Qui a signé le contrat social ?

Le contrat social, que personne n'a signé et dont personne ne connait les clauses, n'a de contrat que le nom.
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Qui a signé le contrat social ?

Publié le 6 février 2013
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Le contrat social, que personne n’a signé et dont personne ne connait les clauses, n’a de contrat que le nom.

Par Georges Kaplan.

Je suis comme Voltaire, je n’aime pas Rousseau. Je n’aime pas Rousseau parce que je ne lui trouve ni qualités morales – un type qui abandonne ses cinq enfants à l’assistance publique pour continuer à mener sa vie de parasite ne mérite que mon mépris –, ni qualités intellectuelles – son Contrat social ne mérite même pas le titre flatteur de théorie ; c’est, au mieux, de la démagogie ; un vœu pieux ; un vague « on n’a qu’à faire comme si… » Mais laissons là M. Rousseau et sa vie misérable et parlons plutôt de ce contrat social.

Pour qu’un tel contrat existe, il faudrait, quant au fond, que nous en connaissions les clauses et, pour la forme, que nous l’ayons signé ; au moins implicitement.

Le fond de la chose

Commençons par le fond. Si j’en crois Élisabeth Lévy, qui semble, une fois n’est pas coutume, être d’accord avec M. Hollande, ce contrat serait matérialisé par l’impôt en tant qu’« instrument de la redistribution ». Fort bien. Ainsi donc, pour Élisabeth notre contrat social se caractériserait par un impôt (fortement) progressif destiné à pourvoir à cette « passion française » (comme nous le rappelle Daoud Boughezala) pour l’égalité des conditions matérielles. C’est-à-dire que notre contrat social serait le Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels. Après tout, là où nous en sommes, pourquoi pas ? Il est bien possible qu’Élisabeth ait raison ; il semble en tout cas que son interprétation de la chose soit parfaitement en phase avec celle de notre personnel politique, d’un extrême à l’autre de l’hémicycle, et avec celle de l’opinion publiée [1].

Ce qui me pose problème ici, c’est que si notre contrat social est le manifeste de MM. Marx et Engels, alors, pardon, mais je refuse obstinément et avec la dernière vigueur d’être engagé par ce texte. Pas un mot, pas même une virgule. Pour moi, le contrat social de la nation française, c’est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; ce texte manifestement tombé en désuétude qui consacre l’égalité en droits – c’est-à-dire devant la Loi – et le principe d’un impôt « également réparti entre tous les Citoyens en raison de leurs facultés » (i.e. cette idée dangereusement extrémiste d’une flat tax) dont l’objet est de financer l’entretien de la force publique et les dépenses d’administration (et pas un simulacre de solidarité).

Et donc voilà : manifestement, Élisabeth et moi n’avons signé le même contrat et je suspecte qu’il existe à cet instant précis autant d’interprétations de la chose en question que de lecteurs de cette phrase. Naturellement, c’est un problème ; cela signifie que nous avons tous une interprétation différente de ce pacte qui est supposé définir nos droits et nos devoirs ; les règles fondamentales de notre vie commune. Ainsi, je pose la question : quelle consistance peut bien avoir un contrat qui lie des signataires qui ont tous des interprétations différentes de ses clauses ?

Encore faudrait-il que nous l’ayons signé

Ce qui m’amène tous naturellement à mon deuxième point ; la condition de forme : j’espère ne choquer personne en affirmant qu’un contrat n’est valide que s’il a été librement signé par les parties qu’il engage. C’est le b.a.-ba. Un contrat qui définit nos droits et nos devoirs sans que nous ayons eu, à aucun moment, l’occasion de le signer ou de n’en rien faire ; un contrat qui s’impose à nous du simple fait de notre naissance ; un contrat dont on nous impose l’exécution avec pour seule alternative l’exil ou le trépas ; c’est un contrat de servage, d’esclavage ou, plutôt et pour parler justement, ce n’est pas un contrat du tout.

Or voilà, je ne sais pas pour vous, mais il se trouve qu’en ce qui me concerne, c’est tout à fait le cas : je n’ai pas signé ce contrat, il ne s’impose à moi que parce que je suis né français et les seuls moyens dont je dispose pour y mettre fin sont la fuite ou la mort. Permettez-moi d’insister sur ce dernier point : si vous êtes partisan du contrat social de MM. Marx et Engels – taux d’imposition prohibitif, règlementation invasive, interventionnisme et redistribution à tous les étages – sachez que moi, je ne le suis pas. Je n’y consens pas et la seule raison qui fait que j’obtempère, c’est que vous m’y forcez ; c’est le prix que vous exigez pour me laisser vivre dans le pays de mes ancêtres.

