Par Nafy-Nathalie.
Le 17 septembre 2015, l’ONU s’insurge contre le placement de force d’un adolescent de 16 ans dans un hôpital psychiatrique pour adultes et demande à ce qu’il soit libéré au plus vite. Timothée est autiste, ce qui signifie qu’il souffre« de troubles du développement humain caractérisés par une interaction sociale et une communication anormales, avec des comportements restreints et répétitifs ». Autisme Regards Croisés est un site qui pourra compléter très utilement, si besoin, votre information. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) émet le 8 novembre 2007 dans son avis no 102 le constat suivant :
« Il n’y a pas aujourd’hui de traitement curatif, mais une série de données indique depuis plus de quarante ans qu’un accompagnement et une prise en charge individualisés, précoces et adaptés, à la fois sur les plans éducatif, comportemental, et psychologique augmentent significativement les possibilités relationnelles et les capacités d’interaction sociale, le degré d’autonomie, et les possibilités d’acquisition de langage et de moyens de communication non verbale par les enfants atteints de ce handicap. »
Donc la prise en charge y compris éducative est une donnée essentielle de l’insertion des autistes dans notre société. La France s’est engagée à garantir le droit à l’éducation des enfants autistes en ratifiant la Charte sociale européenne.
Timothée vivait avec sa mère, et était inscrit dans le système scolaire classique. Des assistants de vie scolaire lui permettaient de suivre les cours. De son côté, la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) préconisait son placement en institut spécialisé compte tenu de ses difficultés scolaires en 2013/2014. Elle a donc supprimé les AVS. L’école a indiqué ne plus être en capacité, sans AVS, d’assumer la prise en charge de Timothée et a refusé de le garder pour la rentrée 2014/2015. Devant l’insistance de sa mère à le scolariser, y compris par la force, en attendant le résultat de l’action qu’elle avait lancée, l’adolescent a été évacué de l’établissement scolaire avec l’aide de la police. En mai 2015, la juge des enfants a confié Timothée à son père, qui lui était favorable à sa prise en charge spécialisée, afin qu’il puisse le confier à un Institut Médico Educatif (IME). Ce dernier, au terme de 4 jours décide de le renvoyer vers un hôpital psychiatrique pour adultes où il est resté 9 jours, avec l’accord de son père, au cours desquels il sera mis sous psychotropes et coupé de ses proches.
Catalina Devandas Aguilar, rapporteuse de l’ONU, spécialisée en droit des personnes handicapées, déclare que « l’institutionnalisation de Timothée D. en milieu psychiatrique constitue une grave atteinte au droit à la liberté et sécurité de sa personne et au respect de son intégrité physique et mentale ». Elle précise qu’« elle viole également les droits de cet adolescent à l’autonomie et à l’inclusion dans la société, à vivre au sein de sa famille et à exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant ». Elle conclut par le fait qu’« Il est particulièrement grave que l’intérêt supérieur de cet adolescent, qui n’a jusque-là guère été pris en compte dans les décisions le concernant, ait été invoqué pour le priver de voir des membres de sa famille ».
