Auguste Rateau, maître de la construction mécanique

Portrait de l’homme des turbo-machines, Auguste Rateau, dont la vie offre une étonnante suite de réussites industrielles.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Auguste Rateau

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Auguste Rateau, maître de la construction mécanique

Publié le 23 octobre 2016
- A +

Par Gérard-Michel Thermeau.

Auguste Rateau
Auguste Rateau

Avec un nom pareil, il n’est pas étonnant qu’Auguste Rateau (Royan, 13 octobre 1863 – Neuilly-sur-Seine, 13 janvier 1930) ne soit plus connu que d’un petit groupe de spécialistes. Pourtant en dépit de son patronyme, sa vie offre une étonnante suite de réussites, sinon amoureuses, du moins industrielles. Il a été l’homme des turbo-machines comme Fourneyron avait été l’homme des turbines.

« Rateau, mais c’est un inventeur jusqu’aux bouts des ongles ! » disait un de ses amis. « Expérimentateur habile, observateur sage, créateur de génie »1, il était considéré comme le maître de la construction mécanique française.  À ses yeux, théorie et pratique étaient inséparables. L’invention n’avait de signification que par ses applications industrielles.

Il a combiné de façon originale la figure du scientifique et celle de l’industriel. Nombreux sont les ingénieurs des mines qui ont joué un rôle de direction dans l’industrie, mais peu nombreux sont ceux qui ont été de vrais patrons, créateurs de leur entreprise.

Petit-fils de maçon, fils de tailleur de pierre devenu modeste entrepreneur de travaux publics, Auguste Rateau fait ses études au collège de Cognac. Ayant obtenu une bourse d’études pour les classes préparatoires du lycée Saint-Louis (1879), il s’y montre un brillant élève. S’intéressant déjà aux questions de mécanique, il réussit du premier coup Polytechnique dont il sort major (1883). S’il choisit le corps des Mines, il se montre inégalement intéressé par les diverses matières au programme.

Après un bref séjour à Rodez, Auguste Rateau est nommé professeur à l’École des mines de Saint-Étienne (1888).

Le professeur de l’École des Mines de Saint-Étienne

Installé sur un bassin minier, l’École de Saint-Étienne joue un rôle prépondérant dans la formation des ingénieurs exploitants. Il va passer dix années fécondes dans cette école dont les gloires s’appellent Boussingault, Fourneyron ou Fayol.

Rateau marque profondément ses élèves. Parlant sans notes, son exposé n’en était que plus vivant. Dans les cours théoriques, il souligne toujours les applications pratiques. Un de ses anciens élèves rappelle son grand principe : « Les mathématiques doivent toujours guider l’esprit de recherche pour obtenir la précision et éviter l’erreur ». Les cours techniques de machines et d’électricité industrielle qu’il donne reflètent « souvent le résultat de ses méditations et de ses recherches. »

Il y pose les bases de sa théorie des turbo-machines. Ingénieur des mines, il a le souci de perfectionner les machines qui servent à l’exploitation houillère. Il aimait à rappeler le rôle qu’avait joué les professeurs de Saint-Étienne dans la théorie des turbines et des ventilateurs : Burdin et son élève Fourneyron pour les turbines, Murgue pour la ventilation des mines. « Nous pensons avoir, de notre côté, amené la théorie des turbines à un grand degré de simplicité et de précision. » Mais Rateau s’intéresse aussi aux questions d’aérodynamique, à l’aviation balbutiante, intérêt qui devait avoir des conséquences pratiques pendant le Grande guerre.

