[Série sur les mythes de la diversification I/IV] En finir avec le dogme de la diversification

Premier article de notre série sur les mythes liés à la diversification financière, doctrine reine de la gestion d’actifs.

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[Série sur les mythes de la diversification I/IV] En finir avec le dogme de la diversification

Publié le 25 novembre 2023
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« Toutes choses étant égales, c’est la conviction qui gagne. Alliée à une volonté de vaincre, elle sert de détonateur, suscite des idées, disperse les doutes et aide à penser clairement » (Robert Fischer).

Parfois des sectes deviennent des religions et finissent en théocraties tyranniques. Je vais vous raconter les dessous d’une histoire qui de nos jours plait beaucoup à Jean-Michel Consensus mais qui repose sur des malentendus et parfois sur des arnaques, qui à large échelle détruit de plus en plus de valeur et qui pourrait bien finir par nous ensevelir tous : la diversification maximale de l’épargne.

La diversification privilégiée

Elle est de nos jours considérée comme l’alpha et l’oméga de la gestion, le dernier free lunch avant la fin du monde, une sorte de religion civile avec ses séminaires, ses indulgences.

Il n’en a pas toujours été ainsi, il s’agissait à la base d’une petite secte de théoriciens.

Nous allons montrer ici que ce culte protège mieux son clergé que les clients, car la diversification tue la recherche de nouvelles pistes, conduit au relativisme et à un faux sentiment de sécurité, et surtout elle est biaisée, les intérêts ne sont pas « alignés » comme on dit pudiquement. Il y a d’abord le vite dit (la diversification protège), puis le mal dit (la pseudo-neutralité des propagandistes zélés de la diversification) et enfin les non-dits, les dégâts que l’on ne voit pas (une économie zombifiée, une société Potemkine, un viol des mécanismes libéraux les plus solides).

Mais avant d’étudier les mythes de la diversification, commençons par un peu d’histoire :

Au commencement était le monde non-diversifié. Jusqu’aux années 1970, les marchés financiers (il est vrai assez peu développés à l’époque) étaient dominés par une mentalité de stock-picking à la petite semaine : les gens misaient sur des boites comme on mise sur des chevaux au bar PMU, ils ne cherchaient pas à mettre de la science dans leurs portefeuilles (l’idée leur aurait paru incongrue !), ils s’en remettaient à un mélange d’analyses locales ou sectorielles, de « tuyaux » et de bon sens, d’intuition et d’expérience, sans trop de soucier du cross-asset ou des ratios de concentration ; de sorte que Warren Buffet n’était pas un acteur trop isolé quand sa principale position représentent jusqu’à un bon tiers de ses actifs totaux. La formule d’Andrew Carnegie était considérée comme la sagesse même : « Concentrez vos énergies, vos pensées et votre capital. Le sage met tous ses œufs dans le même panier et veille sur le panier » ; de nos jours, ce serait plutôt chez les gestionnaires d’actifs la définition la plus admise de la folie.

 

Les conséquences de la crise de 1974

Et puis, en 1974, tout chuta. Les firmes, même les mieux établies, perdirent subitement la moitié de leur capitalisation. Confrontés à ce carnage inexplicable, les gens de Wall Street firent ce qu’ils refusaient jusque-là de faire (et ce qu’ils refuseront de faire après 2008…) : aller trouver de nouvelles idées, ailleurs.

Ils se tournèrent en l’occurrence vers des gens qu’ils méprisaient intégralement, les académiques. Ces professeurs, qui pour la plupart n’ont jamais ouvert un compte titres de toute leur vie, avaient développé depuis la fin des années 1950, dans leurs tours d’ivoire aux environs de Chicago, une jolie littérature bourrée de lettres grecques et appelée « théorie moderne du portefeuille », dans laquelle ils démontraient que, vue l’hypothèse d’efficience du marché (qui implique que le prix des actifs reflète toute l’information disponible), la gestion se résume à un problème banal d’optimisation quadratique le long de frontières efficientes.

