Sardou est-il de droite ? Retour sur la polémique

Sardou et sa chanson « Les Lacs du Connemara » sont-ils de droite ? Retour sur la polémique créée par Juliette Armanet.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 5
michel sardou capture youtube https://www.youtube.com/watch?v=qwkGjE9U-eM

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Sardou est-il de droite ? Retour sur la polémique

Publié le 20 août 2023
- A +

Le 13 juillet 1985, l’industrie du disque, un des business les plus rentables au monde, est passée totalement dans le camp du bien, le camp de l’anticapitalisme. Elle y est restée depuis, même si on s’est rendu compte entretemps qu’une partie plus que significative de l’argent récolté dans l’immense concert simultané du Live Aid avait été détournée par le gouvernement éthiopien pour acheter des armes à l’URSS au lieu de nourrir sa population.

Mais la légende est restée : le rock, la pop et toutes les productions de l’industrie musicale doivent, depuis les années 1980, être « de gauche », et dénoncer ouvertement les méfaits de la société de consommation et ses inégalités. Qu’importe si Bono, une des têtes d’affiche du double concert transmis en direct dans le monde entier, a tenté d’expliquer que le méchant capitalisme tant décrié n’était pas si méchant que cela, et qu’il était même la seule voie pour aider les populations en difficultés, le gauchisme, et toute sa palette folklorique de solutions miracles, reste solidement ancré comme étant le costume imposé pour tout auteur, compositeur ou interprète de musique à succès.

Dès le début, il existe une confrontation politique innée dans le rock & roll, musique noire interprétée par des Blancs issus des milieux populaires tout aussi défavorisés. Dans le creuset de l’Amérique et de l’Angleterre des années 1960 et 1970, dans la tension entre l’Est et l’Ouest, entre le capitalisme américain et le communisme russe, dans le contexte des mouvements civils aux États-Unis, cette fusion entre musique et politique a bourdonné pendant de nombreuses années, jusqu’à ce que le Live Aid vienne clore le débat.

On peut tous comprendre ce chahut, tous ces débats soulevés par cette nouvelle culture. On peut le comprendre quand on est Anglo-Saxon. Mais en France, on ne l’a clairement pas compris !

 

Retour en arrière

Et on se retrouve donc en 2023, exactement 50 ans en arrière, à rejouer une adaptation franchouillarde du mélodrame qui avait secoué le microcosme musical en 1973, quand Ronnie Van Zant, le chanteur et parolier d’une bande issue du ghetto blanc de Jacksonville en Floride chantait devant le drapeau confédéré Sweet Home Alabama, en demandant gentiment au poète canadien Neil Young d’aller se faire voir, et de s’occuper de ses affaires quand il parlait des habitants du bayou.

Aujourd’hui, c’est Juliette Armanet qui nous refait le même esclandre.

Qu’importe si la chanson de Michel Sardou supporte ouvertement les Républicains irlandais contre l’Empire britannique, ils sont catholiques, et donc dans le camp du mal. Qu’importe si les paroles de la chanson auraient très bien pu être écrites par Bono, et qu’elles ne diffèrent pas beaucoup de Sunday Bloody Sunday écrit un an plus tard, pour Juliette Armanet, les Lacs du Connemara est une chanson écoutée par des ploucs qui agitent des serviettes en picolant dans les mariages.

De la même manière que les « Southern boys » de Neil Youg habitent tous de belles demeures au milieu de plantations de coton en régnant sur un troupeau d’esclaves, les Français qui écoutent Michel Sardou sont tous pour Juliette Armanet des « scouts sectaires » qui dansent sur une musique qualifiée d’immonde, dans une chanson « où rien ne va ». Version française des rednecks d’Alabama.

 

Des années de confusion

À la décharge de la jeune chanteuse, ce n’est clairement pas de son fait si ce débat a été éludé en France. Elle vient après une bonne cinquantaine d’années de relativisme et de confusion générale organisée. Qu’est-ce que veulent bien vouloir dire droite et gauche aujourd’hui, alors que plus de la moitié de la population a voté, soit pour un candidat qui se dit à la fois de gauche et de droite, soit pour une candidate qui, elle, se dit être ni de droite ni de gauche.

Il faut dire que, étant donné la quantité de qualificatifs, d’amalgames, de réductions, de sous-entendus que l’on a pu accoler à ces deux mots : gauche et droite, c’est loin d’être étrange ! Les deux adjectifs sont tellement frappés d’anathème par le camp d’en face qu’il est bien plus sage de se placer en dehors de la mêlée. Il faut cependant admettre qu’il est plus fréquent de se faire traiter de fasciste ou de nazi que de communiste ou de trotskyste. Depuis quelques années, le fascisme est d’ailleurs attribué un peu partout, quels que soient le positionnement ou la revendication des idées ou des actes, comme si la planète s’était soudainement peuplée de nazillons.

 

La distinction historique

Cette classification a quand même un petit défaut…

Si on reprend la définition originelle (celle qui a constitué la formation de la première Assemblée constituante en 1789), sont à droite ceux qui sont favorables au veto accordé au Roy, et à gauche ceux qui y sont opposés. Selon cette définition, il serait donc constitutionnellement impossible d’être à droite en France, tout comme il serait totalement impossible d’être à gauche en Angleterre.