En 1920, il devait déclarer : « J’ai été professeur de science pure et de science appliquée. Entré jeune dans l’enseignement, j’ai suivi les errements habituels. À cette heure, ayant vu bien des choses à l’étranger, visité plusieurs écoles d’enseignement technique et leurs laboratoires, en Amérique, en Angleterre, en Allemagne, et beaucoup réfléchi à leur sujet, je puis dire que si je reprenais l’enseignement, je le présenterais tout autrement avec la conviction que les élèves en auraient plus de bénéfice. »2

La société pour l’exploitation des brevets Rateau

Souhaitant se consacrer entièrement à sa carrière d’inventeur, Auguste Rateau prend un congé sans solde en 1898. Son Traité des turbo-machines étant considéré comme le livre de chevet sur la question, il fonde à Paris un bureau d’études pour exploiter ses idées. Il présente ses premières réalisations à l’Exposition universelle de 1900. Il finance ses travaux grâce à ses fonctions comme ingénieur-conseil de la maison Sautter-Harlé.

C’est notamment dans les ateliers Sautter-Harlé, qu’est construite la première turbine à vapeur multicellulaire. La société pour l’exploitation des brevets Rateau grandit et il appelle pour la diriger un autre polytechnicien, Paul Chaleil (1903).

Chez Rateau, la pensée n’est pas « divisée entre le connaître et le construire ». Comme le souligne E. Jouguet, il « choisit avec une grande justesse de vue des hypothèses excessivement naturelles et satisfaisantes, et la vérification expérimentale par les conséquences garantit la valeur de ses conceptions »3. Il a ainsi toujours donné la priorité à l’expérience sur l’outil mathématique, n’hésitant pas à simplifier les hypothèses.

Rateau lui-même précise ses conceptions dans une notice à l’occasion de sa candidature à l’Académie des Sciences : «La mécanique étant essentiellement expérimentale comme la physique dont elle n’est qu’une des branches, je me suis toujours attaché à vérifier par des expériences appropriées les théories établies et les formules qui en résultent. »

Auguste Rateau professeur et administrateur

Auguste Rateau revient un temps à l’enseignement en occupant la chaire d’électricité industrielle à l’École des Mines de Paris (1902-1908). S’il y crée le laboratoire d’électricité, il ne se montre guère assidu aux cours. Cette période n’aura donc pas la fécondité de son enseignement stéphanois.

Il s’associe, par ailleurs, à d’autres sociétés pour la production de ses appareils. La Société générale de constructions mécaniques va réaliser, dans son usine de La Courneuve, les turbines terrestres. Les Ateliers et chantiers de Bretagne se chargent des turbines marines.

Il avait eu l’idée d’utiliser la vapeur d’échappement des machines à échappement libre en la régularisant au moyen d’un accumulateur régénérateur de vapeur, fonctionnant comme condenseur pour la machine primaire et comme chaudière pour la turbine.

Ses turbines pour la marine vont se révéler sans égales et équiper les contre-torpilleurs de la marine française.

Mais ses fonctions d’administrateur de sociétés le forcent à quitter définitivement le Corps des Mines en 1911.

Il décide, dès lors, de lancer sa société dans la fabrication, à Muizen (Belgique) puis au Pré-Saint-Gervais, au nord-est de Paris.

Auguste Rateau et l’effort de guerre

Quand éclate la guerre de 1914, il est d’abord mobilisé à la Manufacture d’armes de guerre de Saint-Étienne. Puis, en 1915, il compte parmi les industriels consultés lorsque le gouvernement s’efforce d’intensifier la fabrication des munitions. On lui confie même à ce sujet une mission en Angleterre. Finalement, en 1916, ayant rappelé des armées le personnel qui lui était nécessaire, il remet en marche les usines de sa société, reprenant les fabrications pouvant être utiles à la guerre. Il reconvertit ainsi une partie de l’activité développant la fabrication de projectiles de 75. Celle-ci dure jusqu’à l’armistice.

Mais pour un homme comme Auguste Rateau, ce travail en grande série dans une usine modèle ne suffisait pas à ses capacités. Il met rapidement au service de la Défense nationale ses dons d’inventeur.

