Réforme de l’APL : le gouvernement à bout de souffle

L’exemple de l’APL montre comment notre régime est à bout de souffle. La complexité des politiques publiques est telle que ni le législateur ni le gouvernement ne sont plus capables de les « tenir en main ».

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Réforme de l’APL : le gouvernement à bout de souffle

Publié le 20 septembre 2016
- A +

Par Éric Verhaeghe.

Réforme de l'APL : le gouvernement s'y prend mal
bureaucratie credits Schnettelker (licence creative commons)

L’aide personnalisée au logement (APL) incarne à merveille le mal governo français : une anatomie des réformes de cette prestation sociale annoncée en loi de finances 2016 permet de disséquer tous les loupés d’un système à bout de souffle.

L’APL, la surréaliste compensation de la crise du logement

Rappelons d’abord de quelle philosophie s’inspire l’aide personnalisée au logement, créée en 1977. Le propos de Raymond Barre, alors Premier Ministre, consiste bien à solvabiliser la demande (en l’espèce les locataires), plutôt que l’offre, jusqu’ici ciblée par les fameuses « aides à la pierre ». Avec l’aide personnalisée au logement, le gouvernement préfère aider les locataires à payer leur loyer, plutôt que les aider à devenir propriétaires.

L’expérience montre toutefois que l’APL permet aux propriétaires d’augmenter les loyers dus par les locataires. L’invention de l’APL nourrit donc la crise du logement et la hausse des prix, tout particulièrement pour les familles les plus modestes. De ce point de vue, en voulant réparer le mal, l’intervention de l’État l’accroît fortement. L’APL constitue une subvention déguisée aux propriétaires.

Le coût exorbitant de l’APL et l’intervention de Bercy

Cette prestation aberrante a la bonne idée de coûter 18 milliards par an (soit près de 1 point de PIB) dont 11 à la charge de l’État. Cette somme hallucinante (supérieure aux politiques de l’emploi) explique qu’en septembre 2015 la Cour des Comptes ait proposé sa réduction. La loi de finances pour 2016 lui a emboîté le pas, en laissant à Bercy le soin de prendre des décrets modifiant les conditions d’attribution de cette allocation.

Nouveau problème de gouvernance : face à la complexité du dossier (mais pourquoi diable l’État se mêle-t-il de ces affaires ?), le législateur laisse l’exécutif agir à sa place.

Une première réforme ratée cet été

Le 5 juillet 2016, un décret a instauré une dégressivité des aides personnelles au logement pour les locataires acquittant des loyers trop élevés par rapport à leurs ressources. Voici d’ailleurs ce qu’indique sa notice officielle :

pris en application de l’article 140 de la loi de finances pour 2016, le décret prend mieux en compte la capacité financière effective et les besoins des ménages en prévoyant la dégressivité des prestations lorsque le loyer est supérieur à un plafond.

Autrement dit, plus vous avez du mal à payer votre loyer, moins vous êtes aidé. Alors que le simple bon sens voudrait que l’aide au logement soit majorée à mesure que la différence entre la capacité financière effective et le montant du loyer s’élève, Bercy applique la doctrine exactement inverse : moins le locataire a besoin d’aide, plus il en reçoit.

Nouveau problème de gouvernance : adresse-toi à l’État quand tu n’as rien à lui demander, c’est là qu’il t’aidera le plus.

Une autre réforme ubuesque en préparation

Un deuxième décret d’application circule actuellement, dont l’entrée en vigueur était prévue pour le 1er octobre. Nul ne sait quand il sera publié. Cette fois, son objectif est de rendre plus équitables les conditions d’attribution de l’APL, qui ne sont pour l’instant pas soumises à condition de ressources. Et comme toujours lorsqu’on demande aux crânes d’œuf du ministère des Finances d’agir à la place du législateur et de penser à la place du gouvernement, surtout lorsqu’il s’agit d’équité, le pire est à craindre.

Ainsi, alors que la loi de finances voulait exclure de l’APL les détenteurs d’un patrimoine leur permettant de se dispenser d’une aide au loyer, Bercy a transformé la mesure ou instrument de rétorsion patrimoniale. Selon le projet en circulation, l’écrêtement de l’APL commencerait dès la détention d’un patrimoine de 30.000 euros. Dans cette somme, seraient inclus les avoirs sur un livret A ou un livret d’épargne populaire.