Pour résumer ce qui nous intéresse ici, et laissez-moi extrapoler un peu : on ne peut pas battre durablement et significativement le marché (le plus grand collecteur d’informations possible) à moins de prendre des risques considérables, de sorte qu’il est assez vain de chercher l’aiguille dans la botte de foin ; mieux vaut acheter la botte de foin, via des solutions diversifiées.

Les articles académiques n’étaient pas lus par des adultes sérieux et solvables : Markowitz était bien seul dans les années 1950, comme Fama ou Sharpe dans les années 1960. Et puis soudain, après 1974, ils devinrent des stars, les nouveaux papes de Wall Street. En moins de 20 ans le monde de la gestion d’actifs devint une industrie, basée sur leurs principes, leurs règles. Les progrès de l’informatique aidant, les raisonnements anciens furent balayés et remplacés par leurs modèles, traduits via des algorithmes : disciplinés dans le sens de la minimisation du risque (risque compris comme une mesure de la volatilité du marché), rassemblés autour du même outil (la VaR, Value at Risk) et réassurés par une cascade de marchés dérivés ; en bref, organisés par des allocataires d’actifs, et non plus par des boursicoteurs plus ou moins inspirés. 

En un mot, on sanctifia cette théorie moderne, on importa des ingénieurs pour la faire tourner, et des vendeurs pour la propager, on leur confia les clés du royaume, puis, protégés par leur jargon, ils firent tout ce qu’ils voulaient faire, à savoir sophistiquer leurs modèles jusqu’à l’absurde et s’auto-attribuer des bonus faramineux (au grand dam de la théorie pure, qui tablait sur un environnement concurrentiel susceptible d’émasculer les marges des intermédiaires, mais passons).

 

De crise en crise, les mythes sur la diversification se sont pérennisés

Cette évolution a continué même après le scandale LTCM en 1998, quand il devint évident que la bonne gestion n’était pas qu’un exercice de maths, et même après la grande crise de 2008, quand on s’aperçut qu’à force de découper le risque en petits bouts façon puzzle on se retrouvait partout avec plein de produits non-maitrisés. La théorie moderne est souvent critiquée, vous avez probablement entendu parler du « cygne noir » de Nassim Nicholas Taleb (cette idée selon laquelle la théorie standard est trop liée à des distributions gaussiennes) ou de telle ou telle autre critique, contre la VaR, contre la titrisation, contre l’hybridation des classes d’actifs, etc. ; mais de facto elle n’est pas vraiment entravée, nous allons le voir, et la religion de la diversification devient petit à petit une théocratie. 

Comme toutes les révolutions, elle dévore ses propres enfants. Elle s’appuie désormais sur les ETF (les trackers) pour compléter son travail de sape, sa lutte sans merci contre la conviction. Il y aura bientôt un plus grand nombre d’ETF que d’actions. Et si cela continue, Blackrock, Blackstone et Vanguard seront les trois principaux actionnaires de toutes les grandes boîtes cotées. C’est le triomphe des petits hommes gris sur les grands investisseurs : pendant que le grand public est dupé par des histoires anachroniques de traders atypiques, de chiens fous et de loups solitaires, les bureaucrates dans l’ombre envahissent tout.        

À chaque fois qu’un accident économique ou financier survient, c’est toujours la même rengaine : tel acteur n’était pas assez diversifié, tel autre aurait dû davantage « hedger » ses positions, etc. De sorte qu’un surcroît de diversification est préconisé après chaque échec, même si l’échec en question est dû le plus souvent… à un excès de diversification ayant conduit à des pertes cognitives et/ou à un endormissement.

 

Bienvenue en absurdie

La diversification, de nos jours, fonctionne comme dans cette vieille blague sur la psychanalyse :

« Si vous vous sentez bien et que vous n’utilisez pas la diversification, vous êtes considérés en situation de déni ; si vous vous sentez mal et que vous n’utilisez pas la diversification, vous êtes un idiot ; si vous êtes en thérapie de diversification et que vous vous sentez bien, alors c’est grâce à cette thérapie ; si vous êtes en thérapie de diversification et que ne vous sentez pas bien, alors c’est que vous avez encore plus besoin de la thérapie ».

