[Compte rendu] Le 12e week-end de la Liberté (1/3)

Première partie du compte rendu du Week-End de la Liberté organisé par le cercle Frédéric Bastiat.

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Source : Cercle Bastiat

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[Compte rendu] Le 12e week-end de la Liberté (1/3)

Publié le 22 novembre 2023
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Les êtres humains sont ainsi faits qu’ils ont besoin dans leurs liturgies de tous ordres de certaines séquences qui se répètent comme des phares auxquels se rattacher, se retrouver et se reconnaître.

Le Week-End de La Liberté organisé par le cercle Frédéric Bastiat des Landes marque traditionnellement la rentrée des libéraux, de tous les libéraux, des vrais libéraux.

Le décor : un hôtel de Saint-Paul-lès-Dax, et nos travaux dans la salle Poseidon. Impossible de craindre les tempêtes accompagnées du dieu de la mer, et pour traverser les océans de La Liberté, voilà un guide sûr. D’autant plus que Poséidon était accompagné de deux de ses adjoints parmi les plus talentueux. L’organisation a été millimétrée. Il ne manquait pas un bouton de guêtre. Si la ligne Maginot eût été conçue par le docteur Patrick de Casanove, président du Cercle Bastiat, je doute que Guderian eût la partie si facile.

Et puis avec un barreur tel le professeur Jacques Garello, la navigation à travers des interventions très diverses autour du thème Liberté Politique-Liberté économique était assurée d’aller loin et profond. Sa fidélité à la boussole libérale nous valut de sa part quelques interventions viriles. Mais nous connaissons l’homme. Il tangente les 90 ans. L’esprit est toujours aussi vif et clair, son savoir immense. L’eau tiède n’est pas son affaire. La liturgie avons-nous dit. Au mois de juillet se clôture l’année intellectuelle à l’université d’été à Aix. À l’automne, c’est la rentrée avec le Cercle Bastiat.

Parmi les organisateurs, le gardien des traditions, l’ALEPS, nos deux bréviaires quotidiens : d’une part Contrepoints de nos historiques amis de libéraux.org désormais « coaché » par Baptiste Gauthey, et d’autre part l’IREF qui a pris une place cruciale dans les médias autour de maître Delsol et Nicolas Lecaussin ; et puis le plus discret, mais pas le moins utile, l’Institut Coppet, c’est-à-dire Damien Theillier qu’on ne présente plus, et Benoît Malbranque qui fait vraiment œuvre pieuse et unique comme archéologue des auteurs libéraux français.

Que de richesses par lui découvertes sous la poussière, ici avant même Say et Bastiat, là autour du Journal des Économistes. Tout est numérisé. C’est la plus grande bibliothèque libérale numérisée que l’on puisse imaginer. Procédons par ordre.

Une publication des actes du colloque étant prévue, nous nous contenterons de faire une présentation la plus fidèle des propos tenus. Ainsi, par exemple, dans la première présentation, il y avait plusieurs dizaines de slides éclairants dont il est impossible de se faire l’écho. La publication complètera tout cela.

 

Pourquoi la fausse monnaie des banques centrales nous rend esclaves

La première conférence avait pour thème : Pourquoi la fausse monnaie des banques centrales nous rend esclaves. L’orateur était Damien Theillier. Philosophe chevronné, ami d’une grande urbanité, esprit, tant agile que profond, toujours en découverte, peut-être le plus fin connaisseur de Bastiat.

Voici la synthèse de son propos.

« Comprendre la monnaie est essentiel pour comprendre les crises économiques. Aujourd’hui, les banques centrales impriment de la monnaie et facilitent le crédit pour financer les dépenses des États-providence. Quels sont les coûts cachés de cette politique ? Et comment s’en protéger ?

