Par Alain Goetzmann.

Nous sommes le 15 janvier 2009. Il est 15h26. Chesley Sullenberger, 57 ans, Sully, pour les intimes, commandant à bord de l’Airbus A 320 de US Airways,décolle de La Guardia, l’un de aéroports de New-York, avec 150 passagers à bord et 5 membres d’équipage, à destination de Charlotte en Caroline du nord.
En pleine ascension, 2 minutes après le décollage, à 850 mètres d’altitude, alors qu’il est juste au-dessus du Bronx, il communique à la tour de contrôle que des Bernaches grises, une variété d’oies du Canada, viennent de heurter les réacteurs de l’avion et que ses moteurs perdent de la puissance.
L’intuition comme guide
Il aperçoit alors devant lui le petit aéroport de Teterboro, dans la banlieue ouest de New-York, et annonce qu’il va tenter d’y atterrir. Mais peu après, son appareil continuant à perdre de l’altitude, il décide d’amerrir dans la Hudson River, à côté de Manhattan, en choisissant de ne pas sortir le train d’atterrissage, ce qui lui permet de poser son avion, sans trop de dommages, sur les eaux du fleuve, évitant ainsi une catastrophe aérienne certaine.
Devant le monde entier, qui crie au miracle, il annoncera, peu après, avoir agi, en s’affranchissant, pour une fois, des normes et des procédures de vol, particulièrement exigeantes, afin de laisser son intuition le guider.
Pour mieux comprendre comment les choses se sont passées, il faut savoir que Sully est un vétéran de l’US Air Force et un pilote de planeur chevronné. Il est aussi un spécialiste de la sécurité aérienne qu’il enseigne, au sein de sa compagnie. Il est donc à la fois, un pilote expérimenté, sur tous types d’appareils, un connaisseur averti des procédures et un baroudeur du ciel.
Confiance dans son expérience
S’il a pu laisser agir son intuition, c’est parce qu’il maîtrise parfaitement son métier, dans tous ses aspects. Il illustre ainsi la théorie de Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, qui a beaucoup travaillé sur l’intuition et qui considère que celle-ci n’est fiable que si l’émotion ne s’en mêle pas. Nos jugements, interprétations et désirs ne doivent jouer aucun rôle. Parmi ces émotions, la peur, d’ailleurs, est le principal obstacle à l’intuition : peur du risque, peur du jugement des autres, peur de se remettre en question.
Sully, à l’évidence, a conservé son calme et laissé ses sens le guider, parce qu’il avait une grande confiance dans sa propre expérience.
Au-delà de cet exemple frappant, l’intuition, pour se révéler fiable, nécessite donc de savoir prendre le temps de méditer, d’écouter ses sensations, de dominer ses émotions, d’apprendre le calme, et de ralentir.
Certains des meilleurs spécialistes des neurosciences, Arthur Koestler, David Eagleman, Michael Ray, Antonio Damasio, assurent que l’intuition libère même la créativité par la levée des connexions habituelles et des blocages intellectuels ainsi que par un glissement vers un état mental plus primitif. Une espèce de déclic fulgurant, en quelque sorte, qui permet au cerveau de tirer des informations à notre insu, et donne accès à des éléments inaccessibles par la pensée rationnelle ou déductive.
Nos cinq sens construisent notre réalité. L’intuition est donc une espèce de sixième sens, dominé par le subconscient, qui nous ouvre les yeux, comme une boussole. Mais elle est fondée sur la connaissance et la maîtrise. Paradoxalement, l’intuition est donc, avant tout, un apprentissage. Citons pour conclure Henri Bergson, le grand philosophe français, qui prétendait que : « L’intuition est la combinaison de l’instinct et de l’intelligence ».
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On enseigne aux pilotes comment prendre les meilleures décisions. On évoque alors les décisions analytiques, qui requièrent du temps pour traiter les informations. Et on évoque un autre type de décision, dite “naturelle”, qui se prend en effet instinctivement… ou qui doit se prendre instinctivement sous la pression temporelle (il n’y a pas de bouton pause !). Ces décisions “naturelles” sont le résultat de l’expérience, et la maîtrise émotionnelle (le stress) va favoriser la qualité de ces décisions. Vient ensuite la nature du problème. Compliqué, avec une seule solution. Ou complexe, sans une solution plus évidente qu’une autre. Il me semble que dans l’exemple donné, une seule solution s’imposait, le pilote n’avait pas d’autres choix. Il devait alors l’accepter rapidement et passer à la phase action ; phase action qui a l’avantage de réduire le stress.
Je vous rejoins mais à un autre niveau: le niveau scolaire: pour être compétent, créatif ou même intuitif (merci du tuyau), il faut impérativement passer par une phase de maitrise de connaissances du sujet…https://contrereforme.wordpress.com/2016/08/19/pour-une-ecole-developpant-de-veritables-competences/
Article plutôt paradoxal, puisqu’il fait l’éloge de l’intuition, tout en précisant que les gens capable de l’utiliser sont tout à fait exceptionnels : ils ont une connaissance suffisante des procédures routinières savoir à quel cas elles sont adaptées ou pas, ils sont capable de reconnaitre un cas où il vaut mieux improviser autre chose, et ils ont assez d’expertise, de confiance en eux et de sang froid pour concevoir et mettre en Å“uvre un plan B, sous la pression et malgré la terreur (car contrairement à ce que l’article laisse entendre, Chesley Sullenberger était terrifié, décrivant “the worst sickening, pit-of-your-stomach, falling-through-the-floor feeling” that he had ever experienced” ) …
Et ils ont aussi suffisamment de reconnaissance institutionnelle pour échapper au procès qui menace quiconque, de nos jours, n’a pas suivi les procédures.
Ce n’est vraiment pas donné à tout le monde
c’est à dire qu’en fait le commun des mortel NE doit PAS se fier à son intuition, mais plutôt suivre les procédures. Elles ont été inventées pour lui par des gens qui ont synthétiser leurs expertise bien supérieur à la sienne.
Il existe de nombreux métiers où les procédures, rien que les procédures, ont montré leurs limites. Parce que tous les cas de figure ne peuvent être saucissonnés dans des procédures. C’est d’ailleurs pourquoi, dans la formation des pilotes, métier hyper procéduralisé, depuis déjà quelques années, alors qu’on ne jurait que procédures, on leur apprend maintenant à réfléchir, à faire preuve de bon sens (tout en appliquant les procédures). C’est un retour en arrière sur le training d’autrefois. Le tout procédure ayant l’inconvénient de transformer les individus en pâte molle au fil du temps. Ce qui est un inconvénient majeur quand vous perdez vos deux moteurs !
Précisons que l’intuition n’est pas quelque chose de figé, mais qui se travaille.
Ça permet de passer du chasseur-cueilleur à pilote qui pose un A320 sur l’Hudson.