la licéité de l’alcool les déstabilise encore fortement en se faisant au nom de l’islam, surtout soufi, qui est l’islam majoritaire des Tunisiens, un islam de paix, de libertés et de jouissances.

La guerre de religiosité aura bien lieu

Pour des visées électoralistes, religieuses et idéologiques, c’est bien une guerre de religiosité qui s’annonce en Tunisie. Veillant à ne pas se mouiller, le parti Ennahdha en profitera pour pousser ses pions par l’intermédiaire de prête-noms ou clones, comme le parti extrémiste Tahrir qui nargue l’État en affichant son rejet de la constitution et en appelant à un califat en Tunisie sans que l’État se décide à oser le déclarer illégal.

Il compter également sur ses complices du camp d’en face, corrompus ou aussi conservateurs que lui, au point qu’on a pris l’habitude de les appeler salafistes profanes.

S’il prend encore soin de cacher ses intentions véritables et sa volonté d’instaurer en douce une théocratie, le parti Ennahdha ne pourra plus le faire trop longtemps avec la nouvelle stratégie qui l’oblige à mettre bas le masque. Aussi est-il confronté à un choix cornélien.

Le vrai visage d’Ennahdha

Ou il se revendique des idéaux libéraux et démocratiques et agit en conséquence en endossant les projets de loi qu’on lui propose. Ou il montre son vrai visage, ce qu’il est en train de faire pour tâter le terrain ; mais alors, il finira par détruire irrémédiablement l’image de Démocratie islamique qu’il prétend incarner.

Si dans le premier cas il prend le risque de perdre une bonne partie de ses troupes extrémistes mais initie sa conversion démocratique pour de bon, dans le second cas, ce serait la catastrophe redoutée, quasiment la fin de l’oeuvre d’une génération.

Car c’est un travail au long cours et de longue haleine qui a été couronné par l’alliance capitalislamiste sauvage actuelle l’ayant amené au pouvoir. Elle a surtout consisté, pour les religieux, à déléguer ce qui risque d’éventer aux Occidentaux leurs vraies intentions à d’autres formations, y compris celles supposées démocrates, une fois noyautées.

Occident berné

C’est ce qui lui a permis à ce jour de tenir, à loisir, un discours se voulant libéral sur des questions sensibles comme l’homosexualité ou le cannabis, et ce notamment à destination des Occidentaux prompts à sembler se laisser berner.

Bien évidemment, il ne s’est toujours agi que de vaines paroles, jamais suivies d’actes. Or, jamais la condition des gays n’a été aussi mauvaise en Tunisie, manifestée par l’usage du moyenâgeux test anal ou la violation de l’intimité du domicile.

Et le projet de loi du gouvernement supposé modifier la législation scélérate sur les drogues douces est bien décevant, faisant qu’on continue encore à harceler les jeunes, à mettre même en prison des lycéens préparant leur baccalauréat, détruisant leur avenir pour un malheureux joint.

Ces réformes qui n’ont pas été faites

Pourtant, le parti islamiste dispose du groupe parlementaire le plus important ; aussi aurait-il pu, s’il l’avait voulu, réformer les lois scélérates de la dictature dans le sens de ses déclarations d’intention en abolissant l’homophobie et en dépénalisant le cannabis.

D’autant plus que les projets de loi existent, proposés par la société civile, et sont consensuels. Ce qu’il se garde de faire au fallacieux prétexte du conservatisme social qui est un pur mythe.

Veillant à avoir plusieurs fers au feu, tout en jouant à la guerre, le parti islamiste adoube un parti qui pourrait constituer son plan B s’il échouait dans la guerre   aujourd’hui engagée afin de détourner, avec la peur du chaos, de l’impérative nécessité de réforme législative dans le sens des libertés et des droits constitutionnels.

Ce lapin sorti du chapeau du chef d’Ennahdha, c’est bien évidemment l’ancien chef de gouvernement, M. Mehdi Jomaa qui vient de lancer un énième parti politique.