Il étudie ainsi à cette époque le turbo-compresseur d’avions pour permettre le vol à couple constant à toutes les altitudes. Rateau a l’idée d’adapter une turbine sur l’échappement des gaz brûlés du moteur. Cette turbine commande un ventilateur centrifuge comprimant l’air fourni au moteur. De la sorte, le moteur ne change pas de régime et continue à fournir le même travail en altitude que lorsqu’il se trouve dans les régions basses de l’atmosphère. L’avion peut ainsi s’élever à 5000 mètres d’altitude et gagner des vitesses inconnues auparavant.

Chargé spécialement de mission pour le ministère de l’Armement, il s’intéresse aussi aux freins de bouche des canons pour limiter le recul. Il rédige un mémoire sur le sujet considéré par les spécialistes comme son «  chef d’œuvre ».

Le patron de la Courneuve

Après guerre, le meilleur de son temps est consacré à sa société et c’est au milieu de ses collaborateurs qu’il termine sa carrière. Il aime à se retrouver parmi eux. La nouvelle usine de La Logette à la Courneuve, construite en 1919, utilise d’abord les machines récupérées de l’ancien établissement de Muizen. En 1926, le site est fortement agrandi : de nouveaux ateliers, des bureaux, des bassins d’eau pour les turbines, des halls pour la fonderie de fonte. À la mort de Rateau, la société possède trois usines de construction et des agences nombreuses en France et à l’étranger. Elle occupe environ 2.500 personnes.

Des constructeurs importants, notamment américains, achètent d’ailleurs la licence de ses inventions

On conçoit, dit Léon Guillet, « ce que pouvaient être, pour ce génie créateur, ces usines où, chaque jour, il voyait se matérialiser ses pensées et ses calculs, naître le fruit de ses rêves et de ses découvertes ».

Et son directeur, Chaleil, peint, à ses obsèques, une image idéalisée. Celle du « patron circulant au milieu des machines en travail, causant familièrement avec tous, s’enquérant des difficultés comme des réussites et sans cesse apportant les réflexions de sa lumineuse intelligence et partout le témoignage de cette très simple affection qui gagnait tous les cœurs ». Il  rappelle « le plaisir qu’il éprouvait dans ces visites et le peu d’insistance qu’il fallait mettre, malgré ses grandes occupations, pour le retenir à la plate-forme, à la fonderie, aux ateliers ou aux études »4.

Une renommée nationale et internationale

Travailleur acharné et puissant animateur, esprit incisif et caustique, il participe à de nombreuses sociétés savantes et techniques. Il siège, par exemple, au conseil de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale ou au Comité de la Revue de la Métallurgie. Auguste Rateau est également président de section à la Société des Ingénieurs civils de France, président de la Société française de navigation aérienne, vice-président de la commission permanente de standardisation du Ministère du Commerce et de l’Industrie.

À la disparition de cette commission, il joue un rôle essentiel dans le Comité supérieur de normalisation. Auguste Rateau préside d’ailleurs l’Association française de normalisation (AFNOR) au sein de l’International Standard Association (ISA). En effet, la normalisation est à ses yeux d’une grande importance technique et économique.

Il ne se contente pas de siéger mais s’y montre actif, vigoureux, précis. Il est le second à entrer à la nouvelle division des applications de la science à l’industrie créé par l’Académie des Sciences en décembre 1918. « Combien étaient particulièrement goûtés les exposés si nombreux et si vivants qu’il fit à nos séances, avec cette clarté et cette chaleur qui le caractérisaient  » note Léon Guillet5. L’entrée à l’Institut officialise sa stature de savant.

Son prestige international se mesure aux doctorats honorifiques reçus de nombreuses universités : Université de Wisconsin, Université technique de Charlottenburg, Université de Birmingham, Université de Louvain. Il était membre d’honneur des Mechanicals Engineers des États-Unis, de la Société des Ingénieurs et architectes de Vienne, de la Société des Anciens Élèves de l’École de Liège entre autres.

