Les démocraties zombies : une dévitalisation de la démocratie libérale

Nos démocraties sont en train de devenir des zombies, en renonçant à leurs principes fondateurs.

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Les démocraties zombies : une dévitalisation de la démocratie libérale

Publié le 7 août 2023
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Le principal rôle de la démocratie est de favoriser la passation pacifique du pouvoir.

Telle est la raison de son succès depuis le XXe siècle qui propose une alternative apaisante à celle d’une lutte brutale au sein d’un régime agonisant. Pour autant, cette pacification de la circulation des élites cache parfois une réalité : celle de la domestication d’une échéance périodique afin de la dévitaliser de tout aléa et la transformer en rite sans enjeu, tout en faisant glisser le régime vers la post-démocratie.

 

La démocratie en voie de mutation

La démocratie, c’est-à-dire une autorité élue par tout ou partie de la population, se caractérise par la modalité de sélection des dirigeants au sortir d’une sélection organisée.

Elle repose sur l’acceptation tacite qu’une majorité des votants consacre un choix pour confier la direction d’un groupe de personnes dans les mains d’un individu ou d’une assemblée d’individus pour une durée déterminée.

Dans le monde occidental, très imprégné de pensée philosophique et théologique, le Bien commun est la voie politique à suivre pour le dirigeant ou l’assemblée oints par le vote populaire. Avec la désacralisation de la fonction exécutive au sein du monde occidental, le vote a remplacé inexorablement le souverain dynastique choisi par volonté divine (cantonné à un rôle d’observateur de la vie politique sans réelle capacité décisionnaire). La rationalisation et l’extension des systèmes d’élection ont consacré la démocratie libérale – attachée aux libertés – comme régime préférentiel pour les pays désirant « progresser » tout en étant acceptés par le gotha des grandes puissances du monde né de la Seconde Guerre mondiale.

Pour autant, cette méthode ne saurait constituer un brevet de vertu. Elle repose sur une synonymie fallacieuse entre démocratie et paix. Cette manipulation d’ordre psychosociale a une conséquence fâcheuse : elle a toujours rendu caduque la possibilité d’opérer un parallélisme des formes, à savoir une élection pouvant être assortie d’une procédure de destitution. Une destitution devrait pouvoir être favorisée dès lors que le candidat ou le groupe parlementaire trahit ses promesses électorales, ou est condamné par la justice.

Bien au contraire, le mandat se transforme comme un blanc-seing soutiré à la communauté au profit de l’élu. Ainsi comme le précisait Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) dans son Du contrat social :

« Le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde. ».

Un état de fait encouragé bien évidemment par les bénéficiaires de toute élection, peu pressés de se voir démettre de leur fonction avant le terme de leur mandat.

D’ailleurs, chaque fois qu’une cour constitutionnelle d’un pays démocratique est invitée à se prononcer sur la remise en cause d’une élection jugée frauduleuse ou de la destitution d’un personnage politique de premier plan – et encore faut-il que la Constitution prévoie pareille éventualité, puisque précisément l’infaillibilité du système électoral est putative –, celle-ci préfère invariablement le statu quo à la remise en question, en raison du risque invoqué de troubles publics en cas de dénégation. Comme si le statu quo lui même – dont le résultat logique est la prolongation de l’injustice dénoncée – ne saurait perpétuer ou accentuer les troubles publics : le raisonnement est spécieux. L’obsession de la paix sociale concourt précisément au résultat inverse.

C’est aussi faire fi de deux particularités essentielles : la mutation des régimes et l’évolution des élites. Un gouvernement élu par le peuple et pour le peuple est un idéal-type dont la réalité est très diverse en fonction du temps et de l’espace. Jusqu’au glissement vers la post-démocratie qui se caractérise comme une démocratie fonctionnant à vide, ou plus prosaïquement, jalonnée d’une succession de sessions électorales sans effet concret… sauf pour le corps dirigeant.

 

Post-démocratie et dévitalisation du vote

La post-démocratie n’est pas un régime à proprement parler, c’est une transition de la démocratie vers un autre système politique.

Vers lequel ?

Toutes les possibilités sont ouvertes, mais une réalité demeure, c’est que la force centrifuge l’éloigne de l’idéal démocratique libéral : la démocratie devient un régime zombie avec des citoyens zombies façonnés par une classe dirigeante égocentrique, affairiste et partiale.

Dans un système post-démocratique, le pouvoir en place n’a de préoccupations que ces deux seules : la première est de s’autopréserver (politiquement et physiquement), et la seconde est de décider arbitrairement des orientations futures (parfois imposées par des puissances extérieures tels qu’une organisation supranationale, un institut de notation ou un groupe de créanciers privés-publics internationaux sachant qu’une combinaison d’acteurs est tout à fait envisageable).

