Le mariage pour tous, et l’obstacle de la hiérarchie des normes

Des conventions bilatérales font obstacle à l’application de la loi Taubira pour certains couples homosexuels Français-étranger.

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La vie d'Aldèle. Abdellatif Kechiche. 2013. Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos.

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Le mariage pour tous, et l’obstacle de la hiérarchie des normes

Publié le 28 juin 2013
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Des conventions bilatérales font obstacle à l’application de la loi Taubira pour certains couples homosexuels Français-étranger.

Par Roseline Letteron.

Rue 89 attire l’attention sur l’obstacle opposé par certaines conventions bilatérales à la mise en œuvre de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. Dans sa rédaction issue de ce texte, l’article 202 alinea 2 du code civil énonce que « deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l’une d’elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l’État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet« . Le législateur français a adopté cette disposition pour permettre aux étrangers partageant la vie d’un Français ou d’une Française de se marier, alors même que le droit de leur pays d’origine n’autorise pas le mariage pour tous. Rien de plus logique, puisqu’il s’agit d’assurer le respect du principe de non discrimination devant le mariage.

Les étrangers et la liberté du mariage

Rappelons que le Conseil Constitutionnel, depuis sa décision du 13 août 1993, consacre la « liberté du mariage » comme ayant valeur constitutionnelle, car elle est « une des composantes de la liberté individuelle« . Dix ans plus tard, le 20 novembre 2003, le Conseil a également rattaché la liberté du mariage à la « liberté personnelle« , et donc aux articles 2 et 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Dans les deux cas, le mariage a été consacré comme liberté, précisément dans le but d’apprécier la constitutionnalité de dispositions législatives soumettant l’octroi de la carte de résident au conjoint étranger à une condition de délai après l’union matrimoniale, un an en 1993 et deux ans en 2003. Dans les deux cas, le juge constitutionnel a estimé que ces délais ne portaient pas une atteinte excessive à la liberté du mariage.

La liberté du mariage existe donc aussi bien pour les nationaux que pour les étrangers, et c’est bien ce qu’affirme l’article 202 alinéa 2 du code civil.

Les conventions bilatérales sur l’application du droit personnel

Tout serait parfait, si la France, bien avant que le mariage pour tous soit à l’ordre du jour n’avait signé et ratifié une série de conventions bilatérales avec la Pologne, le Maroc, la Tunisie, le Laos, le Cambodge, le Vietnam, l’Algérie, Madagascar et les États de l’ex-Yougoslavie. Lorsqu’un ressortissant de ces États veut contracter mariage avec un Français, c’est le droit du mariage de son pays d’origine qui s’applique. D’une manière générale, ces conventions sont relativement anciennes (par exemple, 1967 avec la Pologne et 1981 avec le Maroc) et conclues avec des États jadis colonisés par la France ou donnant lieu à une coopération juridique approfondie.

Aujourd’hui, ces conventions viennent porter atteinte à la liberté du mariage et introduire des discriminations. En effet, les couples homosexuels dont l’un des membres est originaire de l’un ou l’autre de ces onze pays se voit refuser l’accès au mariage, dès lors que l’union entre deux personnes de même texte est interdite dans leur pays d’origine. Le témoignage de Lise, sur Rue 89, qui a « fait l’erreur de tomber amoureuse d’une Polonaise » est particulièrement éclairant. Elle montre que la convention franco-polonaise n’a pas pour effet d’entrainer l’absence de reconnaissance du mariage en Pologne, ce qui ne serait pas très grave, mais qu’elle interdit bel et bien la célébration du mariage.

La vie d’Aldèle. Abdellatif Kechiche. 2013. Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos.

La hiérarchie des normes

Pourquoi cette rigueur ? Tout simplement parce que la hiérarchie des normes impose la supériorité du traité sur la loi. Dès lors que le traité impose l’application du droit polonais, la loi Taubira se trouve écartée. La règle est implacable et il est impossible de surmonter l’obstacle par la voie législative. On pourrait qualifier la situation comme une sorte de « zugzwang », puisque les autorités françaises n’ont pas d’autre solution que de refuser l’accès au mariage, au nom de la supériorité du traité et du respect des engagements internationaux. Mais agissant ainsi, elles établissent un régime discriminatoire au détriment de certains ressortissants étrangers.