Les dernières années d’Auguste Rateau

Sa santé décline dans les années 20 mais sans ralentir son activité ni sa créativité. Émile Jouguet écrit : « À le voir toujours ainsi semblable à lui-même, malgré la souffrance physique, ses admirateurs et ses amis ne pouvaient s’imaginer que cette grande lumière fût si près de s’éteindre. Pourtant, à la suite d’un abcès pernicieux qui se déclara en décembre 1929, plusieurs interventions chirurgicales douloureuses, qu’il supporta avec un grand courage, ne purent enrayer le développement rapide du mal qui le minait et qui l’emporta le 13 janvier 1930

Comme le souligne la revue de la Métallurgie à son décès : « Il était de ceux qui concentrent, unissent et bâtissent et non de ceux qui dispersent, divisent et détruisent. »

Ses obsèques sont célébrées au temple réformé de l’Oratoire au milieu d’une foule considérable, avant l’inhumation au cimetière de Passy.

Son entreprise lui survit notamment sous la présidence de son gendre René Margot. L’usine de la Courneuve devait ensuite passer sous le contrôle du groupe Alstom. Les turbines fonctionnant actuellement dans les centrales thermiques, classiques et nucléaires, utilisent toujours la turbine Rateau.

sources :

  • Émile Jouguet « Auguste Rateau » in Annales des Mines, 13ème série, tome 2, 1932.
  • Léon Guillet, « Auguste Rateau (1863-1930) » in Revue de la métallurgie n° 2, février 1930, p. 108-110
  • Amédée Fayol « Auguste Rateau et les turbo-machines » in La Nature, 1948, 76e année, p. 93
  • Danièle Fraboulet, « Auguste Rateau (1863-1930) » in Dictionnaire historique des patrons français, Flammarion 2010, p. 578-580

La semaine prochaine : François de Wendel

  1. Revue de la métallurgie n° 2, février 1930, p. 109
  2. cité in Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, 1933, p. 277
  3. Émile Jouguet, notice Auguste Rateau, Annales des Mines, 13ème série, tome 2, 1932
  4. Émile Jouguet, notice Auguste Rateau, Annales des Mines, 13ème série, tome 2, 1932
  5. Revue de la métallurgie n° 2, février 1930, p. 109

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Les auteurs : Olivier Emile, enseignant chercheur en physique, Université de Rennes. Janine Emile, professeur en physique, Université de Rennes

 

En novembre 2001, un Airbus A300 d’American Airlines parti de New York s’est écrasé deux minutes après le décollage, provoquant la mort des 260 personnes à bord. C’était peu de temps après les attentats aériens du World Trade Center, mais cette fois, l’accident avait des causes bien différentes : des turbulences de sillages, c’est-à-dire des structures tourbillonnantes fortes géné... Poursuivre la lecture

Cet article est le premier d'une série de quatre articles. Voici les liens vers la seconde, la troisième et la quatrième partie.

 

Dans les débats sur la transition énergétique, la figure de Jean-Marc Jancovici est incontournable : à l'écouter, si nous voulons limiter les dégâts, il est urgent de réduire notre consommation d'hydrocarbures, et dans tous les cas, ceux-ci ne seront plus aussi abondants que par le passé. Par exemple, il aime répéter que le pic de production mondiale du pétrole conventionnel a été atteint en 200... Poursuivre la lecture

L’avion vert revient à la mode au dernier Salon du Bourget comme une des voies prometteuses pour « sauver la planète ». Beaucoup en rêvent, mais bien peu connaissent vraiment le sujet quand il s’agit de placer des chiffres en face des mots, souvent creux et ronflants.

« Yaka, faut qu’on ! » et l’intendance suivra... Ce n’est hélas pas si simple !

 

L’avion vert

L’avion devient vert si son carburant est vert. C’est-à-dire si ce dernier est décarboné : il ne doit pas provenir d’énergies fossiles (pétrole, gaz ou charbo... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles