Karel Capek : “La Guerre des salamandres” ou la menace totalitaire

Entre roman d’aventure et perspectives scientifique et utopiques, le tchèque et antitotalitaire Carel Capek (1890-1938), ose avec son bouillon de culture aux salamandres un conte philosophique attrayant, inoubliable.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
La Baconnière-Ibolya Virag

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Karel Capek : “La Guerre des salamandres” ou la menace totalitaire

Publié le 23 septembre 2012
- A +

Entre roman d’aventure et perspectives scientifique et utopiques, le tchèque et antitotalitaire Carel Capek (1890-1938), ose avec son bouillon de culture aux salamandres un conte philosophique attrayant, inoubliable.

Par Thierry Guinhut.
Le récit commence presque banalement, comme un roman  maritime à la Conrad, avec un capitaine haut en couleurs et en jurons. Jusqu’à ce qu’il découvre d’étranges salamandres à la taille et aux qualités presque humaines. Parmi les îles du Pacifique, une population a échappé à l’extinction et, grâce à la clairvoyance et aux couteaux du capitaine Van Toch, ils se protègent des requins et deviennent d’habiles pêcheur de perles, alimentant un commerce fructueux. Leur capacité de construction sous-marine permet au navigateur et commercial de s’allier à l’homme d’affaire Bondy et d’envisager l’exploitation et l’exportation de ce peuple.

Bientôt, le roman prend une dimension encyclopédique, lorsque les mœurs, « l’illusion érotique », l’intelligence de ces animaux capables de parler, de fonder des sociétés « collectivistes » qui n’ont rien à envier à celles des hommes, sont exposées. On y trouve des rapports de savants sur l’évolution des espèces, mais aussi la satire du microcosme scientifique et politique, sans compter celle, corrosive, des milieux du cinéma et de la presse, des mécanismes commerciaux et entrepreneuriaux. Jusqu’à ce que ces batraciens veuillent étendre leur « espace vital » aux dépens des humains… L’épopée tourne à la catastrophe mondiale, parmi les races nordiques de salamandres et d’autres plus disgraciées, avec le combat de l’impérialisme animal digne des Soviétiques contre la veulerie humaine.

Qui eût cru que ce livre d’abord si léger et fantasque allait peu à peu devenir un roman total aux frontières des genres, une fable impressionnante où les animaux parlent et balaient l’humanité, mieux que ne savent le faire les hommes ? De la même manière imprévisible, La Fabrique d’absolu [1] (publié en 1922) commence par la découverte d’un carburateur novateur capable de briser les atomes de charbon et de décupler l’énergie. Sauf que commercialisés, ils libèrent l’essence divine et l’esprit christique qui contaminent leurs heureux possesseurs. Ira-t-on là encore jusqu’au conflit mondial ?

Entre roman d’aventure et perspectives scientifique et utopiques, à la lisière de Jules Verne et du fantastique loufoque, cependant presque crédible, mais aussi de la science-fiction orwellienne, le tchèque et antitotalitaire Carel Capek (1890-1938), écrivain majeur et trop méconnu, par ailleurs inventeur du mot « robot » dans sa pièce RUR [2], ose avec son bouillon de culture aux salamandres un conte philosophique attrayant, inoubliable. Publié en 1936, en quelque sorte prophétique, cet apologue d’une plus vaste portée que La Guerre des mondes de Wells, cache une réflexion sur le racisme, un antinazisme subtil, une charge féroce contre les totalitarismes de tous poils et de toutes peaux.

Karel Capek : La Guerre des salamandres, traduit du tchèque par Claudia Ancelot, La Baconnière, 320 p, 18 €. Diffusion Honoré Champion et, à partir de janvier 2013, Les Belles Lettres. Sur Amazon.

—-
Sur le web.
Une version écourtée de cet article a été initialement publiée dans Le Matricule des Anges, juillet-août 2012.

Notes :

  1. Ibolya Virag, 1998.
  2. Éditions de l’Aube, 1997.
Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
Livres censurés aux Etats-Unis, écrivains interdits ou emprisonnés en Algérie… Quid de la France, pays où l’on aime donner des leçons ?

Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer à plusieurs reprises les autodafés. Dictatures et pouvoirs d’essence totalitaire en sont coutumiers. Et pas que dans les œuvres de fiction qui ont traité du sujet. La Révolution française et l’un de ses personnages emblématiques, Robespierre, n’était par exemple pas en reste, comme nous avons déjà eu également l’occasion de le rappeler.

Dans les pays libres et dé... Poursuivre la lecture

Benjamin Constant
0
Sauvegarder cet article

« J’ai défendu quarante ans le même principe, écrivait Constant au seuil de sa vie ; liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique ». Malgré son aventurisme politique, Benjamin Constant est en effet resté fidèle à cet idéal libéral et l’a illustré dans tous ses écrits. Il est donc assez étonnant que les historiens de la littérature n’aient pas insisté davantage sur le caractère libéral de son roman Adolphe, paru en 1816. C’est l’objet que je me suis proposé dans une large étude qui figure en tête de ... Poursuivre la lecture

Il y a quelques jours, à Southport au Royaume-Uni, un jeune homme de 17 ans, d'origine rwandaise, a poignardé à mort des fillettes de 6 à 9 ans pendant un cours de danse sur de la musique de Taylor Swift. Plus récemment, on apprend qu’à Vienne, des Turcs prévoyaient un carnage dans le public de Taylor Swift. Au passage, on rappellera qu’en mai 2017, à Manchester, un islamiste s’était fait exploser dans le public pendant un concert d’Ariana Grande, causant la mort de 22 personnes, dont la plus jeune, Saffie-Rose Roussos, avait 8 ans.

Un... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles