Loi immigration : quelle position réaliste pour un libéral ?

Le débat sur l’immigration divise les Français et les familles politiques. Les libéraux n’y échappent pas. Pour Jonathan Frickert cependant, une position intermédiaire et réaliste existe.

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Loi immigration : quelle position réaliste pour un libéral ?

Publié le 18 novembre 2023
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Trentième texte sur le sujet depuis 40 ans, le projet de loi immigration actuellement en discussion au Parlement s’inscrit dans une législation de plus en plus restrictive qui n’est pourtant pas parvenue à dépassionner la question dans le débat public.

Durcit le 14 novembre par le Sénat, le texte interroge sur la position libérale et les enjeux multiples que l’immigration frappe de plein fouet, contribuant à en faire un sujet clivant par excellence, alors même que la question de l’immigration climatique pointe le bout de son nez.

 

Un durcissement progressif

Depuis 30 ans, la législation sur l’immigration n’a pas été épargnée par l’habituelle inflation législative française. Celle-ci s’est durcie par à-coups.

L’obtention de la nationalité par les mineurs nés en France de parents étrangers, imposant une manifestation de l’intéressé en 1993, est devenue automatique sous Jospin, avant d’être subordonnée à un critère d’intégration en 2003.

À partir de 2007, le concept d’immigration choisie chère au président de la République de l’époque a amené à trouver un compromis entre intégration et besoins économiques. Un compromis qui semble rester d’actualité.

 

Équilibre et restrictions

Pour mémoire, le texte initialement présenté par l’exécutif couvre l’ensemble des domaines que la problématique migratoire : travail, intégration, éloignement, asile, contentieux des étrangers.

Renforçant les exigences en matière de connaissance de la langue française pour l’obtention de certaines cartes de séjour, et imposant des engagements envers les principes républicains, le texte vise également à doter les autorités de moyens supplémentaires afin d’éloigner les étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public, y compris les résidents de longue date condamnés pour des crimes graves.

Le texte simplifie également le contentieux des étrangers et prévoit la création des « espaces France Asile » pour centraliser les démarches des demandeurs d’asile.

 

La fin de l’AME

Ce mardi 14 novembre, le Sénat a considérablement durci le texte en introduisant la suppression de l’aide médicale d’État (AME) et des quotas d’immigration économiques. Le Sénat a également souhaité conditionner le droit du sol, aujourd’hui automatique. Les sénateurs souhaitent introduire une fenêtre de demande entre 16 et 18 ans permettant aux enfants nés en France de parents étrangers de demander la nationalité française.

Mais la grande nouveauté du texte votée par la chambre haute est sans doute la fin du fameux article 3, mesure phare du texte introduisant un titre de séjour automatique pour les travailleurs sans-papiers exerçant des métiers en tension, que le Sénat a purement et simplement remplacé par des régularisations exceptionnelles sous conditions.

 

Les libéraux divisés

La question migratoire est sans doute une des plus controversées dans le débat français, au point que les formations de droite appellent aujourd’hui à un référendum sur la question, à la manière de la grande pétition nationale lancée par Les Républicains fin octobre.

Cette controverse n’échappe pas non plus aux défenseurs de la liberté. Le débat est essentiellement porté par les partisans de l’abolition pure et simple des frontières internationales et les libéraux conservateurs. Les premiers estiment qu’il ne saurait y avoir de restrictions à la libre circulation des individus, considérées comme du protectionnisme humain.

Ils s’opposent aux libéraux conservateurs, pour qui la libre circulation est bornée par l’intérêt national, qu’il soit économique ou sécuritaire, lié à la main-d’œuvre ou à l’insécurité.

Entre ces deux visions, les libertariens ont trouvé une position intermédiaire. Elle se fonde sur la propriété privée, estimant que seules les frontières privées devraient être restreintes au bon vouloir des propriétaires.

 

Le compromis réaliste

Une autre position intermédiaire se trouve dans celle promue par l’essayiste Ferghane Azihari.

Partisan de la thèse propriétariste évoquée plus haut, Azihari attaque depuis longtemps la charité mal placée des États occidentaux, estimant que l’immigration souffre du paternalisme des ex-empires coloniaux.

Dans le cadre du débat actuel, l’analyste en politiques publiques appelle à une approche plus sélective fondée sur l’adhésion aux valeurs occidentales et la revendication dans la supériorité de la civilisation d’adoption, tout en critiquant les régimes autoritaires contraignant leurs ressortissants à l’exil.

 

L’impact varié de l’immigration

L’immigration touche par exemple le nombre de demandeurs d’emploi ou les capitaux envoyés par des immigrés dans leur pays d’origine.

Sur le plan social, elle touche la demande d’aides, de prise en charge santé et de logements.

Sur le plan sécuritaire, l’immigration pose la question du trafic d’êtres humains et du taux de délinquance.

Enfin, sur le plan culturel, elle interroge la capacité d’assimilation des sociétés humaines et occidentales en particulier. Cette question est particulièrement présente en France, ancienne puissance coloniale et nation composite fondée sur le consentement, et non sur une ethnie.

Dans cette recherche d’équilibre culturel, Ferghane Azihari estime que la peur de l’immigration révèle un manque de confiance des nations occidentales dans leur modèle. Il appelle ainsi à reprendre en main la défense du modèle français dans l’accueil des migrants.

 

Un marqueur du clivage

La question migratoire reste aujourd’hui un marqueur du clivage gauche-droite. La gauche l’envisage comme la conséquence d’une oppression des populations immigrées, et souhaite ratifier la présence des immigrés par la régularisation. De son côté, la droite l’envisage comme une menace pour l’équilibre social et culturel de la société française, et souhaite la restreindre.

Cette dichotomie se retrouve dans la position des différentes formations politiques sur le projet de loi qui nous intéresse ici.

L’agonisante NUPES considère ainsi le texte comme un acharnement envers les migrants avec l’approbation de la droite et de l’extrême droite, et appelle à garantir le droit d’asile des lanceurs d’alerte.

Au centre, sans surprise, on refuse de toucher au texte de l’exécutif tout en ne fermant par la porte aux propositions de la droite, et en particulier le contrôle à 360 degrés des demandes de titres de séjour et l’ouverture des prestations sociales à partir de cinq ans de résidence sur le territoire.

La droite, justement, ne l’entend pas de cette oreille. Bien avant le durcissement sénatorial, LR a proposé un contre-projet introduisant des demandes d’asile dans les ambassades et consulats français dans les pays d’origine et l’accélération des procédures d’instruction administrative.

Ce contre-projet se veut être un compromis entre les positions du gouvernement et celles du RN, qui demande une remise à plat des règles du droit d’asile depuis l’attaque d’Annecy le 8 juin dernier.

 

Un avenir incertain

Dans ce contexte, l’avenir de la législation française reste incertain. La mouture votée par le Sénat et qui sera discutée à l’Assemblée nationale depuis décembre devrait entraîner le rejet des propositions les plus dures introduites mardi par les sénateurs LR.

L’immigration est un sujet dont la complexité tranche avec les positions simplistes qu’on entend généralement. Cette complexité devrait se renforcer avec l’émergence d’une immigration climatique dans les prochaines décennies. Une nouvelle preuve qu’on ne luttera pas contre l’immigration par une simple affaire de frontières.

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  • Beaucoup d’énergie pour rien : le texte ne solutionne en rien le problème de l’immigration. La gauche est vent debout contre ce texte pour ne pas qu’il devienne plus contraignant, lui enlevant ainsi ses futurs électeurs : plus il y a de pauvres qui votent plus il y a de députés de gauche. Et la droite continue de s’agiter pour la forme car elle n’a pas envie de se battre et perdre une partie des bobos centristes qui votent pour elle. Bref 3000 milliards de déficit ne sont pas suffisant pour nos élus, il faut en créer encore plus en accueillant la misère du monde qui hait la France et les français.
    Chaque parti politique sait de toute façon que ça n’influencera pas le vote de ses électeurs : même LFI est convaincu que quoiqu’il fasse, son socle sera toujours là. Idem pour les écolos.
    Les Français sont éduqués pour voter à gauche quoiqu’il se passe dans ce pays. Jospin à bien fait le job lorsqu’il était Ministre de l’Education nationale : il a pu constater que la méthode stalinienne est hyper efficace pour créer des moutons décérébrés.

  • « l’émergence d’une immigration climatique dans les prochaines décennies »

    Parce que vous croyez vraiment que l’imminent petit âge glaciaire va nous précipiter vers les tropiques?

  • Il ne s’agit en rien de libre circulation, mais de « droits » des étrangers aux subsides de l’Etat financés par les Français de souche (et encore, seulement ceux qui travaillent honnêtement), et à l’impunité judiciaire pour les étrangers délinquants. Les xénophobes purs sont une infime minorité en France, et encore plus chez les libéraux.

  • Le problème se réglera de lui même avec : la faillite , la guerre civile , la ruine économique ou les trois à la fois . Nous sommes bien sûr en mesure de contrer toute invasion mais nous ne le ferons pas par notre seule tétanie idéologique . Pourquoi ? Nous refusons de nous défendre. Nous sommes un organisme qui a posé les armes depuis longtemps et ce dans tous les domaines : nos écolos applaudissent l’arrivée des loups, des ours , la venus des mauvaises herbes , la prolifération des insectes (tiques , punaises , frelons .. ) , le retour des épidémies (covid , peste , tuberculose … ) et notre état nous interdit toute action : bannissement du glyphosate ,des armes à feu , des produits qui éradiquent les insectes , nous sommes en pénurie d’antibiotiques , et autres médicaments (cortisone par ex mais combien d’autres ) , alors le phénomène frontières est exactement le même : nous avons tout à fait la capacité de les faire respecter , mais nous ne le voulons pas , c’est aussi simple que cela , nous en sommes même à nier leur utilité , c’est dire ….

  • Je passe rapidement sur le mythe effondriste du « réfugié climatique »- lire à ce sujet l’excellent Rien n’est joué de Jacques Lecomte.
    Pour arriver au coeur du débat :
    – Le pouvoir finit par échoir à ceux qui incarnent l’idéologie dominante (Gramsci).
    Qui est aujourd’hui : le rejet massif de l’immigration subie.
    Qui sont aujourd’hui à la droite de l’échiquier.
    Sur la complexité libérale :
    – Ce qui est simple est faux, tout ce qui ne l’est pas est inutilisable (Paul Valéry)

  • La position est ultra simple : vous n’avez pas de papiers, vous ne pouvez pas vous déplacer librement… Point barre…

  • Tiens, j’avais fait le premier commentaire et il a disparu, problème technique, je suppose.
    Je vais me concentrer sur l’article trois, je trouve que le combattre est soit de l’ignorance, soit de la démagogie pour récolter les voix de la peur.
    Pour en revenir aux principes libéraux, l’employeur et l’employé sont des individus avant d’appartenir à une communauté.
    S’il travaillent ensemble depuis longtemps, ils ont le droit de continuer et c’est utile au pays. L’employé a eu tort d’entrer clandestinement, mais il a payé par cinq ans de galère tout en apportant son travail. L’obliger à rester dans la clandestinité et ses trafics est une erreur économique et morale. L’appel d’air? Si c’est pour des gens qui vont bosser cinq ans à la satisfaction réciproque, pourquoi pas ? Pour davantage de détails, voir mon article récent sur Contrepoints.

    -4
    • S’ils travaillent ensemble depuis longtemps, cela ne donne aucun droit de continuer plus que si c’est depuis trois jours. C’est du même tonneau que « si vos OQTF sont multiples et depuis longtemps, vous avez le droit de rester ». Celui qui entre clandestinement et en contradiction avec la loi doit sortir, point. S’il subit des galères, il n’avait qu’à pas venir ou demander un visa régulier.

    • « L’employé a eu tort d’entrer clandestinement, mais il a payé par cinq ans de galère tout en apportant son travail ». Le belle affaire ! Il entre clandestinement en France, malgré tout il obtient du boulot avec la complicité d’un « employeur pas trop regardant » et hop il a le droit de rester an France. C’est le postulat de départ qui est foireux : entrer clandestinement en France est un délit, le clandestin est un délinquant réel et plus « en potentiel ». « Délinquant un jour, délinquant toujours » : qu’il rentre chez lui publiquement, ouvertement, et qu’il y reste. Avec la complicité de son employeur – qui est lui aussi un délinquant – il a su profiter d’une formation ou d’une confirmation de sa formation de base, il est temps qu’il rentre chez lui partager ses compétences acquises et confirmées avec les nationaux de son pays d’origine.

    • @yves vous noterez que le pays le plus libéral d Europe (la Suisse) contrôle strictement son immigration (droit de travail, acquisition de nationalité) sûrement un hasard ….

  • Depuis 30 ans, nous avons environs 3 millions de chômeurs et des entreprises qui ne trouvent pas de salariés
    Aucun parti ne propose de les remettre drastiquement au boulot ( le RN et les LR parlent d assistés……mais se gardent d avancer qq mesures que ce soit)
    Donc les patrons sont bien obligés de recourir à de la main d oeuvre étrangère soit autorisée via des contrats soit clandestine
    Promenez vous devant les chantiers de BTP……les EHPAD…..la logistique le nettoyage le ramassage des ordures les aides ménagères soignantes à domicile, les transports publics, les restos……..ses salariés sont majoritairement d origine étrangère
    Soyons realistes au lieu de philosopher sur le sexe des anges

    • Promenez-vous devant Pôle Emploi. Ses assistés sont encore assez peu d’origine étrangère, parfaitement aptes à exercer les métiers en tension, mais pas fous au point de renoncer à la liberté des formations enchaînées parfois entrecoupées d’un petit boulot rajeunisseur de droits pour se consacrer quotidiennement au boulot. Les clandestins ne sont pas plus fous, mais pour le moment ils n’ont pas encore le choix.

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