En attendant le basculement vers un autre régime, la post-démocratie peut perdurer fort longtemps mais sa légitimité s’étiolera inexorablement.

L’une des manifestations les plus visibles de cette évolution vers la post-démocratie est – comme déjà mentionnée – la succession de sessions électorales dont le désamour se confirme à la fois par une augmentation du taux d’abstention d’une part, et par une défiance allant jusqu’à l’atteinte à l’intégrité physique des élus d’autre part.

Dès lors, que peut-on comprendre lorsque des élus bénéficient d’un statut de protection supérieur à celui du citoyen lambda ?

Que ceux-ci ne sont plus que les fonctionnaires d’un système politique tirant leur protection, non de leur légitimité mais des moyens attribués par le pouvoir en place. L’élu devient redevable et lié au destin de ce dernier et de ce fait, toute remise en question politique du régime le menace de perdre sa protection tutélaire. Ce système est d’autant plus pervers qu’il accroît la défiance entre élus et population, en lieu et place de soigner les symptômes pour rapprocher les uns des autres.

Si en sus cet élu dépend partiellement – voire totalement – de ce pouvoir central pour ses dotations financières, l’on peut dès lors acter que l’élection est clairement un outil de gouvernance par le haut et non par le bas, contrairement au principe affiché initialement.

Dans un régime post-démocratique, cette situation crée un hiatus de plus en plus difficile à gérer : plus l’élu est protégé, plus il est illégitime puisqu’il consacre que le vote n’est plus la source réelle de la légitimité du principe démocratique, mais celle du choix étatique.

L’autre conséquence de cette manifestation d’anomie sociale est l’abstention qui, moins que faire le jeu des extrêmes, favorise durablement le pouvoir en place au bénéfice du petit jeu statistique des suffrages exprimés en lieu et place du pourcentage établi sur le nombre d’inscrits. Ainsi, un élu qui aurait remporté une élection avec 55 % des suffrages exprimés mais avec uniquement 60 % du corps électoral (donc 40 % d’absentention, et l’on peut ajouter les votes blancs et nuls), verrait son score ramené à un bien plus modeste 33 %.

Ce qui pourrait s’exprimer par la locution suivante :

« Lorsque la réalité vous est défavorable, il convient d’en modifier sa représentation. ».

Et pour ce faire, l’État est un instrument idéal entre les mains de dirigeants post-démocratiques : la surveillance, la manipulation et la répression deviennent les priorités.

 

L’État, cet outil dévoyé

L’État est un outil. Et un outil est neutre par nature.

C’est un système politique organisé visant à la protection – dans un premier temps – et à la prospérité – dans un second temps – de ses membres [aparté : les libertés découlent de la sécurité. Comme déjà analysé précédemment celles-ci ne peuvent éclore et perdurer que dans une condition de sortie de survie]. Cette neutralité naturelle oscille, tel le fléau d’une balance, entre la population et les institutions. Plus la légitimité d’un régime est contestée, plus les dirigeants de cet État tendront à mobiliser ses ressources humaines, financières, militaires et informationnelles visant à la sauvegarde des institutions aux dépens des intérêts de la population.

Dès lors, la surveillance, le contrôle puis le placement physique en détention ou l’isolation sociale des individus jugés politiquement déviants constitue la norme. Toujours sur le fondement d’une préservation des deux piliers précités – protection et prospérité – quand bien même ceux-ci ne seraient plus que de lointains souvenirs pour les administrés qui, souvent apeurés, préfèrent les bribes toujours rétrécies du statu quo plutôt que les richesses des libertés (de circuler, de s’exprimer, de posséder, d’entreprendre, de commercer, de penser etc.).

Et comme précisé au chapitre précédent, la manipulation informationnelle devient un rouage central d’un tel régime. De nombreuses expériences ont déjà démontré que la certitude pour des citoyens de vivre dans le meilleur des régimes facilitait d’autant plus le dévoiement d’icelui.

Une fois encore, il ne s’agit pas fondamentalement d’un dysfonctionnement de l’État en tant que tel, mais du dévoiement par un individu ou un groupe d’individus employant cet outil organisationnel à leur profit unique, ou partagé avec des groupes d’intérêt [aparté : la notion de profit a une acception plus large, au-delà de la seule nature pécuniaire, elle peut aussi être d’ordre idéologique par l’accomplissement d’une doctrine visant à changer radicalement le comportement d’une population]. C’est un détournement des fonctions primaires de l’État au profit d’un seul ou de plusieurs, souvent en employant la coercition, qui n’est pas que physique mais peut être morale, sociale, financière.

 

Le numérique, l’adjuvant du dirigeant post-démocratique

L’ère du numérique facilite encore plus grandement et rapidement ce glissement en raison de la simultanéité et de l’instantanéité de l’information.