Élisabeth écrit qu’« il en va de l’impôt comme du contrat social : ils n’existent pas sans coercition, et pas non plus sans consentement ». Je répondrais sur le contrat social comme Murray Rothbard répondait sur l’impôt : il suffirait de laisser chacun décider librement s’il souhaite ou non payer l’impôt qu’on lui réclame pour démontrer qu’au regard du taux et des contreparties, il y a là beaucoup de coercition et bien peu de consentement.

Le refonder ou cesser d’en parler

Alors voilà, au risque de choquer les bonnes âmes : un contrat que personne n’a signé et dont personne ne connait les clauses, n’existe tout simplement pas. Laissez-moi dire les choses bien nettement : nous n’avons pas de contrat social. Voilà bien longtemps que la DDHC de 1789 a cessé d’être notre Bill of Rights [2], que nos gouvernants s’assoient dessus et que nos concitoyens s’en moquent comme d’une guigne. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer les motifs qui ont amené notre Conseil constitutionnel à invalider la taxe « Lutte des Classes » de M. Hollande : dans ce texte en contradiction totale avec et l’esprit et la lettre de la DDHC, ils n’ont trouvé qu’un obscur point de détail à ronger.

Et pourtant, Dieu sait que nous aurions besoin d’un contrat social. Si ceux qui nous ont précédés ont pris tant de soins à rédiger notre DDHC, le Bill of Rights américain, la Pétition des droits anglais ou la Grundgesetz allemande [3], ce n’est pas pour tuer le temps mais bel et bien que ces hommes qui avaient connu l’arbitraire étaient bien placés pour mesurer à quel point tout pouvoir, fût-il démocratique, doit avoir des limites.

Voilà la véritable nature du contrat social : c’est un ensemble de principes qui définit les droits du citoyen en tant qu’individu et, par là même, les limites du pouvoir ; c’est la loi fondamentale qui s’impose au pouvoir lui-même. C’est de ces textes que naissent les nations de citoyens par opposition aux peuples de sujets ; c’est pour les défendre que des générations d’hommes ont risqué leur vie et l’ont si souvent perdue ; c’est un de ces textes, la DDHC de 1789, qui formait le socle de notre patrie jusqu’à ce que nous l’abandonnions pour poursuivre les fantasmes de M. Rousseau.

Les Français vont instinctivement au pouvoir ; ils n’aiment point la liberté ; l’égalité seule est leur idole. Or l’égalité et le despotisme ont des liaisons secrètes. François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe.

Peut-être un jour ferons nous enfin mentir Chateaubriand. Peut-être un jour cesserons nous de vouloir faire de notre République un république sociale ; ce « mot ambigu, notait Hayek, qui a acquis le pouvoir de vider les noms qu’il qualifie de leur signification ». Peut-être un jour arrêterons nous de poursuivre la chimère égalitariste et reprendrons nous possession de notre liberté. Mais d’ici là, de grâce, cessez d’invoquer le contrat social.

En général, en France, on abandonne trop volontiers la liberté, qui est la réalité, pour courir après l’égalité, qui est la chimère. C’est assez la manie française de lâcher le corps pour l’ombre. Victor Hugo à sa femme, le 6 juillet 1836. 


Sur le web.

Notes :

  1. Point Winston Churchill : « il n’existe rien de tel qu’une opinion publique ; il n’existe qu’une opinion publiée. »
  2. Les dix premiers amendements de la Constitution des États-Unis ; probablement le meilleur texte constitutionnel, le meilleur contrat social jamais écrit à ce jour.
  3. Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland, la loi fondamentale allemande adoptée en 1949.
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  • Merci de m’aider dans mon combat quotidien, pour expliquer à mon entourage que nous vivons dans un totalitarisme « doux ».

  • Vous ne parlez pas du texte de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui il me semble relève plus du marxisme que de la liberté. Des droits à et non des droits de….
    Tocqueville disait que les français aiment tellement l’égalité que s’ils ne la trouvent pas dans la liberté ils la chercherons dans la servitude »

  • Spooner dans Outrage à chef d’État a bien enfoncé ce mythe aussi.

  • Merci bien ! Ca nous aide à nous rappeler d’où nous venons !