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  • Pour l’investisseur bien qu’il ne le sache pas la plupart du temps, la diversification a pour objet non pas de réduire le risque, mais d’élargir le ratissage afin de multiplier les chances. Avec certaines stratégies, le risque n’augmente pas nécessairement par rapport au marché en proportion de ce que les chances augmentent. C’est normal, risques et chances sont asymétriques.

  • Les ETF peuvent apparaître comme une horreur collectiviste, mais ils représentent simplement une facilité pour les fainéants et une commodité pour aborder la complexité de la gestion de ses investissements dans le cadre législatif et fiscal français. La sélection plus ou moins automatisée qu’ils opèrent vaut toujours mieux que la conviction d’un ignare, en tout cas c’est mon expérience d’ignare (dans certains secteurs).

  • La critique vous est aisée alors que je vous rejoins sur certains aspects académiques mais vous n’apportez pas de conclusion(s) pratique(s).
    Vous n’abordez pas les algorithmes ni la géométrie fractale de Mandelbrot etc
    À vous lire et bonne journée

  • N’y a t-il pas dans ce propos en réalité deux ensembles distincts de diversification ? Celle de l’investisseur et celle de l’intermédiaire (établissement financier). Pour le premier il y a toujours un minimum de diversification (ne pas mettre toute sa mise sur un cheval). Cependant, cette diversification de l’investisseur n’était-elle pas dépendante en partie de la diversité de produits disponible, c’est à dire de la diversification des banques. Avec l’inflation des années 70 de nouveaux intermédiaires apparaissent et concurrencent les banques classiques poussant à la déréglementation du secteur dans les années 80. La diversification explose.
    En somme la théorie standard serait biaisée par une forte réglementation et n’aurait rien de standard. Ce n’est sans doute pas un problème de théorie fondamentalement.

  • La théorie du portefeuille ne soutien pas a diversification. Au contraire, sur un problème d’optimisation sous contrainte, l’optimum va être atteint avec un ou deux titres! Bien évidemment, le problème est que le calcul risque/rendement est délicat, et il est donc difficile de savoir s’il l’on est sur la frontière efficiente.
    La diversification en théorie diminue le risque, a condition que les volatilités soient décorrélées! Prenez un jour noir pour le CAC 40, et vous verrez bien que toutes (sauf peut être une!) sont dans le négatif. S’il y avait décorrélation, cela n’arriverait pas.
    Il y a un peu plus de décorrélation avec les small caps, mais pas tant que ça. Je suis toujours à la recherche d’un actif rentable, idéalement inversement corrélé au CAC 40, et éligible au PEA.
    Quant aux ETF, il y a des frais. Et même s’ils sont faibles (regardez l’évolution du cours, pas les frais officiels, car ils y a des couts cachés), ils obèrent notablement la performance de vos placements. Mais c’est un bon outil pour les feignants.

  • Article bien simpliste . Article qui ne soulève pas non plus les immenses différences entre les produits d hier et d aujourd’hui. Article qui ne prend pas en compte la rémunération des actifs et enfin leur valeur d usage (l immo, la précaution : l or) Bref ……… bon …. que dire ?

  • les conseilleurs. gagnent …les écouteurs perdent … la seule réponse à la question comment gagner avec vos placements est simple avez. vous de la chance ?

  • Tout cela est bien simpliste et écrit d’une perspective, ô surprise, de quelqu’un qui gagne à la gestion active, concentrée, etc (en gros, les banques).

    La totalité de la croissance à long terme des marchés financiers du globe provient d’un maximum de 3 % des titres qui s’y négocient. Ne pas avoir ces titres en portefeuille, c’est être condamné à faire du surplace au mieux, et à essuyer des pertes au pire. Perso, je ne prends pas le risque 😀

    Viser de faire mieux que tout le monde en concentrant sur quelques convictions fortes, surtout quand on est un investisseur particulier, c’est du sentiment de puissance mais une garantie d’échec surtout.

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