Pointer ainsi l’attitude de la France n’est pas nouveau. En février 2015 le commissaire des droits de l’homme du conseil de l’Europe pointait également «[… ] un certain nombre de situations à la fois inquiétantes et paradoxales : ainsi, des personnes qui auraient pu bénéficier d’un maintien en milieu ordinaire à condition de recevoir l’accompagnement personnalisé nécessaire se trouvent placées en institutions, faute d’une évaluation pertinente de leurs besoins ou de disponibilité des services médico-sociaux adaptés». L’incapacité de l’État à fournir des données précises sur le nombre de handicapés et la nature de leur handicap pose problème. Comment mettre en œuvre les moyens adaptés pour gérer une situation dont on ignore tout ? 80.000 personnes voient leurs libertés individuelles retirées par une hospitalisation d’office, 6.000 français doivent s’exiler en Belgique pour pouvoir être correctement pris en charge, 20.000 enfants sont privés de leurs droits à l’éducation, dont une grosse majorité d’autistes. Un article de Libération du 18 février 2015 titre d’ailleurs « environ 20.000 enfants handicapés sans solution »
L’État français a déjà été condamné par le Conseil de l’Europe 5 fois depuis 2004 pour ces manquements. Il lui a été accordé 10 ans à partir de 2004 pour y remédier, ce qui est loin d’avoir été fait. En effet, permettre de passer de 10 à 20% la prise en charge des autistes en milieu scolaire classique est certes une avancée mais pas suffisante en regard des engagements pris, puisque 80% des autistes demeurent exclus. La cour européenne des droits de l’homme considère dans sa dernière décision qu’ « il y a violation de la Charte sociale européenne révisée en ce qui concerne le droit des enfants et adolescents autistes à la scolarisation en priorité dans les établissements de droit commun, et l’absence de prédominance d’un caractère éducatif au sein des institutions spécialisées », absence de prédominance rappelée dans un article de L’Express de 2012. L’État français devient particulièrement surveillé et doit depuis 2014 faire un rapport annuel des efforts qu’il fournit pour remédier aux problèmes relevés qui sont principalement :
- Manque d’écoles
- Manque de moyens alloués aux écoles
- Précarité du statut du personnel accompagnant (Auxiliaires de vie scolaire dites AVS),
- Manque de financement d’institutions spécialisées sur le territoire au profit du financement de la prise en charge des autistes français en Belgique. Vous avez bien lu. Nous en sommes arrivés à la situation aberrante de préférer externaliser la prise en charge de nos autistes nationaux dans les pays frontaliers plutôt que de créer les conditions favorables à leur accueil sur le territoire français. L’adoption le 13 mars 2015 de l’amendement AS1488 de la loi sur la santé favorisant cette incongruité avait d’ailleurs créé une vive polémique.
Secouée par le Conseil de l’Europe, un nouveau plan nommé « Plan autisme 3 » a tout de même été adopté en 2013, après 3 années de carence, qui devrait contribuer à améliorer significativement la situation des enfants et adolescents autistes ; mais ses premiers résultats ne seront pas effectifs avant 2017. Ce plan a été validé le 10 mars 2014 par le conseil des ministres de l’Europe. Un article du Monde de septembre 2014 dresse un bilan mitigé de ce plan après une année. Il rapporte les propos du Président de l’association Autistes sans frontières qui indique que « C’est la première fois qu’un président de la République se déplace dans un lieu où l’on fait exactement ce qu’il faut faire, c’est un signal positif » toutefois, il souligne aussi le fait que créer sept places dans chaque département, soit prendre 700 enfants à terme sur toute la France, n’est sans doute pas suffisant en regard des 7 000 à 8 000 enfants qui naissent chaque année atteints d’une forme d’autisme. Cela tombe sous le sens.
Le traitement des autistes n’est pas aussi lamentable dans le monde. 650.000 personnes sont touchées par l’autisme, c’est énorme. Au lieu de pénaliser le « hors norme » comme on a coutume de le faire chez nous, ailleurs, on décide d’en faire des atouts. Un article de Novethic l’explique parfaitement. Il suffit d’observer ce qui se passe dans les pays du Nord de l’Europe comme la Belgique ou le Danemark pour se rassurer sur l’existence de solutions et d’une intégration possible dans la société. En Grande-Bretagne, 100% des autistes sont scolarisés, idem en Italie et en Suède, où n’existent pas de statistiques sur le sujet ; l’absence d’insertion sociale y étant considéré comme une maltraitance, on peut tabler sur un chiffre proche des 100%. Les études montrent selon le collectif autisme que : « Les personnes handicapées ont acquis plus d’autonomie et la discrimination a régressé. En matière de coût économique, des études réalisées en Suède et en Grande Bretagne ont indiqué que ces modalités de prise ne charge permettant une insertion sociale étaient moins coûteuse que l’institutionnalisation. » On peut aussi se pencher sur la manière dont les États-Unis transforment le handicap en atout, ainsi Microsoft qui annonçait en mars 2015 vouloir recruter des autistes au sein de son groupe. Est-il utile de rappeler que Bill Gates est lui-même probablement autiste ? Sont soupçonnés de l’être également Mark Zuckerberg (créateur de Facebook), Marie Curie (chercheuse) et bien d’autres. Tous les autistes ne sont pas des Bill Gates, évidemment, mais rien n’interdit de penser qu’avec une prise en charge appropriée, beaucoup pourraient trouver une place dans la société.