Dans un échange de lettres avec Proudhon, Bastiat avait mis en garde contre l’expansion du crédit à coup d’argent gratuit :

« L’extrême facilité de se procurer du papier-monnaie serait un puissant encouragement au jeu, aux entreprises folles, aux spéculations téméraires, aux dépenses immorales ou inconsidérées. C’est une chose grave que de placer tous les hommes en situation de se dire : Tentons la fortune avec le bien d’autrui ; si je réussis, tant mieux pour moi ; si j’échoue, tant pis pour les autres ». (Frédéric Bastiat – Gratuité du crédit).

La création monétaire était déjà présente dans la pensée de Bastiat. Pour celui-ci, il ne peut y avoir plus de création monétaire que de développement d’activités permettant de recevoir du numéraire.

Dans un dialogue fictif intitulé « Maudit argent », il écrit :

« Pour qu’il y ait accroissement général d’écus dans un pays, il faut, ou que ce pays ait des mines, ou que son commerce se fasse de telle façon qu’il donne des choses utiles pour recevoir du numéraire. »

C’est pourquoi créer trop de monnaie ne peut que conduire à l’inflation : « s’il en augmente la masse, il la dépréciera » (Idem).

La véritable richesse, selon Bastiat, c’est d’abord l’ensemble des choses utiles que nous produisons par le travail pour la satisfaction de nos besoins, et c’est ensuite l’échange libre et volontaire. La monnaie n’est donc qu’un moyen d’échange communément utilisé, elle ne joue qu’un rôle d’intermédiaire. Dès lors, ni la consommation (la dépense monétaire), ni la politique monétaire (l’inflation) ne constituent un moteur pour la croissance. Comment retrouver une monnaie saine, une monnaie solide, qui ne soit pas manipulée ni dépréciée par l’endettement illimité des États et la planche à billets ? »

Damien Theillier a également évoqué avec talent la controverse autour de l’étalon-or.

 

Monnaie saine et Production d’Énergie

Lui succédait une conférence au titre apparemment déroutant : Monnaie saine et Production d’Énergie.

L’orateur est, malgré lui, en raison de sa pudeur et réserve, une sorte de légende. Liberté Chérie c’était lui, les manifestations contre les grèves, c’était lui. Dans la communauté Bitcoin le monde entier le connaît, et pour beaucoup d’Américains le libertarien français c’est lui. Lui c’est Vincent Ginnochio, un ingénieur Telecom brillant et un ami incomparable. Quand sera écrite l’histoire du libéralisme français aux XXe et XXIe siècles, Vincent Ginocchio aura légitimement un chapitre entier.

Là encore, vous découvrirez des planches qui parsemaient ce passionnant propos.

« Bitcoin est depuis bientôt 15 ans la plus populaire des cryptomonnaies. Ce système de paiement décentralisé en argent liquide électronique continue de tenir sa promesse de résistance à la censure, notamment grâce à sa capacité à s’adapter aux attaques qu’il subit.

Quoi que vous en pensiez, il serait dommage de se priver d’un tel outil pour faire sécession de manière non violente afin de reconquérir au moins partiellement l’usage de votre liberté économique. Chacun est libre d’en proposer des évolutions ou bien de lancer un projet concurrent, comme cela a déjà été fait à de multiples reprises, sans succès apparent pour l’instant.

L’une des caractéristiques essentielles du réseau est la méthode utilisée pour inscrire de manière infalsifiable dans un registre distribué sur l’ensemble des nœuds qui le constituent toutes les transactions soumises par les utilisateurs : les acteurs qui réalisent cette opération appelés mineurs par analogie avec le processus d’extraction de l’or physique, sont en compétition permanente pour résoudre une énigme mathématique nécessitant un travail qui implique une consommation d’énergie, afin de rendre impraticable toute tentative de fraude.

Les mineurs sont rémunérés de moins en moins par la création organique de nouveaux bitcoins – la masse monétaire étant finie – et de plus en plus par les frais de transaction que paient les utilisateurs. Pour survivre, chaque mineur est condamné à rester le plus compétitif possible en recherchant l’électricité la moins chère, qui est celle dont personne d’autre ne veut. Cela correspond souvent à négocier un prix bas avec un fournisseur établi disposant de surcapacités – qui accroît ainsi la rentabilité de son installation – mais aussi parfois à exploiter des sources d’énergie disponibles qui n’auraient pas pu être rentables autrement.

Nous sommes donc peut-être en train d’assister aux prémices de la fusion des activités de minage de bitcoin et de production d’électricité. »

 

Libre Arbitre et Bien Commun

Les esprits aiguisés par les deux premières conférences, c’était au tour de maître Jean-Philippe Delsol d’intervenir sur la thématique du Libre Arbitre et du Bien Commun.

Un mot sur l’intervenant qu’on ne présente pas aux lecteurs de Contrepoints. Il nous apparaît que les préoccupations de Jean-Philippe Delsol sont incontestablement de plus en plus doctrinales, mais jamais au détriment des choses contingentes. Il y a certes une hiérarchie des importances dans les questions. Il nous apparaît que le « nouveau » Delsol est toujours meilleur que le précédent. Voici un résumé de son intervention.

« Autour du Ve siècle avant J.-C. advient le momentum du libre arbitre. Le monde méditerranéen découvre la liberté. Rome édicte les lois des douze tables (aux alentours de 450 avant J.-C.) qui reconnaissent des droits aux individus. La fille d’Œdipe, Antigone se lève, chez Sophocle (495/406), contre le destin pour enterrer son frère Polynice.

La pensée grecque fait émerger le libre arbitre. « L’homme est principe de ses actions » observe Aristote.

Enfin, autour de cette période s’écrit la Bible. Le judaïsme pense l’homme comme être libre avant que le christianisme fasse du libre arbitre une pierre angulaire de son édifice. Dès la Genèse, Dieu laisse l’homme libre de manger le fruit de l’Arbre de la connaissance, mais, lui dit-il, « le jour où tu en mangeras, tu mourras » (Genèse, 2,15-17).

Ainsi émerge l’Occident en refusant le destin qui régnait jusque-là. La nouveauté est de considérer que le libre arbitre est une qualité naturelle à l’homme, il ne s’agit plus d’une divine liberté conventionnelle octroyée par la cité ou par l’empereur, mais d’une liberté propre à l’homme, reçue à son commencement. Il est la capacité intérieure de l’homme à se déterminer, examiner, retenir une option quand il pourrait en choisir une autre et finalement agir. Il n’est pas la liberté, il en est le prélude, la condition. Il est l’acteur de la volonté tandis que la liberté constitue ce que son environnement physique, juridique… permet à l’expression de la volonté. Savoir si le libre arbitre existe est la question première, car si la réponse est négative, toute liberté est vaine, elle n’autoriserait alors de faire que ce à quoi nous serions déjà voués.

Pour prétendre à la liberté, il faut que l’homme ait son libre arbitre. S’il ne l’a pas, il est inutile que l’homme revendique des libertés qu’il ne pourrait pas exercer puisque sa route serait déjà tracée et ne lui appartiendrait pas.

Cette prise de conscience du libre arbitre accompagne la reconnaissance de la personne dans sa singularité et dans l’exercice de sa responsabilité. Bien que son acceptation ait encore fait l’objet d’immenses et cruels débats jusqu’à ce jour, cette liberté naturelle a constitué la matrice de la civilisation occidentale, et lui a permis de connaître un développement intellectuel, économique, social et moral unique que les peuples enchaînés à leur destin n’ont pas pu connaître ; de l’Islam, dans lequel la volonté de l’homme appartient à Dieu, à l’Asie qui ne s’en préoccupe pas.

La prise en compte, progressive et parfois difficile, du libre arbitre a permis de concevoir la liberté comme un tout, là ou d’autres ont accepté une certaine liberté économique, mais pas de liberté sociale, intellectuelle ou spirituelle.

Et c’est l’unité et l’étendue de son concept de liberté, et de responsabilité corrélative, qui a permis à l’Occident de grandir plus vite que les autres. Il se pourrait qu’il perde son avantage s’il l’oublie et notamment s’il méconnaît que la liberté doit fondamentalement demeurée ordonnée au bien ainsi que n’ont cessé de nous le rappeler les théologiens bien sûr, mais peut-être plus encore les philosophes d’Aristote à Kant ou William James. »

 

Découper la liberté, c’est la perdre

Il appartenait à Stéphane Geyres, ingénieur, créateur du Institut Mises France après bien d’autres initiatives, d’animer le dîner-débat prolongeant les nourritures terrestres par les nourritures intellectuelles qui provoquèrent des débats courtois, mais virils.

C’est que Stéphane ne cache pas son drapeau libertarien. Passe encore qu’il admire Rothbard, mais traduire Hans-Hermann Hoppe… Nous ne sommes pas d’accord sur tout, ni toujours d’accord, mais lire pour préfacer son dernier ouvrage Liberté Manifeste (Éditions John Galt, 2023), a été un réel plaisir enrichissant. Le thème proposé à l’intervenant était : Découper la liberté, c’est la perdre.

Voici la substance de ses propos.

« La question qui m’était posée par les organisateurs était : « La liberté économique est-elle une condition indispensable à la liberté politique ? »

En effet, dans une société libérale classique, la Liberté est assurée par les fonctions régaliennes, police, justice, défense. Sur cette base de droit ainsi assuré, les relations pacifiques entre personnes peuvent s’ancrer, s’envisager, dont les relations contractuelles. De plus, le célèbre diagramme de Nolan, celui en forme de losange, porte d’un côté un axe de Liberté économique, de l’autre un axe de Liberté individuelle, ensemble convergeant vers la pleine Liberté en son sommet.

Ma thèse consiste à montrer qu’en réalité, ces deux axes sont intimement entrelacés, imbriqués, au point d’en être indissociables, et de confirmer ainsi que ce n’est point l’État qui serait un préalable à la Liberté économique, et encore moins à la Liberté tout court.

Mon point de départ consiste au rappel de la définition de la Liberté, selon Murray Rothbard et les libertariens en général : La Liberté, c’est le droit de faire ce qu’on désire de sa propriété privée.

La propriété marque ainsi mon espace de Liberté, de libre action. Il semble bien que le droit s’y manifeste encore comme préalable au faire.

Pourtant, si la propriété en est la borne à un instant, comme je peux échanger – vendre, acheter, négocier – ma propriété, alors l’économique fait à tout moment évoluer mon espace de droit, donc ma Liberté. Voilà le droit fait par l’économique.

Mais cela va plus loin. Car le besoin de droit vient de la pénurie, la rareté des choses en ce monde. Au Jardin d’Eden, pas besoin de propriété puisque tout le monde peut avoir ce qu’il désire. Or, dans notre monde, il y a besoin d’arbitrer entre les candidats légitimes à la possession de chaque chose : voilà le droit qui advient, de nouveau issu de la motivation économique. Bien sûr, je n’oublie pas l’apport des libertariens à la pensée libérale, cette prise de conscience que nos chères – très chères – fonctions régaliennes, qui donnent substance au droit, peuvent et surtout devraient uniquement résulter de l’offre commerciale d’entreprises privées en libre concurrence, offrant qui des services d’arbitrage, qui des polices d’assurance.

Ici, le droit prend littéralement vie par le marché : voilà la Liberté par le Marché. La Liberté est donc certes le droit de faire, mais il s’agit d’entreprendre pour lui donner vie, pour leur donner vie. La Liberté économique est à la fois le moyen et le produit de la Liberté individuelle.

Alors, puisqu’il est clair que découper arbitrairement la Liberté en deux, c’est la perdre de vue, c’est en perdre le sens et l’essence, à quoi bon poursuivre la promotion d’une Liberté bancale, d’une Liberté parfois régalienne, parfois économique, quand il serait bien plus juste de simplement parler de la Liberté pleine et entière ? »

 

Rendez-vous était pris pour le lendemain matin après une première demi-journée particulièrement dense et réellement passionnante.

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