[Série sur les mythes de la diversification II/IV] La diversification ne protège pas les épargnants

Deuxième article de notre série sur les mythes liés à la diversification financière, doctrine reine de la gestion d’actifs.

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[Série sur les mythes de la diversification II/IV] La diversification ne protège pas les épargnants

Publié le 28 novembre 2023
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Lire la première partie.

 

« Peu importe que vous soyez intelligent si vous ne vous prenez pas le temps de réfléchir » – Thomas Sowell

Revenons brièvement sur les idées reçues sur lesquelles s’appuie le dogme de la diversification.

On ne se souvient même plus que la promesse de départ consistait à atteindre la médiane des performances, ni plus ni moins.

« La théorie moderne de portefeuille vous apprend comment vous y prendre pour avoir la moyenne. Mais je pense que la plupart des gens savent comment il faut faire pour avoir la moyenne dès la classe de 6e » (Warren Buffet).

Oui, la diversification protège, mais… seulement les incompétents : des gens dont on devrait se demander ce qu’ils font sur les marchés financiers, après tout. Trop d’épargnants ont davantage peur de perdre de l’argent que de ne pas en gagner ; s’ils sont à ce point averses au risque, ils ne devraient pas placer un seul euro sur les marchés, point barre.

 

La stratégie de la diversification offre des protections très limitées aux investisseurs

Et encore, cette « protection » a eu lieu dans une phase de financiarisation, disons à partir de 1982 (en net et en termes réels, bien peu de gens ont gagné de l’argent sur les marchés financiers entre 1929 et 1982…), phase où la sélectivité n’était pas essentielle parce que toutes les classes d’actifs montaient, montaient. Mais à partir d’aujourd’hui, c’est beaucoup plus discutable : le monde qui se prépare en Occident n’est probablement pas celui où une marée montante fera monter tous les bateaux.

Le client ainsi protégé à triple tour est bien souvent incité à faire un peu de tout ; il se retrouve à jouer au service-volée sur terre battue, ou à lifter sur gazon : par exemple, des comportements de rentier sur les actions, guidé par des YouTubeurs pas du tout racoleurs qui font la promotion de revenus fixes par les dividendes ; ce qui n’est pas fidèle à l’esprit de cette classe d’actifs, et maintien au dessus de la ligne de flottaison un certain nombre de boites satrapiques.

Il ne suffit de toute façon pas de signer en faveur de la protection pour l’obtenir. C’est un peu comme s’inscrire à un club de gym pour perdre du poids : personne n’a jamais obtenu un résultat de cette façon ; c’est l’effort concret qui compte, pas le bulletin d’inscription. La diversification peut protéger de la volatilité excessive, mais ce n’est pas un vaccin infaillible et elle n’est jamais gratuite ; attention à ce qu’elle ne vous protège davantage de la hausse que de la baisse.

Nous pourrions ensuite évoquer les nombreuses failles de la théorie, par exemple le fait que le cash n’est pas vraiment modélisé (de sorte qu’il est en fait assez possible de battre le marché avec de la patience et une petite culture du cycle), ou par exemple le fait que le modèle de valorisation des actifs repose sur une accumulation de bizarreries (existence consensuelle d’un « actif sans risque », et des taux d’actualisation traficotés qui divorcent de plus en plus des taux d’intérêt…) ; mais creusons plutôt ici dans une direction moins souvent analysée : les pertes cognitives.

 

« Le risque varie en fonction inverse de la connaissance »

Car à mesure que l’on se diversifie, on perd en connaissance. Personne ne le dit, alors que c’est un fait indubitable, inexorable, bien documenté. « Le risque varie en fonction inverse de la connaissance » notait déjà Irving Fisher.

Mais peut-être qu’une métaphore serait ici plus parlante. Billy Rose exposait ainsi le problème :

« You’ve got a harem of seventy girls; you don’t get to know any of them very well »

Ma traduction : si vous disposez d’un harem avec 70 filles, vous n’allez pas bien connaître une seule d’entre elles. Un portefeuille très diversifié est un portefeuille qui n’est plus maitrisé, et qui se retrouve en risque, du fait même de son obsession pour la maitrise du risque.