L’Occident a un rôle à jouer

Eu égard à la présence de plus en plus remarquée de l’Occident en Tunisie et son indéniable influence sur les islamistes — que d’aucuns n’hésitent plus à qualifier de créatures d’un Occident matérialiste à l’excès —, il importe, plus que jamais, que les Occidentaux mesurent enfin la gravité de la situation, et ce déjà pour leurs propres intérêts sur le moyen et long terme.

Car ce pays, essentiel pour la sécurité de l’Europe, risque sérieusement de basculer dans une théocratie, affichée ou occulte, dont on entrevoit les contours. Déjà, on a enregistré des tentatives éhontées de réécriture de l’histoire en la falsifiant, attentant au legs de Bourguiba.

C’est l’Instance Vérité et Dignité, normalement chargée d’apurer le passé mais qui est bien loin de se placer au-dessus de tout soupçon, qui semble s’en charger, donnant chaque jour davantage la preuve d’être au service d’une vision manichéenne de la destinée tunisienne ne servant que les visées du parti islamiste.

Faire pression sur les islamistes

Les partenaires occidentaux de la Tunisie ne doivent plus se retenir de faire pression sur Ennahdha pour confirmer ses propos publics par des actes concrets. Déjà, le parlement européen a osé le dire dans une fameuse résolution.

Il appartient donc aux principaux chefs d’un Occident, encore aveugle pour l’instant au drame qui se joue au sud de la Méditerranée, ne voyant pas le naufrage de la Tunisie de Bourguiba, de savoir ce qu’il veut dans ce petit pays, bien grand de par les promesses que son peuple incarne. Veut-on vraiment une démocratie réelle au service de la paix ou juste un souk pour faire des affaires au détriment des valeurs du peuple; et bien pis : une théocratie.

En premier, cela concerne certes la réforme de la législation nationale sur les thèmes les plus sensibles, car supposés d’inspiration religieuse, et qui ne sont que des armes aux mains du pouvoir pour brimer un peuple de nature libertaire. Mais cela s’étend aussi à l’articulation du pays à un système de droit qui fonctionne.

L’intégration européenne

En effet, pour ne pas décrocher, comme dans une course cycliste, la jeune démocratie tunisienne a besoin d’être dans une dynamique de succès. Ce qui suppose son articulation à l’Union européenne en y étant intégrée.

Les autorités tunisiennes n’osant jamais le faire, c’est aux instances européennes de proposer l’adhésion à la Tunisie au nom de l’intérêt commun bien compris. C’est ainsi et ainsi seulement que l’Europe aura enfin à ses frontières un État de droit en mesure de proposer les valeurs en honneur au nord de la Méditerranée. Les Européens, soucieux de leurs intérêts immédiats, le veulent-ils ? Pour l’instant, la réponse est négative, au risque de précipiter la bascule de la Tunisie en théocratie.

 

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  • Intégrer la Tunisie à l’Union Européenne est une aberration, au même titre que la Turquie. Loin de lutter contre la théocratisation de la Tunisie, on assisterait à l’islamisation totale de l’ Union Européenne, les musulmans devenant majoritaires. Au lieu d’éteindre un incendie, on le propagerait à toute l’Europe. Si l’on laissait enfin chaque peuple décider en toute liberté de l’avenir de son pays ? Chaque intervention dans la politique d’un pays étranger se solde par des catastrophes. On est intervenu en Ukraine, en Lybie, en Irak…

  • Rien n’avancera tant que notre propre pays refusera de mettre un nom sur les problèmes liés au radicalisme musulman, et à désigner clairement la source de ce mal (quelques petromonarchies bien-pensante crée de toutes pièces au siècle passé pour satisfaire les désirs d’autorité des puissances anglaises, françaises, etc.).
    Refuser de nommer son ennemi revient à lui laisser la porte ouverte. Quand ensuite on crie au terrorisme et aux violations des droits de l’homme, il est trop tard.

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