Par Frédéric Mas.
Alors que la campagne présidentielle est en train de s’enfoncer dans les attaques personnelles et les révélations plus ou moins fracassantes sur la vie des candidats, les enjeux qui intéressent les Français passent momentanément à la trappe, du moins sous le radar médiatique des éditorialistes de France et de Navarre. On en oublierait presque que pour l’instant, c’est le Front national qui tire son épingle du jeu des querelles entre le centre droit (Fillon) et le centre gauche (Macron).
Pourtant, les faits sont là, têtus, et devraient ramener le landerneau journalistique à la réalité : selon un sondage publié en novembre, les Français s’inquiètent essentiellement des effets du terrorisme, du chômage et de l’immigration sur leurs vies. Pour 56% du panel interrogé, le renforcement de la sécurité passe par davantage de moyens consacrés aux forces de police et à l’armée, « quitte à renoncer à d’autres dépenses ».
Au regard de ces chiffres, il est possible de diagnostiquer deux sortes d’enjeux présents au sein de cette élection présidentielle : c’est en fonction de ces enjeux que les candidats se rendront crédibles aux yeux de leurs électeurs, et c’est en fonction de la manière dont ils abordent les problèmes qu’ils doivent être jugés.
L’enjeu identitaire
La mondialisation des marchés et des hommes a accéléré et intensifié les flux migratoires, entraînant la diversification culturelle et sociale des populations européennes. Ce basculement vers le multiculturalisme a eu des effets positifs indéniables.
Il a aussi entraîné ce que le politologue Laurent Bouvet nomme un sentiment d’insécurité culturelle : la culture du voisin est perçue comme une menace, et l’affirmation de son identité culturelle un élément central de reconnaissance pour un certain nombre de groupes sociaux. L’insécurité culturelle qui mine le pays entraîne une compétition entre les différentes formes de communautarisme religieux, politiques et culturels pour profiter de la redistribution étatique et de l’onction de l’arbitrage politique.
C’est cette insécurité culturelle qui grossit exagérément la place du terrorisme, mais qui alimente aussi les rangs de ce djihadisme né du ressentiment anti-occidental. C’est encore l’insécurité culturelle qui est au cœur de la perception commune à l’endroit des migrants, tout comme des jugements portés sur sa gestion catastrophique par le gouvernement Hollande.
Aujourd’hui, si le Front national est crédité de plus de 25% d’intention de vote au premier tour, là où Emmanuel Macron et François Fillon courent derrière les 20%, ce n’est pas seulement parce que l’économie française est dépressive : c’est aussi parce que les électeurs choisiront d’abord en fonction de leur identité culturelle réelle ou fantasmée.
Ne pas voir à quel point la dimension identitaire/culturelle est essentielle en politique aujourd’hui, c’est aussi s’interdire de comprendre pourquoi Trump est installé à la Maison blanche malgré un programme chaotique, pourquoi la Grande Bretagne a préféré prendre le risque du brexit plutôt au lieu de rester et de profiter des facilités commerciales liées à l’Union européenne ou encore pourquoi Marine Le Pen peut se contenter d’un clip de campagne particulièrement vide pour faire la promotion de son parti.
L’enjeu économique
Seulement, l’enjeu identitaire n’est pas tout, et se concentrer uniquement sur ce seul facteur tend à effacer qu’au-delà de la question politique, il y a la question économique. Et que cette question économique est aussi morale, puisqu’elle a partie liée à la justice entre les générations. Dans un système politique qui fabrique de la dette publique et du chômage, qui profite aux classes les plus riches, les plus protégées socialement, et incite sa jeunesse à se résigner ou à s’exiler, l’économie ne doit plus être une simple variable d’ajustement.
La mentalité technocratique qui traverse tout le spectre politique, de la droite à la gauche, de Fillon à Macron, ne comprend les réformes économiques que comme des ajustements ponctuels pour remettre en selle un modèle social dont les fondamentaux sont à préserver.
Cette forme de conservatisme qui va de l’extrême gauche à l’extrême droite ne fera que reculer l’échéance de la banqueroute : sa disparition est l’autre véritable enjeu, masqué, de l’élection présidentielle. Il faut renverser la table pour éviter un scénario à la grecque, dans lequel les éléments les plus faibles et les plus exposés, notamment les jeunes, seront radicalement perdants.
Qui osera le faire ? Verra-t-on une droite suffisamment courageuse pour réformer ? Une gauche suffisamment juste pour combattre les rentes de situation ? Des citoyens suffisamment courageux et soucieux de l’avenir de leurs enfants pour créer les conditions de la croissance économique et du plein emploi ?
Non, au-délà de ces deux enjeux qui ne sont que des conséquences, le principal enjeu est notre politique extérieure, plus précisément le repositionnement de notre pays dans le monde tel qu’il est en train de se dessiner.
@ Dominogris
Sur ce point-là (le « repositionnement »), c’est mal parti! La France a perdu des points partout! Pas très européenne, peu écoutée à l’internationale, anti-Trump, anti-Poutine, anti-Assad, mal vue dans ses ex-colonies et présente militairement sur 13 spots dans le monde pour des raisons « X » avec un silence radio sur le sujet, des dom’s très exclus de la métropole, une étoile de la francophonie devenue nettement moins consensuelle et un siège historique à l’ONU de moins en moins justifié, une puissance économique permettant peu de générosité: le handicap de départ est sérieux!