Les récoltes de blé ne sont pas si bonnes que prévues

Malgré un optimisme médiatique annoncé, les récoltes de blé révèlent des inquiétudes.

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Les récoltes de blé ne sont pas si bonnes que prévues

Publié le 26 août 2023
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Début juillet 2023, certains médias comme Le Monde se sont sans doute réjouis trop vite de la récolte de céréales à paille, en oubliant les aléas météorologiques et le contexte international. S’il n’y a pas de raison de paniquer, il y en a pour mettre certaines choses à plat.

Le marronnier du début de l’été

Est-ce un marronnier qui fleurit quand la torpeur estivale réduit le volume d’informations, ou un vieil atavisme hérité du temps – qui nous paraît maintenant lointain – où on scrutait le champ estival pour y deviner la teneur de l’assiette hivernale ?

L’année dernière, le 2 juillet 2022, La Tribune titrait « Blé : une récolte correcte en vue en France, malgré des rendements en baisse ». Cette année, pour Le Figaro du 6 juillet 2023 (avec AFP), ce fut « Blé : prévisions « rassurantes » pour la récolte 2023, avec des rendements en hausse ».

L’interprofession Intercéréales et Arvalis (Institut Technique du Végétal) pronostiquaient que le rendement national du blé tendre « atteindrait 75 quintaux à l’hectare en 2023, soit une hausse de 4,5% par rapport à 2022, et 5 % par rapport à la moyenne des dix dernières années ».

Le Monde s’est distingué avec un titre tapageur, « Les moissons céréalières s’annoncent plantureuses en France », qui ne fait pas honneur à un article tout en nuances de Mme Laurence Girard. Elle écrivait en particulier, avant d’aborder les questions de prix, de coûts de production (qui ne sont pas couverts par les prix actuels), de compétitivité sur le marché international et de géopolitique :

« Les moissons céréalières s’annoncent donc de belle facture en France cette année. Même si les agriculteurs retiennent encore leur souffle et attendent toujours la fin de l’exercice pour se réjouir. Un aléa météorologique est si vite arrivé et peut briser sur pied les espoirs d’une année. « Pour l’heure, l’ambiance est sereine », constate Benoît Piétrement, président du conseil spécialisé dans les grandes cultures de FranceAgriMer et céréalier dans la Marne. »

 

« On peut avoir des surprises »…

C’était un intertitre, prémonitoire, du journal Le Monde.

Trois semaines plus tard, le ton a changé, même si les prévisions n’ont que peu baissé (de 35,25 à 34,82 millions de tonnes, avec un rendement légèrement supérieur à la moyenne quinquennale). La France Agricole titre en effet, le 26 juillet 2023 : « Moisson en 2023 : le blé ne tient pas ses promesses », sur la base d’une enquête de terrain réalisée par Agritel entre le 20 et le 25 juillet 2023.

C’est que l’état des cultures en sortie d’hiver laissait espérer des résultats exceptionnels.

« Puis les épisodes de gel tardif qu’a connu l’est de la France en avril, et plus encore l’absence totale de pluie de la mi-mai à la mi-juin, ont « nettement réduit » le potentiel de production dans les deux tiers du nord du pays. « Nous avons perdu 2 à 3 millions de tonnes de potentiel sur mai-juin » évalue Gautier Le Molgat [directeur général d’Agritel]. »

Et il y eut un épisode météorologique quasi-automnal que beaucoup, matraqués par les discours apocalyptiques sur le dérèglement climatique, ont trouvé invraisemblable ou ont instrumentalisé pour des déclarations que l’orthodoxie climatique a qualifiées de climatosceptiques…

Le 7 août 2023, La France agricole rapportait qu’il restait 13 % du blé tendre à récolter le 31 juillet 2023, et que la qualité des blés encore sur pied se dégradait.

Et dans un article du 16 août 2023, « Les chantiers de moisson ont repris dans le Nord-Ouest », La France Agricole décrit des situations compliquées avec, souvent des pertes de qualité reléguant les blés à la production animale.

 

Dans un article du 16 août 2023, « Moisson de blé 2023 : un volume préservé malgré des retards et des exportations embouteillées », Pleinchamp (avec AFP) livre la dernière estimation du ministère de l’Agriculture : 35,6 millions de tonnes, en hausse de 3,5 % par rapport à la moyenne quinquennale.

Mais selon une autre estimation, entre 50 et 70 % des blés récoltés après les pluies seront déclassés en qualité fourragère. Et on peut craindre une saturation du marché de l’alimentation animale du fait des intempéries.

 

Les intempéries en Europe

Selon le bulletin du Monitoring Agricultural Resources (suivi des ressources agricoles – MARS) du Centre commun de recherche de la Commission européenne publié le 24 juillet 2023, la prévision de rendement toutes céréales confondues s’établissait à 5,46 tonnes/hectare (54,6 quintaux/hectare), légèrement au-dessus de la moyenne quinquennale de 5,44 t/ha, et en baisse par rapport à la prévision de juin (5,52 t/ha).

Ce bulletin contient aussi une mine d’informations sur les différents facteurs qui ont influé sur le rendement en Europe. C’est résumé par une carte, arrêtée au 16 juillet 2023. Chaleurs extrêmes dans le sud de l’Espagne et le nord de l’Italie avec de maigres récoltes à la clé, déficit de pluies dans le nord-ouest de l’Europe, excès de pluies en Europe méditerranéenne…

Mais entretemps, il y a eu les intempéries… Dans un article du 2 août 2023, M. Willi Kremer-Schillings – Willi l’agriculteur, tenancier d’un blog très visité – estimait qu’en Allemagne, les deux tiers de la surface de blé d’hiver, de seigle et de triticale, soit 2,3 millions d’hectares sur les 3,5 millions d’hectares totaux étaient encore sur pied. Pour le colza, il pourrait s’agir d’environ 500 000 hectares.

Le Deutscher Bauernverband (Union des Agriculteurs Allemands) était encore plus pessimiste au 3 août 2023 : 80 % des céréales et 50 % du colza étaient sous les pluies.

La qualité du blé se dégrade, et une bonne partie ira à l’alimentation animale, avec une perte de revenus pour les agriculteurs. Pour le colza, selon Willi, la perte pourrait être de 400 000 tonnes du fait de l’égrenage causé par le vent et la pluie.

 

Le monde suspendu à la guerre en Ukraine

C’est quand le grain est au silo qu’on compte les quintaux.

C’est évidemment difficile, pour une campagne donnée (de juillet à juin de l’année suivante) quand les céréales à paille de l’hémisphère Sud sont encore en croissance. Il faut se contenter de prévisions.

Fin juillet 2023, le Conseil International des Céréales (CIC) prévoyait une récolte (un disponible) record en céréales pour la campagne 2023-2024 : 2,3 milliards de tonnes, avec des hausses en maïs et en riz, mais une baisse en blé (784 millions de tonnes, en repli de 2,4 % par rapport à la campagne précédente où les récoltes russe et australienne avaient été exceptionnelles).

Dans un rapport publié le 11 août 2023, le Département Américain de l’Agriculture (une autre référence en la matière) estimait la production de blé à 793,37 millions de tonnes – soit plus que le CIC, mais 3 millions de tonnes de moins que dans son estimation précédente.

Rapportant les éléments essentiels de ce rapport, Le Figaro (avec AFP), par exemple, a titré le même jour : « Vers un recul des productions mondiales de blé, de maïs et de soja en 2023-2024 ». C’est faux pour le blé : ce qui baisse, c’est la prévision – de 796,67 à 793,37 millions de tonnes, un disponible qui reste toujours supérieur au précédent (789,97 millions de tonnes). Le scénario est identique pour le maïs et pour le soja.

Parmi les variations significatives, il y a une baisse de 3 millions de tonnes pour l’Union européenne, pour un volume total de 135 millions de tonnes, et une hausse de 3,5 millions de tonnes pour l’Ukraine, qui récolterait 21 millions de tonnes.

La Russie récolterait 85 millions de tonnes (92 millions de tonnes l’année dernière).

Mais le monde est suspendu à l’évolution de la situation s’agissant de la guerre en Ukraine et des manœuvres géopolitiques de la Russie.

Les questions qui se posent sont plutôt simples sur le papier : les silos à grains et les installations portuaires de l’Ukraine, ainsi que les transports terrestres, vont-ils devenir des cibles d’attaques ? L’Ukraine arrivera-t-elle à exporter, d’une manière ou d’une autre, maintenant que l’accord qui permettait la circulation des cargos en mer Noire n’a pas été renouvelé ? Comment la Russie utilisera-t-elle son disponible (48 millions de tonnes) ? On sait déjà que Vladimir Poutine a promis des livraisons gratuites à six pays d’Afrique…

Du reste, les blés russes sont très présents sur les marchés internationaux à des prix très compétitifs, y compris au Maghreb dont la France est habituellement le principal fournisseur. Quand pourra-t-on vendre et dégorger des silos saturés est une question que l’on se pose aujourd’hui.

 

Et pendant ce temps, dans l’Union européenne…

Pendant ce temps, l’Union européenne vaque à ses petites occupations – sachant que c’est la morte saison en août…

Sur la question des exportations des produits agricoles ukrainiens par les voies terrestres et maritimes de l’Union européenne, le dernier conseil européen « Agriculture et Pêches » du 25 juillet 2023 est au mieux décevant :

« Les ministres ont appelé à renforcer davantage les corridors de solidarité et à envisager de mettre en place de nouveaux itinéraires, tout en continuant d’assurer la protection du marché intérieur, et ils ont condamné le blocage de la mer Noire par la Russie. »

Ouf ! Les choses avancent (ironie)…

L’obligation faite aux agriculteurs de mettre 4 % de leurs terres en jachère comme condition pour l’obtention des aides PAC est un autre sujet de procrastination. Plusieurs États – dont la France, mais pas l’Allemagne de la coalition « feux tricolores » incluant les Verts – ont demandé que les dérogations soient reconduites en 2024, pour une troisième année.

Lors du Conseil précité, le commissaire européen à l’Agriculture, Janusz Wojciechowski, a fait savoir que la Commission européenne était très attentive à cette demande – ça, c’est le volet diplomatique qui ne mange pas de pain. Mais elle souhaitait évaluer les risques pour la sécurité alimentaire de l’Europe au regard de la situation après récolte. La procédure législative pour mettre en œuvre une troisième année de dérogation serait aussi « plus compliquée » car cela demanderait un amendement au règlement européen…

On ne s’y prendrait sans doute pas autrement pour tergiverser jusqu’à ce qu’il soit trop tard. C’est du reste déjà le cas pour la plupart des agriculteurs, qui ont déjà établi leurs plans de culture pour la campagne à venir.

Notons le remarquable « en même temps » hexagonal : selon M. Marc Fesneau, il faut pouvoir « s’adapter aux événements », sans pour autant « en rabattre sur les questions environnementales par ailleurs ».

Pour M. Janusz Wojciechowski, il faut aussi « maintenir la crédibilité de la Pac sur le long terme ».

Bref, sur le plan géostratégique, l’Europe se distingue par sa nullité.

Et, s’agissant du long terme, les extravagantes folies du Green Deal, du Pacte Vert sont toujours sur la table.

Notons encore que les cours du blé sont actuellement très bas (autour de 220 euros/tonne, mais les variations peuvent être rapides) et qu’il règne de grandes incertitudes sur les marchés des engrais… qui conditionnent en partie les volumes de récoltes de l’année prochaine.

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  • Quand le peuple est affamé, il vote à gauche. Et donc pour les écologistes qui ne savent même pas ce qu’est l’agriculture.

    • Lorsqu’un peuple est affamé, il vote pour celui ou celle qui lui fait le plus de promesses de court terme. Le striatum fait troupeau et fait loi !
      Mais le peuple (je préfère la communauté des individus qui comprend les élites) n’est pas affamé, il est désorienté, ce qui produit les mêmes effets.

  • m’enfin l’agriculture c’est vital, c’est d’importance stratégique DONC les politiques doivent s’en occuper..

  • Quelqu’un pourrait peut-être m’expliquer, mais je comprend mal la situation. Je prend le blé, parce que c’est la céréale dont on traite plus haut, mais cela peut s’étendre aux autres récoltes sans problème. Les agriculteurs individuels doivent décider en début de saison combien ils doivent planter de graines. C’est la seule chose qu’ils contrôlent. Ce qu’ils vont récolter en fin d’année dépend d’un ensemble de facteurs, qui font que les récoltes sont au final soumis à un important écart-type. Cet écart-type existe aussi au niveau mondial, quoique sensiblement moindre. De l’autre, on a la consommation de blé, sous toutes ses formes possibles. Encore là, il y a variation de consommation, mais moindre que pour la production. Pour faire face à ce genre de fluctuation, on doit se garder une bonne réserve, qui correspond à 4 écart-types combinés production consommation. (Moins d’une chance sur 10000 de tomber à 0 réserve.) Hors Chine, cela correspond à environ 125-130 millions de tonnes, et c’est ce que l’on avait pour la saison 2022-23. (La Chine seule semble avoir 185 millions de tonnes de réserve, même si je ne saisis pas pourquoi. Cependant, le reste du monde ne compte pas dessus, donc, c’est sans importance.)
    Revenons maintenant à la Russie et à l’Ukraine. Éliminons complètement les 20 millions de tonnes d’exportations de l’Ukraine pré-guerre. Ce que donne la Russie à l’Afrique s’enlève tout de même des besoins, même si cela peut perturber las marchés. Même avec une baisse de quelques pourcents de la production réelle et une hausse de la consommation, on ne devrait pas manquer de blé. En un ou 2 ans, on peut ajuster la production de 3 ou 4% sans problème.

    Parce que, bien sûr, même s’il est possible de pointer du doigt chaque année des régions ou des pays qui ont produit moins que l’année précédente ou moins que prévu, globalement il n’y a toujours pas de baisse de rendements globaux, malgré la dite « urgence climatique ». Bref, la Russie ne peut pas causer de famine. L’ « urgence climatique » non plus. Les politiques agricoles de l’Europe, si elles sont appliquées comme prévu, pourraient effectivement amener une partie de la population à la famine, pour ne rien changer. Cependant, la hausse très forte des prix alimentaires que ces politiques vont amener devrait normalement suffir à court-circuiter le pacte vert avant. (Il semble que ce soit déjà en marche d’après ce qui précède.) S’il le faut, le reste du monde pourra choisir de plus ou moins bannir les exportations vers l’Europe pendant quelques temps compte tenu de la situation dans laquelle elle s’est mise elle-même politiquement, afin d’inciter celle-ci à revenir vers une politique moins suicidaire.
    Que veulent dire ce texte et quantités d’autres aux relents d’apocalypse publiés ces dernières semaines? Mystère.

    https://www.fao.org/worldfoodsituation/csdb/en/
    https://www.gro-intelligence.com/insights/world-wheat-reserves-to-drop-to-14-year-low
    https://www.fao.org/faostat/en/#data

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