Il convient évidemment de s’interroger sur les moyens de sortir de cette situation. Certes, certaines conventions, comme celle liant la France et la Maroc, comportent une clause d’ordre public qui autorise le juge à écarter la convention, lorsque l’une de ses dispositions n’est pas conforme à l’ordre public français. Il faudrait donc saisir le juge préalablement à chaque mariage, et cette solution ne pourrait être appliquée que s’il existe une clause d’ordre public. D’autres, comme précisément la convention franco-polonaise, sont renouvelables par tacite reconduction, en l’espèce tous les cinq ans. Il faudrait alors attendre le moment opportun et dénoncer le traité archaïque. La procédure risque de susciter quelques difficultés diplomatiques et de se révéler fort longue, surtout pour ceux ou celles qui attendent depuis longtemps de pouvoir se marier. Ces solutions ponctuelles sont donc bien peu satisfaisantes.

Les recours possibles

Il n’est évidemment pas possible d’envisager un recours devant le Conseil Constitutionnel, dès lors que ce dernier n’est pas juge de la conformité des traités à la Constitution. Les couples concernés doivent donc envisager d’autres recours devant les juges du fond et, le cas échéant, devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Ces possibilités sont parfaitement résumées dans la circulaire adressée par le ministre de l’intérieur aux élus le 13 juin 2013.

Le juge judiciaire peut être saisi, soit à la suite d’une demande adressée au procureur d’ordonner la célébration du mariage et demeurée sans effet, soit pour demander la cessation d’un refus qui s’analyse comme une voie de fait, c’est-à-dire une atteinte particulièrement grave aux libertés. Rappelons en effet que le Conseil Constitutionnel considère le droit au mariage comme l’élément de la liberté « individuelle » ou « personnelle ».

À cette occasion, le juge pourrait trouver dans une telle affaire l’opportunité de réaffirmer la jurisprudence de la Cour de Cassation. Depuis sa décision Pauline Fraisse du 2 juin 2000, celle-ci reconnaît en effet que « l’article 55 de la Constitution ne s’applique pas dans l’ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle« . Autrement dit, la supériorité des traités sur la loi trouve son fondement dans la Constitution, plus précisément dans son article 55. Rien n’interdit donc de faire prévaloir la norme constitutionnelle sur le traité, et, en l’espèce, d’écarter la convention bilatérale, car elle emporte une violation du principe d’égalité devant la loi.

Une autre solution consisterait, pour les juges du fond, à s’appuyer directement sur la Convention européenne des droits de l’homme, et le principe de non discrimination qu’elle garantit, pour affirmer sa supériorité sur la convention bilatérale. La question du conflit de normes entre deux conventions internationales serait ainsi résolue. Rien n’interdirait d’ailleurs aux juges du fond de concilier les deux démarches, en se référant à la fois à la Convention et au principe d’égalité figurant dans la Constitution.

Supposons cependant que les juges du fond ne profitent pas de cette opportunité de développer une jurisprudence novatrice, et se bornent à refuser la célébration du mariage, en s’appuyant sur la convention bilatérale qui y fait obstacle. Une fois épuisées les voies de recours internes, les couples pourront alors saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Et celle-ci constatera probablement que le droit applicable est discriminatoire et donc non conforme à la Convention européenne des droits de l’homme. Les autorités françaises pourront alors s’appuyer sur la Convention européenne pour écarter un traité bilatéral, et la question de la hiérarchie des normes sera enfin surmontée. Là encore, ce sera long, et il ne faut pas espérer que le droit polonais, qui refuse toujours l’IVG, rendra le recours sans objet en adoptant une loi sur le mariage pour tous. Mais les chances de succès à l’arrivée sont tout de même importantes. Espérons que Lise et sa compagne se lanceront dans le combat.


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  • Bravi les Polonais! Tenez bon et fermement le plus longtemps possible contre le mariage homosexualiste!

  • Et oui, que du vent tout cela (et qui paye d’ailleurs ?).

  • Le Conseil constitutionnel a affirmé, dans sa décision du 17/05/2013, que « si la législation républicaine antérieure à 1946 & les lois postérieures ont, jusqu’à la loi déférée, regardé le mariage comme l’union d’un homme & d’une femme, cette règle qui n’intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l’organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du
    1er alinéa du Préambule de 1946 ». Donc un critère qui n’a pas permis de censurer la loi pourrait être utilisé devant les juridictions françaises & internationales pour favoriser le mariage homosexuel ? C’est ça l’Etat de droit ?

    • Le principe allégué peut-il faire obstacle au mariage de groupe, ou mariage polyamoureux ? Cette revendication est encore très marginale, mais mérite toute l’attention des amis de la liberté, qui luttent « contre les discriminations quelles qu’elles soient ».

      • Vous parlez du mariage à 3?

        Je veux bien, mais il faudrait commencer par décrire son fonctionnement en détail. Sinon on parle dans le vide.

  • Si le caractère d’altérité sexuelle du mariage ne relève ni des « droits & libertés fondamentaux », ni de la « souveraineté nationale », ni de l' »organisation des pouvoirs publics », il relève peut-être alors de la politique économique & sociale ? Ben non, nous affirment Mme Letteron & quantité de « juristes », c’est pour cela qu’un référendum serait impossible…

  • « un régime discriminatoire au détriment de certains ressortissants étrangers »… mais ça n’a pas de sens !
    C’est le principe même des états, la « discrimination » envers (et entre) les étrangers.
    Dans le cas mis en avant, la France se borne à appliquer le droit polonais. Si quelqu’un « discrimine » (sic), c’est la Pologne. A moins que la CEDH considère que le mariage unisexe est un droit de l’Homme (pourquoi pas…), et que le droit polonais est défectueux, faire reproche à la France d’appliquer le droit international ne mènera probablement à rien.

    • Non, c’est la France qui discrimine, sous prétexte qu’un autre pays le fait, ce qui est un prétexte inepte.

      La France n’a pas à discriminer, même si les autres le font!!!!!!!

      • « La France n’a pas à discriminer » ça veut dire en bon français « La France n’a pas a exister » (parce que sans discrimination le pays au sens légal disparaît purement et simplement)
        C’est un point de vue. Rigolo.

        C’est la définition d’un état, que de discriminer.

        •  » ça veut dire en bon français « La France n’a pas a exister »  »

          Bon, ça se confirme, vous en tenez une sacrée couche.

          En même temps, avec un message qui s’adresse au sens commun, compréhensible seulement en tenant compte du contexte, je prenais un risque.

          Pour les non-comprenants : la France n’a pas à discriminer selon le sexe même si un autre pays le fait!!!!!!!!

          Vous êtes vraiment nul.

    • « Dans le cas mis en avant, la France se borne à appliquer le droit polonais. »

      Précisément, la France ne devrait pas le faire.

  • Encore une loi peinte avec la queue d’un singe, comme aurait dit
    Eltsine !

    Parce que même s’il était fait droit au mariage avec un étranger d’un des pays cités, ces pays ne seraient pas obligé de le reconnaître. On va vers un gallimatia incroyable.

    C’est aussi bien entendu la porte béante à une foule de mariages blancs, et d’époux-visa …

  • Curmudgeon,

    Je pense que si l’on tire les conclusions de la décision du Conseil constitutionnel, il n’y a pas de droit à la polygamie, au mariage incestueux etc. comme il n’y avait pas de droit au mariage homosexuel avant la loi Taubira. Mais aucun principe supérieur ne s’opposerait à l’instauration de la polygamie. & le législateur pourrait même réserver le mariage aux paires homosexuelles.

  • Bien sûr, comme pour la taxation confiscatoire et la redistribution, les bobos français veulent imposer leurs délires au monde entier. Donc les ayatollahs de la fausse égalité (qui au passage n’ont pas grand chose à faire pour élaborer de telles élucubrations) partent en guerre à l’international. Souhaitons que les pays qui ont encore un peu de bon sens et pour lesquels l’égalité concerne des personnes dans la même situation tiennent bon! Si les juridictions françaises refusent de tenir compte de l’ordre public international des Etats étrangers concernés, au moins de tels mariages fictifs ne seront pas reconnus dans le pays d’origine.

  • Qu’elle demande la nationalité Française cette Polonaise, et n’en parlons plus. On a déjà suffisamment palabré sur cette absurdité de Loi Tobira, qui n’est qu’un gadget socialiste. Un PACS amélioré aurait très bien pu garantir une équité de droits entre les citoyens, pour qu’ils vivent à leur guise avec la sexualité de leur choix.

  • Si c’est juste un problème de constitution on fait un référendum pour la changer … ou pas.

  • Très bon article, clair, précis et pertinent.
    Mais absolument pas de quoi s’émouvoir, le sujet est très bien traité mais ça n’est ni plus ni moi qu’un problème de conflit de loi des plus banal et des plus courant.

  • Les commentaires sont fermés.

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