6 (courtes) questions sur les déterminants économiques de la crise agricole

« La mondialisation des échanges semble inéluctable en matière d’agriculture » entretien avec Xavier Hollandts, prof. associé à la Kedge BS

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6 (courtes) questions sur les déterminants économiques de la crise agricole

Publié le 31 janvier 2024
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Xavier Hollandts est professeur associé à la KEDGE Business School. Docteur et HDR en sciences de gestion, il enseigne l’entrepreneuriat et la stratégie. Spécialiste des questions agricoles, il intervient régulièrement sur ces sujets dans les médias. Ses travaux académiques ont notamment été publiés dans Corporate Governance, Journal of Institutional Economics, Managerial and Decision Economics, ou la Revue Économique.

 

Crise des agriculteurs : le rôle de la PAC

Loup Viallet, rédacteur en chef de Contrepoints – Le mouvement de colère des agriculteurs n’est pas propre à notre pays. Il s’exprime aussi aux Pays-Bas, en Belgique, en Roumanie, en Italie, en Allemagne.. quel rôle a eu la politique agricole européenne dans le déclenchement de ces crises ? 

Xavier Hollandts La politique agricole européenne a toujours été la colonne vertébrale des politiques agricoles nationales et de leur déclinaison dans les territoires. Elle constitue même, historiquement, la première vraie politique commune à l’échelle européenne. Il ne faut pas oublier que la politique agricole, lorsqu’elle s’appuyait sur les quotas, était un puissant outil de régulation. Outil qui servait à piloter les volumes et qui jouait aussi un rôle d’amortisseur en cas de crise agricole. Les quotas ayant disparu progressivement dans les années 2010, on assiste depuis lors à une dérégulation des prix et des marchés. La politique agricole s’appuie désormais sur quelques leviers, essentiellement incitatifs, et le rôle d’amortisseur n’est plus du tout assuré par la politique agricole. Alors qu’elle était vue d’un bon œil par une majorité des paysans, la politique agricole est désormais vue comme un ensemble de contraintes et un corset règlementaire. 

 

Impact des traités de libre-échange sur le secteur agricole, sur le pouvoir d’achat et l’assiette des Français

Le libre-échange a-t-il tué l’agriculture française ? Quelles répercussions ont eu le CETA et le récent traité signé entre l’UE et la Nouvelle-Zélande sur la filière agricole française ? Sur le pouvoir d’achat et la santé des Français ?

On ne peut pas dire ça ou présenter les choses comme cela. Le libre-échange, c’est aussi la libre circulation des biens et services et, indirectement, des hommes et des femmes. Il est certain et bien documenté que les accords commerciaux et de libre-échange ont des répercussions sur plusieurs pans de notre agriculture, et que cela affecte surtout les exploitations agricoles familiales. Mais il faut aussi reconnaître que ces accords vont plutôt dans le sens, ou servent les intérêts de nos géants de l’agroalimentaire notamment. Car ils ouvrent des marchés et permettent à ces grandes entreprises de mieux en pénétrer d’autres. 

Nous allons assister à une amplification d’un mouvement déjà bien entamé : à savoir la combinaison d’une dérégulation, d’un abaissement des barrières douanières, couplés à des échanges relativement inégaux, en termes de qualité comme de conditions de production. Paradoxalement, cela va aussi permettre aux Français, dont le pouvoir d’achat stagne en moyenne, d’accéder à des produits agricoles moins chers, mais aussi de moins bonne qualité. 

 

Mercosur : quelles filières y perdraient ?

La ratification du projet d’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur semble particulièrement fragilisée. Quels secteurs d’activité auraient le plus à perdre et le plus à gagner s’il venait à être signé ?

Si cet accord est signé, on va assister à l’importation, sans doute massive, de produits transformés ou bruts essentiellement dans la filière volaille, sucre et aussi certains types de légumes. Le soja ou le riz sont des produits certes emblématiques, mais qui étaient déjà massivement produits à l’étranger et importés. Si ce traité n’est pas signé je dirais que ce sont certaines commodités (le lait en poudre par exemple) et les services à l’agriculture qui pourront être impactés négativement (insémination, services techniques, agriculture de précision).

 

Clauses miroir : sont-elles réellement applicables ?

Les distorsions de concurrence sont-elles inévitables dans le cadre de traités de libre-échange ? À quel point les clauses de réciprocité sont-elles réellement applicables avec des marchés qui ne sont pas soumis aux mêmes réglementations, si ce n’est à aligner les standards sur le pays le moins exigeant ? 

Dans ce type de négociation, il faut bien se rendre compte que tout est affaire de compromis. L’objectif est donc de trouver un équilibre entre les demandes des différentes parties, notamment du point de vue des normes de production. C’est le fameux sujet des clauses miroirs et de la réciprocité. Il faut tendre vers un échange le plus équitable et équilibré possible… ce qui en matière agricole est loin d’être évident. 

 

Hypothèse 1. Le fantasme de M. Mélenchon

Exercice de pensée 1. Quelles seraient les conséquences d’une interdiction de tous les produits agricoles importés, dont la production a été faite selon des standards différents des nôtres, dans l’assiette et dans le porte-monnaie des Français ?

C’est très simple : nous aurions des rayons à moitié vides, si ce n’est pire, dans les supermarchés et commerces de détail, mais également dans le secteur de la restauration qui est assez friand de produits importés. Nous aurions des produits introuvables car non produits en Europe (fruits exotiques, mais aussi amandes ou arachides, et certaines huiles). Et puis, nous aurions sans doute à payer notre alimentation plus cher.

La mondialisation des échanges semble inéluctable en matière d’agriculture car très peu de pays peuvent prétendre avoir la capacité (1) à nourrir leur population et (2) avoir suffisamment de diversité de production. 

 

Hypothèse 2. Un pays sans paysans

Exercice de pensée 2. L’économie française peut-elle se passer du secteur agricole ? 

Non. D’autant plus que cela fait partie de notre identité et de notre patrimoine matériel et immatériel comme vient de le rappeler le Premier ministre. Dans le fond, aucun Français ne souhaite se passer de l’agriculture, mais pour lui venir en aide, il faudra tôt ou tard faire des choix courageux et également accepter de payer le juste prix à nos paysans.

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  • hmmm….
    ne pas oublier, si il ‘y plus de paysans, on le devient …
    on voit de interviews surrealiste sou un paysan dit » je ne gagne pas d’argent sur son entreprise e et donc je vais changer de boulot; ».. comme si ..
    la réalité cue est que on peut imaginer une France sans paysans.. important toute sa nourriture la question est alors de nature stratégique… mais nous importons bine l’essentile de notre pétrole…

    botter en touche ne sert à rien « accepter de payer le prix juste » n’est pas la question…

    la question véritable est de réintroduire des VRAIS prix..

    or….c’est un bordel monstre…tout est faussé partout.. parfoi certains agriculteurs tirent leur revenus de l’energie.. les denrées deviennent un sous produit!!!
    et que si n fausse les prix on sache EXACTEMENT pourquoi..( stratégie) …

    la question de la détaxe des carburant est remarquable…mais on ne peut l’aborder sans parler du sens de la taxation de tout carburant…un smicard cars doit payer son diesel plus cher pour acheter ses denrées moins cher?????

    quand un secteur adresse au gouvernement pour lui dire autre chose que « bas les pattes » on a un problème…
    ou bien on ne résiste pas on « corrige » l’ effet du collectivisme par plus de collectivisme…sinon un jour c’est un élu qui vous dira quoi manger… POUR maintenir des prix bas… pour tous…
    j’as passé pal de temps dans ma vie à expliquer aux agriculteurs que les subventions étaient un piège…

  • « C’est très simple : nous aurions des rayons à moitié vides ».
    Et alors ? La tentation serait moindre d’acheter des choses inutiles et le pouvoir d’achat en serait augmenté.
    L’article oublie, tiens tiens, la pression constante des industriels et des distributeurs géants pour produire et vendre ce qui est très souvent superflu et que personne ne songerais à demander.
    D’ailleurs dans d’autres pays, les rayons des magasins alimentaires sont bien moins nombreux qu’en France où le choix est pléthorique, vrai paysage de cocagne pour vous dévaliser.

    -5
    • Laissons les clients décider de ce qu ils ont envie d acheter
      Les rayons vides ont un goût soviétique très prononcé
      Le libéralisme a la française a souvent un vieux relent de jacobinisme

      • Si les clients ne voient pas ils n’achètent pas. Je vois que vous êtes du coté des industriels et des distributeurs.

        -5
        • Les industriels et les distributeurs proposent des produits qui plaisent aux clients sinon ils ferment définitivement
          C est la loi du marché de l offre et de la demande……
          Sinon vous êtes dans le dirigisme autoritaire mais pas dans le libéralisme

      • et même du côté des oligopoles ce qui n’est pas du tout libéral.

        -3
        • En france nous avons une autorité de la concurrence qui sanctionne très sévèrement les ententes sur un marché
          Quels oligopoles ????