    • Très bon article monsieur Kaplan, et je partage votre point de vue sur Rousseau et son fameux « Contrat social » qui a servi de base à la pensée totalitaire communiste, il y énonce les clauses de ce contrat « qui n’ont jamais été formellement énoncées », dit-il, et qu’il réduit à une seule :  » Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. » (L I, chap 6)

  • Parmi ceux qui n’ont que le contrat social à la bouche, on trouve ceux qui refusent d’honorer les contrats qu’ils ont signés avec Dexia pour acheter des voix aux élections.

    Essayez donc de payer vos impôts volontairement, vous verrez comment vous serez accueillis par les mafieux étatistes. Essayez de ne pas les payer, vous verrez comment ils se rappelleront à votre bon souvenir.

  • D’accord avec Georges sur tous les points :

    – le fameux contrat social, jamais lu le texte, jamais signé. De toutes les manières, ça change tout le temps.

    – la redistribution. D’où sort cette put&à »n de redistribution ? Pendant qu’on y est , on fout tout le monde au smic et on n’en parle plus.

    – l’égalité devant la liberté. Une belle arnaque. On nous prend notre liberté mais où est l’égalité ? Nulle part. Et ceux qui disent le contraire viendront m’en parler uniquement quand l’égalité sera réalisée dans le système des retraites. Et ça , c’est pas pour demain. Les cocus, comptez-vous.

  • Le contrat « social » cache par le mot social (très difficile à définir, et d’apparition tardive dans le vocabulaire humain- une confusion entre le public et le privé – mots qui eux existent depuis les origines !), une frénésie de partage. Les hommes ont besoin de vivre ensemble pour de nombreuses raisons et de mettre en commun, une partie de leurs ressources. C’est une autre chose que d’autres individus qui ne sont pas partie prenante dans cette mise en commun, veuillent la fixer, l’organiser, et que de plus leur frénésie prédatrice leur fasse taxer tout ce qui prospère. Or il y a deux pauvreté; celle due à l’absence de richesse et celle due à la disparition de la richesse qui avait pourtant le mérite d’exister. Ce qui se cache derrière la prétention fiscale est la tentative de métamorphoser la société en société d’assurance multirisque ou tout ce qui ne marche pas est renfloué par ce qui marche (le faisant de ce fait moins bien marcher). Toute personne économe, ponctuelle, rigoureuse, épargnante: toute fourmi est devenue la proie des cigales. Ce n’est pas solidarité mais tromperie. Mais les gens en faiblesse sont les grands demandeurs pour l’aubaine du politicien qui comme le médecin vit de la maladie humaine. La conclusion de cette situation est la transformation d’un contrat social de type marchand (avec donc réciprocité) en un contrat de type droit-devoir (avec donc absence de réciprocité humaine). Certains doivent à d’autres qui eux ne doivent rien ! La dégénérescence du vocabulaire fait appeler ceux qui bénéficient d’aides particulières, les défavorisés ! et ceux qui ont le devoir de payer pour les autres, les privilégiés !
    Il est inévitable que la société du type droit-devoir bascule dans des conflits permanents, tant elle crée de désordre dans la noblesse de la relation humaine

  • Moi j’aime bien la notion de contrat social. En France, le seul vice du truc, c’est qu’effectivement ce machin n’est pas formalisé, n’a pas de texte, et n’a jamais été signé par personne. Ce qui est cohérent avec la forme du gouvernement, autoritaire et aristo-démagogique.
    Mais le pacte fédéral suisse par exemple, ça fait un contrat social tout à fait exemplaire sur le fond comme dans la forme.
    Et bien sûr la DDHC 1789, que je signe des deux mains. Ou encore le bill of right américain.
    En fait, je pense que nous devrions signer la DDHC, la publier sous le titre « contrat social français », et ainsi à chaque fois qu’on nous parle du « contrat social », foutre sous le nez des gens qui en cause qu’il passent leur temps à le violer, et qu’à ce titre ils ne méritent que la mort ou le bannissement, comme les pires criminels, qu’ils sont.

    • Encore faut-il être d’accord avec le contrat, être obligé de signer reviendrait au même. Ni un bon communiste ni un bon libertarien n’accepteraient de signer la DDHC, fruit d’une révolution bourgeoise consacrant la puissance de l’Etat centralisé.

      • Certes. Mon idée n’est pat tant d’imposer un contrat que de matérialiser DES contrats sociaux. Si des libertariens, ou des communistes, en signe un autre entre eux, ça me va ; il sera bien clair que ces contrats ne seront pas LE contrat social, et si chacun respecte son contrat social avec ceux qui l’ont signé, tout baigne

  • Réflexion comme une autre….

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