Nous sommes le 30 septembre 2015. Un juge du tribunal de Lyon a confirmé le 25 septembre 2015 la décision initiale de confier Timothée à son père afin qu’il soit à nouveau placé en IME sans tenir compte des préconisations de l’ONU. Dont acte. Je suis curieuse de savoir ce que le gouvernement répondra aux questions que lui posera l’ONU sur cette affaire. Il doit le faire avant le 15 octobre prochain. Les condamnations de l’État français s’entassent ; ainsi vient-il d’être condamné à verser 240.000 euros pour indemniser 7 familles en 2015. La réaction des responsables politiques est ahurissante. Ils se gargarisent d’une condamnation de leur propre carence justement. Les associations dépitées par le manque de réaction des pouvoirs publics, s’organisent pour lancer des actions collectives en tablant sur le fait que le poids financier des condamnations obligera l’État à enfin prendre le problème à bras-le-corps. Ainsi par exemple Vaincre l’autisme fait un appel aux victimes afin de lancer une action collective avec un minimum de 500 dossiers. 500 dossiers avec une moyenne de 34.000 euros d’indemnisation par dossier (si l’on se réfère à la condamnation précitée), cela fait une estimation basse de 17 millions d’euros à verser. 8.000 enfants autistes naissent chaque année, soit potentiellement autant de dossiers que les associations pourraient amener devant les tribunaux. Je vous laisse comparer avec les ridicules 205 millions que va coûter un plan autisme 3, qui s’étale sur 4 ans, et qui est, nous le savons déjà, nettement insuffisant. La question de l’autisme concerne tout le monde. Il n’est pas acceptable ni humainement ni matériellement qu’aujourd’hui il y ait encore des milliers d’enfants comme Timothée.
Dernières nouvelles sur Thimothée
« Avant-hier, Maryna a pris la résolution de protéger son fils d’une décision judiciaire qui mettrait assurément sa santé psychique et physique en danger.
Elle s’est réfugiée, avec son fils, dans un autre pays, son mari (le beau-père de Timothée) et sa fille étant restés chez eux. »
http://autisticrightstogether.ie/index.php/2-uncategorised/45-urgent-help-for-timothee
Derniers débats au Sénat :
http://www.senat.fr/seances/s201509/s20150928/s20150928002.html
Je dois dire que je suis un peu partagé vis-à-vis des demandes visant à confier à l’Etat la charge de faire des autistes de parfaits petits intégrés dans notre système éducatif pro-socialisation. Non que je veuille que les autistes soient abandonnés à leur sort, mais je ne crois pas que le système éducatif français puisse, dans sa configuration actuelle, être partie de la solution, et je ne crois pas non plus que nous puissions le réformer dans le bon sens, tant qu’il se voudra égalisateur et uniformisateur.
Ce n’est pas tellement « le système éducatif actuel » mais le fait qu’un enfant autiste mis à l’école et à qui on explique les règles qui lui échappent (donc accueilli par l’école dans son individualité, comme tout enfant normalement) a bien plus de chances d’acquérir les codes et d’apprendre un mode de fonctionnement socialement acceptable que s’il est isolé, médicamenté, laissé dans une chambre d’hôpital psychiatrique. D’autant plus que c’est en plus beaucoup moins cher d’avoir un AVS à mi temps ou même 100% du temps pendant l’école que de payer pour ces « drogues » assez violentes et aux effets secondaires mal connus et qu’une « hospitalisation » ou « institutionnalisation ». On peut estimer le cout d’un suivi « psychiatrie pure » en institution à plus de 1000€ par jour, 365j par an, à comparer à 2500€ par mois, chargés, pour l’AVS, sur les seuls 8 mois d’école par an…
c’est presque bon, mais c’est quand même traÎne et non traine.
NDLR : corrigé. Merci.
Je suis ravi de lire des choses de ce genre ici.
Je suis autiste léger (Asperger) et père d’un fils de 6 ans assez lourdement atteint (il commence lentement à acquérir le langage oral, alors qu’il est plutôt « cognitivement en avance » sur ses pairs) ainsi que d’une fille de 4 ans soupçonnée d’être légèrement Asperger. Mais tout va pas trop mal, la MDPH locale, l’école et la psychiatrie infanto-juvénile sont plutôt flexibles et ouverts aux approches comportementales et éducatives (qui marchent statistiquement le mieux).
Le problème n’est pas de demander que l’État se mêle davantage du sort des autistes : il le fait déjà de façon massive. La prise en charge dans un IME coute à la sécu plus de 1000€ par jour !!!! En fait la France tout en étant un des pires pays pour être autiste est aussi un des pays claquant le plus d’argent sur ces questions. Mais comme d’habitude dans notre pays de fonctionnaires, on dépense beaucoup mais on dépense mal parce qu’il n’y a pas pire que de dépenser l’argent des autres pour les autres (Friedman).
Demander par contre que, puisqu’on a une école publique qui ne peut refuser de scolariser X alors qu’il a attaqué son prof avec un cutter, et été impliqué dans un viol, cette même école ne puisse pas refuser arbitrairement de scolariser Y sur la base d’un diagnostique d’autisme, ça me semble pas idiot. De même demander que l’avis des parents et des enfants soit respecté d’avantage que celui des « professionnels de la profession » ou au moins autant, permettrait d’éviter quelques scandales (il y a encore dans le système psychiatrique français un nombre effarant de psychanalystes qui disent « l’autisme c’est la faut des parents, notamment de la mère « frigidaire » et donc on « soigne » par l’éloignement, alors que tout indique que l’autisme est plutôt un mode de cognition différent -dont on ne peut jamais « guérir », pas plus qu’on pourrait guérir quelqu’un d’avoir de l’humour ou d’être intelligent ou blond… – d’origine principalement génétique).
Bref, les US dépensent beaucoup moins d’argent et ça marche beaucoup mieux. Là encore, on a un exemple de quelque chose où laisser les praticiens, les parents, les écoles se débrouiller entre eux sans mettre de règles automatiques idiotes ça marche bien mieux. Ou laisser l’Etat et ses grosse pates pleines de miel gérer quelque chose de non régalien conduit à du n’importe quoi.
Le traitement de l’autisme et de bien d’autre formes de troubles psychiques est traité en France de la même façon archaïque et inhumaine qui a prévalu jusqu’au 19ème siècle.
En HP, on ne cherche pas à guérir, ou au moins à tout faire pour comprendre la personne, le trouble qu’elle vit, et la meilleure façon de l’aider, non, dans les hôpitaux français, on cherche à soumettre le malade à une discipline, on cherche à le briser.
Contention, camisole chimique, enfermement, attitude autoritaire et dénuée de toute empathie face à des malades en crise et donc en souffrance. Voilà les méthodes psychiatriques modernes, qui au fond ne changent pas de celles qui avaient cours autrefois, seules les installations sont plus humaines, et le personnel ne se livre évidemment pas, sauf exception, à la torture.
Mais ce sont les faits, y compris avec des autistes Asperger, je l’ai vu faire.
Un autiste éprouve des difficultés plus ou moins grandes à s’adapter à notre univers relationnel habituel, avec ses barrières, ses codes, une complexité dont nous avons peu conscience, à laquelle il leur est, à des degrés divers, difficile, voire au premier abord impossible de s’intégrer. Répondre à cette difficulté, répondre au trouble que cela leur cause, par de la contention, des menaces de contention, de l’enfermement etc, c’est juste inacceptable.
Et je passerai sur la lamentable interprétation psychanalytique de l’autisme, qui continue en France de sévir, et de justifier ce genre de « soins » aussi inefficaces.
Déjà, on commence à arrêter d’accabler les mères et c’est un progrès. Les psychanalystes sont en grande partie responsables de l’immense retard de la France dans ce domaine.
pas faux !
Si les nordiques font mieux que nous copions-les ! Personne ne nous envie l’exception a la français et manifestement on arrivera pas a inventer une meilleur solution . Le pauvre timothée est passé d’artiste a malade mental , ça fait penser au camps de rééducation russes pas au droit de l’homme …
on est d’accord …