Pour l’inclusion de ce patrimoine, les revenus des locataires seraient majorés d’une somme équivalent à 3% du patrimoine détenu.

Les petites doctrines cachées de Bercy

Dans ces choix opérés pour mettre en place une réforme prévue par la loi, Bercy déroule donc le tapis de ses doctrines légendaires, jamais avouées mais toujours en action.

Premier axe : il faut interdire aux Français de s’enrichir. Tous ceux qui mettent un peu d’argent de côté pour améliorer leur sort doivent être sanctionnés et taxés. Après tout, pourquoi ne se satisfont-ils pas de l’ordre ambiant, avec une Sécurité sociale qui pourvoit à leurs besoins à vie et un État qui prend tout en charge à leur place ? Ah ! toutes ces petites gens qui veulent sortir de leur condition… c’est insupportable !

Deuxième axe : il faut faire payer les familles. Tous ceux qui épargnent pour préparer l’avenir de leurs enfants, tous ceux qui prennent des logements trop grands, tous ces gens qui comptent sur l’aide personnalisée au logement pour faciliter les études de leurs enfants, bref tous ces Français moyens avec un peu de patrimoine qui bénéficient d’une politique familiale (l’APL fait partie des prestations familiales…) doivent rendre gorge.

On comprend mieux ainsi la récente baisse de la démographie, tant les obstacles inventés par Bercy pour les familles moyennes sont redoutables.

Bercy au centre du mal governo français

L’exemple de l’APL montre comment notre régime est à bout de souffle. La complexité des politiques publiques est telle que ni le législateur ni le gouvernement ne sont plus capables de les « tenir en main ». La décision publique est devenue un art mandarinal, pratiqué par quelques initiés dont les options idéologiques sont évidentes : réaction nobiliaire, maintien coûte-que-coûte d’un ordre social inique et détestation très bobo pour les familles natives.

N’oublions jamais que l’intervention de l’État, sédimentée année après année, est créatrice d’une complexité délibérée grâce à laquelle la technostructure peut développer son emprise par-delà les apparences d’une démocratie représentative mourante.

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  • Pourquoi prennent-ils en compte que la valeur du patrimoine et des économies, et pas la valeur des véhicules? Quand ont pointe à pole emploie et que le jeune de 20 ans, qui ne travaille pas, touche une grande majorité des aides, comment peut-il se trimbaler avec une BMW qui coute dans les 50000 euros? Moi qui ait toujours bossé, mon salaire ne m’a jamais permis de m’acheter une auto d’occasion de plus de 5000 euros…

    • oui, dans mon commentaire infra, même s’il faut inclure les véhicules, j’oublie évidemment la voiture opportunément au nom de monsieur X quand c’est madame Y (tous deux célibataires, bien sûr) qui demande l’aide, évidemment….

  • il y a un côté logique à ne pas aider celui qui a déjà un patrimoine qui devrait soit lui permettre de se loger, soit lui permettre, par son utilisation judicieuse, de financer son logement.
    Il faut s’assurer qu’il n’y ait pas double peine (si j’ai un petit studio que je mets en location, qu’on ne compte pas à la fois les revenus et les 3% du patrimoine)

    Mais on retombe dans les critères généraux qui se retrouvent problématiques dans des cas particuliers qui sortent des cas simples qu’on imagine. Je pense ici à des biens constituant un patrimoine, mais qui ne rapportent rien et qu’on ne peut pas vendre pour mieux allouer le capital (nu-propriété d’un bien, quote-part d’une indivision bloquée le temps de la faire éclater, parts minoritaires de SCI mal gérée, etc.). Et surtout, il faudra faire une déclaration de patrimoine non seulement quand on est à l’ISF, mais aussi quand on est pauvre, avec les débats infinis sur les évaluations, et toutes les injustices associées (quelle différence entre l’assurance-vie d’un agriculteur sur laquelle il compte pour compléter sa maigre retraite, et le droit à retraite d’un fonctionnaire ?)

    Bref, encore un emplâtre sur une jambe de bois.

    • @Vassinhac
      Il y a un côté logique. Mais le seuil de 30,000€ est quand même bien bas !
      J’ai un patrimoine de 63,000 €. Une somme bien insuffisante pour acheter un studio dans la ville où je vis. Et pourtant, si le décret passe, je vais être sanctionné !
      De toute façon en France, le socialisme sanctionne les fourmis et récompense les cigales …..

