Par Philippe Silberzahn.

C’est un conseil un peu inhabituel que m’a demandé l’un de mes amis récemment : il doit signer une offre de poste dans une grande entreprise pour prendre en charge l’innovation. Et on lui a demandé quel intitulé il voulait pour ce poste. C’est une question qui n’est pas si anodine que cela.
Innovateur : un directeur de l’innovation ?
Je ne savais pas trop quoi répondre. En un sens, je me suis dit que ça n’avait pas grande importance. Pourquoi pas un classique « Directeur de l’innovation » ? Mais en y réfléchissant, j’y ai vu plein d’inconvénients. Je lui ai donc d’abord demandé ce que son job impliquait. En gros, m’a-t-il dit, on me demande de faire. Beaucoup de gens parlent d’innovation dans cette entreprise, mais ils recherchent quelqu’un qui sera capable de mener des projets au bout. Mais ce quelqu’un doit aussi diffuser cette culture de l’innovation et ses pratiques.
Situation finalement très classique : l’innovation est partout… dans les discours. Mais rien ne se passe.
Innovation : un langage de jeune
Après discussion, nous sommes convenus qu’il éviterait le terme « innovation ». Trop galvaudé, trop associé au petit jeune en T-shirt à qui on vient de payer un « Lab » tout neuf, qui mène des expérimentations en mode agile qui ne débouchent jamais sur rien et qui finit par se mettre à dos toute la boîte, et en particulier ceux qui, traités de vieux crocodiles, font quand-même vivre l’entreprise au quotidien.
On a aussi évité les titres ronflants post-modernes, de type, tenez-vous bien, d’ “innovation catalyst”. Là l’idée est qu’il vaut mieux avoir un titre relativement modeste, et délivrer du concret, qu’un titre ronflant qui place la barre tellement haut qu’elle devient invisible et inatteignable.
Prudence, donc, vis à vis de l’intérieur. Mais la question se posait également vis à vis de l’extérieur. Le souci de mon ami était qu’il soit crédible auprès des startups avec qui il allait devoir nouer contact pour faire avancer les projets. « Si je n’ai pas l’air assez sénior, ils risquent de ne pas répondre à mes sollicitations » résumait son inquiétude.
Pas de titre super ronflant
Là j’ai repris ma casquette d’ancien entrepreneur ayant beaucoup travaillé avec des grandes entreprises. Le souvenir que j’en ai est que la source principale de frustration d’un entrepreneur dans sa relation avec une grande entreprise est de devoir travailler avec quelqu’un qui n’est pas motivé et qui n’a pas de pouvoir, ce que nous appelions à l’époque « le retraité de chez Bull ».
Vous l’avez tous croisé celui-ci : après une longue carrière dans la grande entreprise, on ne sait plus trop quoi faire de lui, mais on l’aime bien parce qu’il a lancé avec succès le mythique produit DXST280 en 1974, alors on le met aux relations extérieures. Il va représenter l’entreprise dans les réunions du cluster et du pole, il rencontre les startups, etc. Il est souvent très gentil et plein de bonne volonté, il a un titre super ronflant, mais il ne fait jamais rien aboutir.
Ce n’est donc pas une question de titre, mais de levier interne. Au final encore une fois, il vaudra mieux avoir un titre relativement banal, comme directeur des marchés émergents, ou des nouveaux marchés, ou des nouveaux projets, et bien s’assurer de son ancrage interne pour éviter le syndrome des entités innovations : beaucoup de bruit pour pas grand-chose.
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