Un professionnel très entraîné peut suivre dix boîtes, et encore. Quand il prétend pouvoir en surveiller 200, il se trompe, ou il vous trompe. Quand on a des centaines d’entreprises (pardon, on dit de façon révélatrice des « lignes »…) dans le portefeuille, et plusieurs portefeuilles, les bilans et les comptes trimestriels ne sont plus vraiment regardés, les perspectives deviennent floues, la qualité du management est ignorée, le risque est géré : c’est-à-dire d’une façon administrativo-journalistique.

 

Une perte de temps et d’efficacité

C’est pourquoi un surcroit de diversification offre une protection le plus souvent illusoire.

D’une part, quand les choses tournent vraiment mal sur les marchés, on se rend compte mais un peu tard que les titres sont bien plus corrélés qu’on ne le croyait : votre « stratégie » de protection ne fonctionne que par mer calme, lorsque tout monte.

D’autre part, le fait de s’asseoir sur une base très large de valeurs n’incite pas à une attitude guerrière, tout l’instinct qu’il faudrait aiguiser se retrouve comme anesthésié.

Enfin, il y a les pertes cognitives, tous ces détails qui tuent que l’on perd de vue à force de se diversifier ou d’élever le niveau du débat (une façon sûre de le perdre de vue : combien de fois ai-je vu des analystes perdre la moitié de leur temps à discuter de la FED ou de la BCE quand ils auraient mieux fait de laisser cela à des économistes et de retourner sur le terrain disséquer des bilans et des perspectives d’entreprises concrètes !).

Au fond, c’est un viol de la division du travail, une approche plus marxiste que smithienne. Le moindre des paradoxes n’est pas qu’on couple ce travers avec un dogmatisme pro-marché caricatural, digne des nouveaux convertis.

Un exemple. L’idée que le marché a toujours raison est une confusion temporelle en plus d’être une simplification abusive. Après avoir correctement observé qu’il est le plus souvent efficient, les académiques et les modélisateurs en sont venus à conclure incorrectement qu’il est toujours efficient.

Or, la différence entre ces deux propositions est, comme le notait Warren Buffet, « night and day ».

Citons-le complètement :

« We are enormously indebted to those academics: what could be more advantageous in an intellectual contest—whether it be bridge, chess, or stock selection than to have opponents who have been taught that thinking is a waste of energy ? ».

On peut donc profiter de ce refus de savoir.

Encore faut-il aiguiser son sens critique. La valeur est créée depuis toujours par des outsiders, pas par des apparatchiks : en diversifiant, vous attribuez pour votre argent autant d’importance aux bureaucrates qu’aux entrepreneurs, aux margoulins des SCPI qu’aux industriels innovants. La diversification maximaliste dit implicitement que tous les secteurs sont grosso modo égaux du point de vue de l’actionnaire.

Ce n’est juste pas vrai. Plusieurs secteurs sont des tonneaux des Danaïdes pour l’investisseur de moyen/long terme, pour diverses raisons dont la capture par les managers. On connait l’usage du « Hollywood accounting », on sait que les compagnies aériennes multiplient les trous d’air depuis 1973, on observe une bureaucratisation inouïe des banques européennes, et personne ne gagne sur les matières premières à long terme. Faire croire à l’égalité ou au retour à moyenne, c’est tromper le public, et à terme, c’est le dégoûter d’une épargne financière qui est pourtant un bien privé et un bien public. Nous y reviendrons.

 

Le refus du savoir est rarement un bon signe

En paraphrasant un très beau texte de Marcel Gauchet où il notait que le niveau montait, mais que le livre baissait, je dirai que le niveau des encours monte mais que la connaissance et la conviction baissent. À défaut, je peux augmenter mon QI instantanément sur les marchés en choisissant des problèmes que je peux résoudre. Mais refuser à la fois de connaître et de choisir est un boulevard pour le désastre.

Markowitz, Fama, Sharpe raisonnaient sur des portefeuilles de professionnels qui n’ont pas besoin de bien connaitre les filles de leur harem. Vous ne boxez pas, chers épargnants individuels, dans cette catégorie. Les investisseurs institutionnels ne jouent pas avec leur propre argent. Vous, si. Ils sont rémunérés à la fin du mois pour avoir géré (c’est-à-dire pour éviter des risques), vous n’êtes récompensés que si vous avez pris quelques risques. En tant que particulier, vous devriez vous méfier lorsqu’on vous propose de dupliquer une salle de marché, même si techniquement vous pouvez désormais le faire et pour pas trop cher avec des ETF.

Les règles (très souvent idiotes) de diversification ou de biais domestique ne s’appliquent pas à vous : les gérants vous battront au jeu du rendement/risque, mais vous pouvez aisément les battre sur le seul rendement… à condition de ne pas jouer leur jeu. Au lieu de cela, il existe partout un discours sur la polarisation du succès mais… les portefeuilles financiers restent affreusement diversifiés.

Et à la fin, tout sur l’immobilier ! Paradoxe d’une religion diversificationniste objectivement alliée à une poche qui représente les deux tiers de l’épargne européenne ; un « big ticket » qui, lui, n’est pas diversifié du tout, impunément, comme si son prix ne pouvait jamais baisser. Or, la pierre ne protège pas, elle est peu créatrice de valeur, car elle est très illiquide, elle est basée sur le levier de la dette, et 25 années de hausse quasi-ininterrompue des prix implique désormais une grande vulnérabilité (rareté des primo-accédants, inutilité croissante des bureaux, maturité des emprunts déjà très étirée, ratios de solvabilité à la limite).

L’or et les matières premières n’ont jamais protégé, sauf en cas de guerre, et encore. Ils n’offrent aucun rendement, leurs déterminants changent et sans visibilité aucune (on saura dans trois ans si telle ou telle banque centrale a acheté de l’or aujourd’hui), leur financiarisation via les ETF est suspecte et les expose aux mouvements des autres classes d’actifs (qui sont beaucoup plus volumineuses). En un mot ce sont des reliques, des objets de spéculation à la rigueur, mais en aucun cas des protections. L’obligataire, qui a bien rempli sa mission protectrice pendant près de 40 ans, arrive quant à lui à la fin de son parcours : trop d’émissions et un pilotage capricieux des taux par le banquier central rendent l’obligation bien moins fiable aux yeux de l’investisseur moyen/long terme. La vraie protection se niche de plus en plus dans la qualité de la sélection des actions, dans la fluidité du portefeuille, dans la gestion d’une poche de cash, dans des astuces de convexité ou d’internationalisation, bien plus que dans le nombre de classes d’actifs, dans le nombre de titres détenus.

Analogie. Quand un gouvernement affiche 15 priorités, quand il prétend vouloir défendre l’État Providence tout en développant une « start up Nation » et tout en luttant contre le réchauffement global, on comprend qu’en fait il se disperse.

Il arrose et il communique, mais au final il va échouer, par manque de conviction, par manque de cohérence : idem avec votre portefeuille. Qui trop embrasse mal étreint. Acheter tout le marché signifie que vous allez vous faire balloter au gré des (gros) flots, avec pour seule boussole cette idée selon laquelle les marchés sont assez porteurs à long terme. Ce qui est vrai mais uniquement depuis 1982, et sans garantie aucune que cette période porteuse soit éternelle : les performances passées ne présagent pas des performances futures, c’est d’ailleurs marqué en Arial 6 sur les documents que votre courtier vous a fait signer.

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  • Pour gagner en bourse ? faudrait être Dieu ou avoir un « tuyau » lol , c’est exact de tous les placements ..les seuls gagnants sont toujours les conseilleurs ….. si j’en crois mon expérience … un idiot ayant la chance d être porté sur une periode. faste , prendra de risques insensés et gagnera beaucoup d’argent ,qu il perdra la décennie suivant ou l’année suivante … il perdra, d’autant plus ,que persuadé par ses gains précédents d’être un génie. du placement, comme au casino il relancera la machine … j’en ai connu quelques uns…. en fait tout est pipé ,si quelqu’un un gagne toujours c’est que vous jouez contre le casino…. A la fin de l’histoire la réponse à la question est donnée par cette question êtes-vous vous chanceux ?

  • Tout cela est bien simpliste et écrit d’une perspective, ô surprise, de quelqu’un qui gagne à la gestion active, concentrée, etc (en gros, les banques).

    La totalité de la croissance à long terme des marchés financiers du globe provient d’un maximum de 3 % des titres qui s’y négocient. Ne pas avoir ces titres en portefeuille, c’est être condamné à faire du surplace au mieux, et à essuyer des pertes au pire. Perso, je ne prends pas le risque 😀

    Viser de faire mieux que tout le monde en concentrant sur quelques convictions fortes, surtout quand on est un investisseur particulier, c’est du sentiment de puissance mais une garantie d’échec surtout.

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