    • A quel moment vous trouvez ça normal de définir ce qui est bon ou pas pour nous autre ? Ne sommes nous pas chacun responsable ? Si des rayons de magasin trop remplis vous font froncer les sourcils, libre à vous d’aller voir ailleurs.

  • Il n’y a que deux choses inéluctables. La mort et les taxes.
    Entendu hier : en 1990, les subventions de la PAC représentaient 20 % du revenu d’un paysan. Aujourd’hui 140 % !
    Quand notre vie dépend à ce point de la charité d’autrui, bien avant son propre travail, c’est une vie d’esclave. Et quand un esclave se rend compte de sa condition réelle, son maître doit commencer à s’inquiéter.

  •  » Il ne faut pas oublier que la politique agricole, lorsqu’elle s’appuyait sur les quotas, était un puissant outil de régulation. » Ah la régulation, fantasme de tout administratif car voie royale pour évoluer vers le dirigisme et l’autorité. Cause fondamentale de la crise actuelle, qui ne concerne pas que l’agriculture, hélas.

    • Les quotas de la PAC ont entraîné une surproduction massive notamment de lait, beurre…..ce qui a conduit l UE a supprimé les quotas pour se tourner vers une politique de soutien a l agriculture tout en réintroduisant la concurrence du marché mondial
      Ce virage a été tres mal vécu par les agriculteurs protégés par la PAC ( éleveurs et céréaliers qui avait un régime de quasi fonctionnaires) par contre pour tous les autres guère de changements si ce n est le torrent de normes…….

  • Le tout libéral ici est mis en échec. Cela voudrait dire qu’on supprime l’agriculture chez nous puisque nous ne sommes pas compétitifs. Plus d’industrie, plus d’agriculture ? Il nous resterait l’économie sociale et solidaire ! On remarquera que le premier problème est la concurrence parfaitement loyale de nos partenaires européens. Au lieu d’attendre qu’ils nous imitent en termes de taxes et de règles, nous pourrions peut-être les imiter. On résoudrait déjà une bonne partie du problème. Comptons aussi sur la mise au pas de la Commission Européenne pour évacuer la folie écologique. Enfin, on peut très bien avoir des échanges en dehors de l’espace européen, il suffit d’avoir des accords équilibrés. La plus grosse difficulté est politique : les responsables doivent admettre qu’ils ont eu tort et cà, ce n’est pas gagné, ils cherchent des coupables tous azimuts, jamais eux !

  • Lors des échanges commerciaux internationaux, si les négociations profitent à certains secteurs, elles mettent en péril d’autres pans de l’économie.
    En France, un déficit de la balance commerciale qui passe de 2021 à 2022 de 84,7 Mds€ à 190,9 Mds€ a de quoi inquiéter sérieusement. En 2022, la France verse à l’Europe 26,49 Mds€ et en reçoit 16,89Mds€.
    Avec ces chiffres, on peut apprécier le malaise qui a mené les agriculteurs sur les routes. Mais les sacrifier dans le Mercosur (par exemple) pour assurer un approvisionnement en lithium ne peut avoir comme conséquence que de livrer les consommateurs français au bon vouloir des fournisseurs étrangers, et les pénuries déjà constatées dans de nombreux secteurs risquent de s’étendre à l’alimentation. Messieurs les décideurs politiques et administratifs attention : les ventres affamés n’ont point d’oreilles.

    • Sauf que l agriculture francaise reçoit 9,5 milliards d euros de la PAC soit le plus gros bonus des 27
      Ce sont les francais qui veulent des prix toujours plus bas qui pressurent les agriculteurs
      L UE, le mercosur comme l Ukraine ont un rôle très marginal
      Mais c est tellement plus facile d agiter des bouc emissaires que de reconnaître ses erreurs……

  • Les paysans français croulent sous les « subventions », les taxes, la régulation et les normes à cause des Khmers verts et de toute la bureaucratie stupide qui fait de la France et bientôt de l’UE des économies administrées.
    Forcer nos paysans enchaînés à être en concurrence contre le monde libre, c’est vouloir leur disparition. Ce n’est même pas caché d’ailleurs, l’UE a bien des plans de réduction de la paysannerie européenne parce qu’elle « pollue la planète » et les paysans sont dans la rue parce qu’ils en ressentent directement les effets depuis des années.
    Au pays-bas ils ont même tiré à balle réelle contre les manifestations de paysans ce qui a conduit (heureusement) à la chute du gouvernement de gauche.
    .
    Cet article « libéral » s’entend une fois de plus au sens américain du terme (gauchiste) et chaque fois que les gauchistes manipulent la paysannerie, ça finit avec des millions de morts.

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