(Pour ceux qui auraient du mal à suivre, on parle toujours de politique et non de sens de circulation sur la voie publique).

Il serait donc fort étonnant que Michel Sardou puisse être de droite, comme le prétend Juliette Armanet, pour la simple et bonne raison qu’il faudrait bien plus qu’une chanson folklorique pour indiquer une quelconque velléité de renverser la république et à rétablir la monarchie. Il est également très douteux que la chanteuse ait voulu dire par sa sortie que rien n’allait dans le régime politique d’outre-Manche, d’autant plus que le sujet de la chanson incriminée consiste justement à dire que tout n’y va pas pour le mieux.

 

La définition commune

Revenons à des concepts plus simples.

Si vous êtes « de droite », c’est que vous ne pensez pas comme ceux qui se disent « de gauche », et vice-versa : si vous êtes « de gauche », c’est que vous ne pensez pas comme ceux qui se disent « de droite ».

Alors bien sûr, cela ne peut pas s’appliquer pour tout, c’est bien pour cela que nous avons grand besoin, nous, pauvres mortels, de spécialistes, d’experts, de politiciens qui se chargeront de trier le bon grain de l’ivraie à l’issue de combats rhétoriques endiablés où les jouteurs s’affronteront jusqu’à l’épuisement pour s’emparer des symboles qu’ils brandiront ensuite comme étendards.

Abraham Lincoln était membre du GOP, mais il a aboli l’esclavage. Napoléon Bonaparte, considéré aujourd’hui comme une icône de la droite française, a été porté à son poste parce qu’il représentait un rempart contre les monarchistes. Jules Ferry a soutenu la colonisation en Afrique. Hitler et Mussolini sont issus de partis qui se revendiquaient ouvertement socialistes. L’URSS était conçue légalement comme une fédération. Etc.

 

Verdict ?

Pour revenir à la question : Michel Sardou est-il de droite ? Ou alors, est-ce que c’est le public de Michel Sardou qui est de droite ? Ou est-ce simplement la chanson qui est de droite ?

Il doit y avoir à peu près autant de réponses à ces questions que de personnes qui ont déjà écouté la chanson, mais le résultat ne fait aucun doute : bien évidemment que Michel Sardou est plus à droite que Juliette Armanet. Il suffit de revenir aux concepts énoncés précédemment ! Juliette Armanet défend son camp, elle a l’initiative, et c’est donc tout naturellement qu’elle gagne la joute rhétorique, puisque, comme nous l’avons vu, le positionnement droite-gauche n’a de sens que le temps de l’affrontement des arguments.

Mais il ne s’agit pas ici de politique au sens matériel, juridique ou financier, mais de politique au sens des idées. Il s’agit d’une chanson : de mots, d’impressions et de sentiments, de goûts et de couleurs. On ne parle pas ici de taxes, de construction de bâtiments, d’effectifs de police ou de plan d’urbanisme : on parle de goûts musicaux, et de façon de s’amuser en groupe.

Décidément, la politique française se résume à peu de choses : quand ce n’est pas la mode vestimentaire sur les plages ou l’organisation de la table du repas de Noël, c’est sur la playlist des fêtes de famille que l’on s’étripe.

 

Voir les commentaires (14)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (14)
  • « Michel, depuis qu’t’es parti j’suis collée dans mon lit
    En vieux pyjama à bouffer des conneries
    C’est pas beau à voir
    Michel, depuis qu’t’es enfui je cherche des rimes en « L »
    Mais tout c’que ça m’fait c’est juste que ça m’rappelle
    Que je n’pense qu’à toi
    Pourquoi j’ai pas su te dire mes problèmes ?
    Pourquoi j’ai pas su te dire comme je t’aime ?
    Je n’sais pas
    Pourquoi j’fais toujours les conneries les mêmes ?
    Pourquoi j’suis en boucle avec mon système ?
    Pardonne moi »
    (Juliette Armanet)

    -3
  • La réputation du Sardou-de-droite date de 1967 et de sa chanson « si les Ricains n’étaient pas là » qui avait mobilisé tout l’antiaméricansime de la gauche

  • Avatar
    The Real Franky Bee
    20 août 2023 at 8 h 51 min

    « Pour moi tout le monde est de droite, les gens de gauche ça n’existe pas. Vous en connaissez vous des gens de gauche qui, à la chute du Mur, se soient enfuies à l’Est ? », Gaspard Proust. Sans rancune Juliette.

  • Pour exister et se mettre en valeur certains artistes (souvent pseudo d’ailleurs) feraient et diraient n’importe quoi pour se faire remarquer et faire parler d’eux. Que cette péronnelle se mêle de ce qui la regarde et reste dans son registre. Sardou a une longue carrière et ses chansons ont touché un très large public au fil des années. Le problème en france c’est que tout le monde, et principalement les gens de gauche, se mêle de tout en pensant être parole d’évangile, comme disait Coluche ils ont des idées sur tout, ils ont surtout des idées.
    Qu’ils restent à leur place dans leur microcosme et on ne s’en portera pas plus mal.

    • EXACT ! J’ajouterai que, lorsque l’on n’a pas de talent ni de notoriété, rien de tel qu’une bonne polémique pour sortir de l’anonymat ! Qu’est-ce que cela peut faire que Michel Sardou soit de droite ou de gauche, comment peut-on traiter d’immonde la musique de cette chanson, alors que c’est celle des peuples celtes. En tous cas, elle n’aura jamais la longévité de carrière ni la popularité de Sardou, ça c’est sûr !

    • Un artiste, si on lui fait apprendre son texte par coeur,
      c’est pour que le reste du temps il ferme sa gueule.

  • C’est un sujet polémique de savoir si Sardou est de droite ou pas, sérieusement ? Et s’il est de droite, qu’est ce que ça peut faire ? C’est mal ? On doit se cacher si on est de droite maintenant, c’est un crime inacceptable ?
    Cet article et toute sa pertinente argumentation ne devraient même pas exister.
    Il est de droite, et après ?
    Je suis libertarien capitaliste, et après ? Je pense ce que je veux, et je n’ai pas à m’en expliquer.
    Cet article ne devrait pas exister, parce que ni Sardou ni personne n’a à justifier ses idées devant quiconque, et encore moins devant une petite moraliste de gauche qui ne représente rien, et n’a aucune autorité intellectuelle ou légitime de juger les autres.

  • « Dès le début, il existe une confrontation politique innée dans le rock & roll, musique noire interprétée par des Blancs issus des milieux populaires tout aussi défavorisés. Dans le creuset de l’Amérique et de l’Angleterre des années 1960 et 1970, dans la tension entre l’Est et l’Ouest, entre le capitalisme américain et le communisme russe, dans le contexte des mouvements civils aux États-Unis, cette fusion entre musique et politique a bourdonné pendant de nombreuses années, jusqu’à ce que le Live Aid vienne clore le débat. »

    Dans le meme temps en France (mai 68) les étudiants manifestent non contre la guerre ou la segregation
    mais pour avoir accès aux dortoirs des filles dans les cités universitaires, ce sont nos hommes politiques d’aujourd’hui, Cherchez l’erreur

  • 2 réflexions:
    Il semblerait que Mme Armanet ait touché 154000 € de subvention publique ( à quel titre ?) . Si le capitalisme n’existait pas pour créer de la richesse, ( j’émets l’hypothèse qu’en bonne gauchiste elle est aussi anti capitaliste)comment pourrait-elle toucher cette subvention offerte par un état socialiste ?
    Et surtout dans ses propos il y a un mépris du peuple qui apprécie cette chanson, alors que la gauche se définit comme proche du peuple, comment concilier cette incohérence ?

  • J’ai regretté de ne pas avoir été à un concert de Johnny. Que l’on soit pour ou contre, ce mec était une bête de scène inégalable.
    J’ai failli me mordre aussi les doigts pour Sardou. Il avait décidé d’arrêter ses concerts. Et puis, surprise, coup de bol, en surfant, qu’est-ce que je vois ? Nouvelle tournée : en début d’année, je réserve pour Nantes, concert en novembre, très peu de places restantes. Ouf !
    Quand « l’autre » arrivera à la cheville de Sardou, elle pourra la ramener. C’est pas demain la veille.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Il y a des sujets comme l’immigration pour lesquels le politique prend le peuple à témoin en le sondant, en se justifiant, d’autres sur lesquels on décide en catimini. 

Ainsi il en va de la taxe streaming ajoutée discrètement au projet de loi de finances 2024 par un amendement unanime des groupes politiques au Sénat. Une taxe de 1,75 % sur le chiffre d’affaires des plateformes de streaming qui promettent qu’elle ne sera pas répercutée. Prix ou service, le consommateur sera bien perdant quelque part, et Spotify annonçait fin décembre qu... Poursuivre la lecture

Un article de l'IREF.

Après avoir déclaré qu’il fallait absolument un accord sur le projet de Loi immigration, et avoir tout fait pour y parvenir dans sa négociation avec les élus Les Républicains, le gouvernement se renie.

 

La mauvaise foi macroniste

Le mercredi 20 décembre au matin, Emmanuel Macron déclarait en Conseil des ministres : il y a dans ce texte « des choses que je n’aime pas, mais qui ne sont pas contre nos valeurs ». Le soir même à la télévision, il justifie le compromis et l’« assume totalement » par... Poursuivre la lecture

La question devient de plus en plus fondamentale, face aux assauts de violence vécus ces derniers mois, ces dernières années, dans notre pays et ailleurs. Des conflits géopolitiques aux émeutes des banlieues, les incompréhensions semblent aller croissant. Le sentiment domine que tous ne parlons plus le même langage, ne partageons plus les mêmes valeurs, n’avons plus les mêmes aptitudes au dialogue. Constat d’autant plus inquiétant que, comme le remarque Philippe Nemo, de plus en plus de pays non-occidentaux (Russie, Chine, Turquie, parmi d’a... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles