Par Philippe Silberzahn.
J’ai évoqué dans un article précédent la tendance naturelle pour une entreprise de satisfaire ses clients les plus exigeants et le sur-service qui en résultait pour ses clients moyens, ouvrant ainsi la voie à une rupture par le bas. Revenons sur la dynamique qui se produit lorsque des clients sont sur-servis sur un marché.
Le sur-service (le fait d’offrir trop à ses clients) entraîne un glissement progressif sur le marché du critère de performance dominant. Lorsque la technologie est immature, sa performance technique est encore insuffisante et c’est sur ce critère que les clients exigent des améliorations de performance. Par exemple dans les années 90, les PC étaient insuffisamment puissants pour permettre une utilisation confortable de Windows, et chaque nouvelle version du microprocesseur d’Intel était attendue avec impatience. Au bout d’un moment, les progrès de la technique font que la performance jusque-là insuffisante atteint un niveau suffisant pour satisfaire les besoins des utilisateurs moyens. Aujourd’hui, n’importe quel PC acheté dans un supermarché est suffisamment puissant pour effectuer toutes les tâches de la plupart des utilisateurs. La performance technique devient suffisante, et toute performance supérieure n’est pas valorisée par les utilisateurs moyens.
Dès lors, le critère de performance du marché passe de la performance technique à la facilité d’utilisation. À performances techniques égales, deux produits seront comparés selon leur facilité d’utilisation. C’est la victoire de l’iPhone, techniquement inférieur aux Nokia de l’époque lors de son lancement (il n’était pas compatible avec la 3G), mais suffisant cependant, ou de la Ford T dont on oublie qu’elle fut facile à conduire avant d’être peu onéreuse. Si elle avait été aussi difficile à conduire que les voitures de l’époque, elle n’aurait pas pu devenir aussi populaire. La facilité d’utilisation (au sens large) est donc une condition indispensable à la diffusion en masse de l’innovation.
Dans un troisième temps, lorsque la technologie devient suffisamment familière aux utilisateurs moyens, le critère de performance bascule une nouvelle fois, cette fois vers le prix. C’est l’ère de la banalisation et de la guerre des prix, qui permet la véritable diffusion de masse. C’est également la phase dans laquelle des offres low-cost sont introduites, car la technologie s’est également banalisée pour les producteurs.
Naturellement, la connaissance de cette évolution en phases d’un marché permettra aux acteurs d’adapter leur stratégie : par exemple, la facilité d’utilisation ne sera pas un facteur primordial dans la phase initiale. Toutefois, ces phases ne doivent pas être conçues comme des étapes qu’il faut attendre passivement. La Ford T est un bon exemple d’un acteur qui force le passage d’un marché d’une phase à l’autre. Avant elle, une voiture était souvent construite spécifiquement pour son acheteur, elle était très chère et compliquée à conduire. Mais au début du XXème siècle, les technologies permettent de simplifier tout cela. C’est ce que fait Henry Ford, qui conçoit une voiture facile à fabriquer et facile à conduire et à entretenir. Cette facilité de fabrication lui permet en outre d’abaisser considérablement le prix, franchissant ainsi non pas une mais deux phases, facilité d’utilisation et prix, d’un coup. Le prix sera encore abaissé lorsqu’il développera la fabrication à la chaîne.
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Son prénom est vraiment sympa mais son article ressemble à extrait un bouquin de cours pour IUT Tech’ de Co. Ceci dit, je n’ai rien contre les IUT Tech’ de Co.
C’était juste pour laisser un commentaire sur Contrepoint. Je lis souvent et je commente peu. Alors comme le pauvre homme n’avait pas de commentaire sur son article, je me suis dit que cela lui ferait plaisir que j’en mette un.