      Et lorsque vous parlez «d’utilisation judicieuse», permettez-moi de vous répondre que tout le monde n’a pas les compétences financières ni les connaissances juridiques pour s’amuser à faire fructifier ses économies !
      D’autant plus que cela implique un risque de perdre son capital …

      • Bien sûr Jean D. L’Etat est là pour garantir la sécurité et faire en sorte que nous puissions tous trouver les solutions de s’en sortir tout seuls d’abord.

        En France, vous achetez un studio à Paris de 20m², vous le payez 100mille euros, ou vous en héritez, par exemple.
        Si vous n’héritez que de ça 100000+ 5%de biens personnels standards, au premier degré c’est libre de droits fiscaux, mais pas d’enregistrement ni d’honoraires de notaire. En espérant que votre père/mère vous laisse un assurance vie de 10000€ qu’on accepte de vous donner tout suite!
        Vous pouvez hériter de ce que vos parents ont économisé pour vous.
        Vous réussissez à le louer 550€, vos prélèvements sociaux sont de 15.50%, dans l’ancien vous aurez 500€ de charges de copro/ ans les années maigres,
        et suivant votre cas vous avez une imposition sur le revenu qui prend en compte ce qui reste:
        6600-500(charges)=6100 -15.5%=5154€ – IR. Je garderais 5000€, pour une année faste, car je prends un exemple où le quidam n’a pas de revenu(IR=0).
        Comment fait-on pour vivre avec 5000€/an? Donc même à 100000€ de capital avec un enfant, ce qui interdit d’habiter son propre studio,
        vous êtes pauvre en France, car il est impossible de s’adapter. Quid d’ailleurs du paiement effectif du loyer, qui sera considéré comme acquis par le fisc,
        même non réglé par le locataire (créance du propriétaire de plein droit sur lui), à moins qu’au bout de 2ans et demi, vous ayez réussi à économiser 3000€ pour la procédure qui vous permettra de justifier de « l’irrécouvrabilité » des loyers déclarés mais sans doute pas de récupérer un sou, à part un logement dégradé que vous pourrez relouer…
        Il faut éliminer au plus vite ce gang de gauchistes qui ruinent tout espoir de vivre mieux dans un monde chrétien, affaibli par eux et attaqué parce que plus faible.

      • En même temps, il semble que 39% de la population possède moins de 30K€ de patrimoine, on parle donc bien des plus pauvres…
        http://www.revolution-fiscale.fr/simuler/distrib/patrimoine.php?pct=50&slider=50&pat=30+000&conceptpat=k_cn&affich=visa

        Je pense qu’il est temps pour l’Etat français de différencier les personnes qui ont vraiment besoin de son aide de celles qui ne font que le parasiter, il va falloir s’y habituer maintenant qu’on n’a plus les moyens.

  • des apl et des bourses pour aller squatter la cafétéria de la fac et surtout pour faire gonfler le loyer des studios et petits appartement .c’est gratuit c’est l’état qui paye.

  • Un chèque logement dégressif , un barème simple et de l’épagne logement obligatoire comme à Singapour …Que les politiciens s’inspirent de ce qui marche…

  • FAUX !!!!
    Voici le DESINTOX …
    APL : montant et simulation de l’APL 2016
    http://droit-finances.commentcamarche.net/faq/6598-apl-montant-et-simulation-de-l-apl-2016
    et
    Aides au logement : nouveau calcul à compter de juillet 2016
    Le calcul des aides au logement (Als, Alf, Apl) évolue à compter du 1er juillet 2016 pour les locataires bénéficiaires d’une aide au logement*.
    https://www.caf.fr/ma-caf/caf-de-la-haute-savoie/partenaires/aides-au-logement-nouveau-calcul-a-compter-de-juillet-2016

  • Franchement comment peut on proner le liberalisme et justifier les APL ?
    C est une subvention aux proprietaires (grace a l APL on peut louer plus cher car on solvabilise artificiellement le locataire)
    Dans l absolu les APL devraient etre supprimes et on devrait avoir une aide UNIQUEMENT aux gens qui ne peuvent se loger. Autrement dit, si vous avez un heritage, des economies ou je ne sais quoi, vous commencez par utiliser VOTRE argent avant de demander l argent du contribuable.

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