Cours criminelles départementales : une inconstitutionnalité manifeste ? (III)

Les PFRLR, autrefois considérés comme des garants de nos droits fondamentaux, font face à une remise en question. Au cœur du débat, la légitimité des cours criminelles départementales.

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Cours criminelles départementales : une inconstitutionnalité manifeste ? (III)

Publié le 12 octobre 2023
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Première partie de cette série ici.

Deuxième partie de cette série ici

Dans leur lettre de saisine, les requérants font mention de l’existence d’un « principe fondamental reconnu par les lois de la République » (ci-après PFRLR) selon lequel le jury populaire est compétent pour statuer sur les crimes de droit commun.

L’existence d’un tel principe fondamental conduirait nécessairement à l’inconstitutionnalité des cours criminelles départementales (ou CCD). En effet, celles-ci étant dépourvues de jury populaire, elles ne pourraient donc, en vertu de ce principe, juger les crimes de droit commun. On voit donc ici la puissance de l’invocation d’un tel argument par les requérants.

Mais, cet argument, bien que puissant pour eux, constitue, pour le Conseil constitutionnel, une faiblesse, notamment au regard de la motivation (I). Par contre, l’argument tiré de la violation d’un principe à valeur constitutionnelle constitue une base solide et puissante pour le Conseil constitutionnel (II).

 

I) Les PFRLR : catégorie de normes de référence en désuétude potentiellement réveillée ?

Le principe fondamental reconnu par les lois de la République fait partie de ce que l’on nomme, de manière un peu abusive, le « bloc de constitutionnalité », autrement dit, l’ensemble des normes de référence utilisées par le Conseil constitutionnel dans le cadre de son contrôle.

Deux questions introductives se posent évidemment :

  1. De quoi est composé le « bloc de constitutionnalité » ?
  2. Qu’est-ce qu’une « norme juridique » ?

 

Le « bloc de constitutionnalité » est une « notion étiquette » (Jean-Michel Blanquer in Mélanges J. Robert, 1998, p.227) qui « compense l’indétermination du sens par la banalité de l’évidence ».

L’idée d’un bloc renvoie à une homogénéité. Or, les normes de références ne sont en aucun cas homogènes.

En effet, le bloc semble à renvoyer à des normes constitutionnelles et contient aussi des normes qui ne le sont (ex : LOLF ; règlements des assemblées ; traités par l’article 54). La formation du bloc s’est donc faite à géométrie variable, au regard de la diversité des compétences du contrôle confié au Conseil. En clair, le type d’acte soumis au Conseil commande la délimitation du bloc. Qui plus est, certaines normes de référence ne s’y trouvent pas, alors qu’elles sont fréquemment utilisées par le Conseil constitutionnel, notamment des standards, lui permettant alors de s’émanciper des contraintes du textualisme (ex : principe de valeur constitutionnelle sans texte de référence ; policy arguments, etc).

Une norme juridique, prise dans le contexte de l’interprétation, est la signification objective d’un énoncé juridique. Cette signification est attribuée par un interprète, en l’occurrence ici, un juge. Ce dernier est donc le créateur des normes juridiques.

Il faut clairement distinguer l’énoncé de la norme, les deux ne peuvent se confondre.

En premier lieu, il n’y a pas d’identité ni de correspondance entre la norme et l’énoncé. Si la norme n’est que le produit de l’interprète, on peut convenir qu’un énoncé est susceptible de contenir plusieurs normes qui seront posées, au travers d’une décision, par un interprète. In fine, l’interprète choisira entre plusieurs normes, entre plusieurs significations possibles. Dès lors, dans des sources juridiques différentes, un même énoncé peut donner des normes différentes.

De même, que, si l’énoncé et la norme sont distincts, un énoncé peut très bien en recouvrir un autre. De la même manière, une norme peut émerger de plusieurs dispositions à la fois. Enfin, des normes peuvent exister sans aucune disposition préalable.

On voit donc que l’énoncé et la norme sont décorrélés. Ce n’est donc pas une norme qui est interprétée, mais un énoncé. Mais si elle est le fait d’un pouvoir souverain d’interprétation, la norme déterminée par le juge se trouve être contrainte par deux pôles : la fidélité et la liberté par rapport à l’énoncé.

On comprendra enfin que l’auteur des normes constitutionnelles est l’interprète authentique de cette dernière (donc, le Conseil constitutionnel) et que, par voie de conséquence, il ne peut y avoir de hiérarchie entre norme constitutionnelle et norme législative, pour la simple et bonne raison que l’auteur de ces normes est le même : le juge constitutionnel.

Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République sont donc des normes de référence qu’utilisent ou du moins, qu’a pu utiliser, le Conseil constitutionnel. Ils expriment autant la liberté de l’interprète par rapport au texte constitutionnel que sa fidélité. La notion de « principe fondamental reconnu par les lois de la République » est mentionnée au sein du Préambule de 19461.

Cette notion est largement indéterminée car nulle définition textuelle de ce que sont ces principes. Si l’on se réfère à l’histoire constitutionnelle, les constituants centristes et catholiques envisageaient la liberté de l’enseignement. Mais la tâche de leur signification revient naturellement au juge constitutionnel, interprète authentique de la Constitution.

Dès lors, le Conseil constitutionnel a dû découvrir ces principes.

Le premier principe qu’il découvrit fut la liberté d’association, dans sa célèbre décision du 16 juillet 1971. L’indétermination textuelle de cette notion fut une aubaine pour le Conseil constitutionnel afin de légitimer son nouveau statut, que la loi constitutionnelle de 1974 confortait par ailleurs. Ce faisant, le Conseil se lança dans une grande opération de découverte de ces principes fondamentaux reconnu par les lois de la République, notamment entre 1974 et 1977, période faste durant laquelle il découvrit quatre principes fondamentaux.

Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République n’ont pas de support constitutionnel textuel, rendant donc plus aisée leur découverte. Mais cette liberté causa de plus en plus de difficulté au Conseil, qui se voit accuser d’abuser de cette capacité de découverte, pour bloquer l’action du législateur.

Dès lors, à partir de 1977, le Conseil va poser des conditions (autolimitation de l’interprète) qui le guideront dans la découverte de nouveau PFRLR :

  1. Le PFRLR doit être issu de loi adoptée sous un régime républicain (décision n°88-244 DC)
  2. Il s’agit de lois adoptées antérieurement à la Constitution du 27 octobre 1946 (décision n°88-244 DC)
  3. La législation considérée doit être constante
  4. Le principe fondamental doit revêtir une certaine généralité, ainsi qu’une certaine importance, touchant les libertés fondamentales, la souveraineté nationale et les principes d’organisation des pouvoirs publics.

 

Aujourd’hui, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République sont au nombre de onze.

Ces conditions posées par le Conseil servent évidemment à légitimer ce processus de « découverte ». Ainsi, si le Conseil veut en découvrir d’autres, par fidélité à sa jurisprudence, il devra les respecter. Mais, depuis 2013, le Conseil n’en a plus découvert, délaissant cette norme de référence. Or, il est toujours possible d’en découvrir de nouveaux.

Par exemple, la liberté de réunion publique (loi du 30 juin 1881), l’obligation scolaire (loi du 28 mars 1882) voire le droit à un repos hebdomadaire (loi du 26 novembre 1911).

On conviendra donc que le Conseil reste maître de la découverte du contenu des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, et cette maîtrise s’illustre par les conditions restrictives utilisées.

Les requérants invoquent donc un principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif au jury populaire pour juger les crimes de droit commun.

Ce principe fondamental n’existe pas (ou pas encore), ce qui obligerait donc le Conseil à le découvrir, en suivant les conditions d’autolimitation qu’il a lui-même posé. La fidélité à ses conditions est pour lui, une contrainte argumentative, donc un gage de légitimité. Il pourrait tout à fait s’en écarter puisqu’il les a posés, mais il s’exposerait alors à lourdes critiques.

Pour appuyer ce principe fondamental, les requérants s’appuient sur les débats des 2 et 3 septembre 1986, entre George Vedel et Robert Badinter. Selon ce dernier, un tel principe existe bel et bien, au regard de la longue tradition du jury populaire au fil des Républiques. Ce débat peut constituer une ressource interprétative pour le Conseil, mais il peut en tirer tant des éléments pro que contra, pour la découverte d’un tel principe. N’oublions pas que, si le Conseil a « découvert » onze principes fondamentaux, il a aussi rejeté dix-huit candidats.

Le Conseil peut toujours découvrir de nouveaux principes fondamentaux, c’est d’ailleurs ce à quoi le poussent les requérants, tant dans le contentieux a priori que dans le contentieux a posteriori de constitutionnalité. Mais il semble que le Conseil constitutionnel n’ait plus la volonté de procéder à ces découvertes car cette catégorie lui semble un peu asséchée par ce trop-plein de découvertes.

Cette prise de position jurisprudentielle marquée par un refus de reconnaissance de nouveaux principes fondamentaux doit être mise en relation avec l’utilisation croissante des principes à valeur constitutionnelle, en raison notamment de leur plus grande malléabilité.

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  • S’il est inconstitutionnel que des gens soient jugés et condamnés par des juridictions composées uniquement de juges professionnels, alors ce doit être vrai pour toutes les juridictions pénales. On n’a pas fini de payer des impôts.

  • Les commentaires sont fermés.

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