Le numérique est un adjuvant pratique mais en rien un déclencheur de ce phénomène. Notons à ce propos que le pouvoir dirigeant tend selon les circonstances à censurer le numérique ou à l’imposer selon ses besoins dans un discours souvent paranoïaque et anxiogène. Le plus tragicomique est que les victimes concernées paieront aussi de leurs deniers ce turbo-liberticide, que ce soit par la souscription d’un abonnement de communication que par l’achat d’un terminal mobile.

Ceux qui refuseront la connexion numérique seront déconnectés socialement et administrativement : le numérique entre de telles mains sert bien plus à compter et à identifier ceux qui refusent d’entrer dans l’enclos qu’à assurer protection et prospérité. Une fois encore, la technologie n’est pas en cause puisqu’il est possible de remplir les missions de l’État sans tomber dans l’intrusivité excessive. Par exemple, dans le cadre d’une vérification d’identité est offerte la possibilité technique de créer un réseau de serveurs décentralisé et l’instauration d’un système de preuve à divulgation nulle de connaissance (Zero-knowledge proof). Mais sans surprise, ce sont d’office les solutions les plus intrusives qui sont privilégiées depuis plusieurs années par les responsables post-démocratiques au nom de la lutte contre… [vous pouvez compléter par le prétexte du moment].

Il suffit de comparer le peu de hâte des gouvernements post-démocratiques à communiquer les documents administratifs et les statistiques officielles (souvent protégés par des statuts juridiques d’exception) et leur empressement à installer des systèmes de surveillance et de sanction automatisés pour dissiper toute illusion sur l’appétence ciblée pour le numérique par ces systèmes. Un État post-démocratique mène une guerre contre sa propre population pour une raison évidente : son manque de légitimité.

 

Légitimité et liberté

La remise en cause de la légitimité est la grande peur des dirigeants d’un tel système, car plus l’éloignement avec la démocratie se poursuit, plus il devient compliqué pour eux de faire perdurer l’illusion, y compris à grand renfort de communication. D’où le surplus de surveillance, de contrôle et de sanction à l’égard des individus considérés comme déviants.

Quel que soit le régime, la légitimité est la condition fondamentale de sa pérennité. Expurgé de celle-ci, les dirigeants n’auront d’autre choix que de considérer leur propre peuple comme ennemi de l’intérieur s’ils entendent assurer leur propre survie et le succès de leur plan, d’où l’inévitable extrapolation de l’importance de la légalité. Le statut transitoire de la post-démocratie le rend encore plus sensible à cette vérité.

Faut-il se résigner ?

Non, si l’on en croit le plus célèbre des diplomates florentins Niccolò Machiavelli (1469-1527) en son ouvrage Le Prince qui fait de la liberté le plus puissant antidote à cette évolution :

« Dans un tel État [autrefois libre], la rébellion est sans cesse excitée par le nom de la liberté et par le souvenir des anciennes institutions, que ne peuvent jamais effacer de sa mémoire ni la longueur du temps ni les bienfaits d’un nouveau maître. Quelque précaution que l’on prenne, quelque chose que l’on fasse, si l’on ne dissout point l’État, si l’on n’en disperse les habitants, on les verra, à la première occasion, rappeler, invoquer leur liberté, leurs institutions perdues, et s’efforcer de les ressaisir. C’est ainsi qu’après plus de cent années d’esclavage Pise brisa le joug des Florentins. ».

Car si la légitimité est le caractère déterminant des sociétés pérennes, l’amour des libertés est le fluide vital qui anime les sociétés d’Hommes libres.

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  • Pas des zombies, juste des régimes totalitaires socialistes (double pléonasme).
    Le tout sous les applaudissements de la foule apathique et lobotomisée

  • Parfaitement écrit, réaliste et compréhensible par tous ceux qui…le voudront bien. Car il y a ceux qui ignorent, ceux qui taisent, ceux qui cachent et ceux qui en profitent.
    Tout cela fait qu’au moment fatidique de la bascule, faute de courage et de peur d’être taxer de divers maux, il y a ceux dont la main tremble et ceux qui n’ont de courage que l’abstention.

  • citation éclairante :
    « Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne disent rien, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera et le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit. »

    Octave Mirbeau
    La grève des électeurs, in Le Figaro, 1888

  • Je n’y comprends rien !
    La démocratie est en voie de mutation. Elle l’a toujours été ! Ce n’est pas un atome avec des propriétés clairement identifiées et immuables. Ce n’est pas la question. Celle-ci est de trouver la chaîne de causalité des changements vers le bas et vers le haut sur un temps long et un espace global. Si on prend pas de la hauteur on est borgne. Le but est de s’adapter pas de revenir en arrière par mauvaise vue.

  • Merci pour cette réflexion tout à fait pertinente.
    La disparition progressive de notre démocratie va de pair avec une centralisation excessive des pouvoirs, une confusion entretenue entre l’élection présidentielle et un plébiscite, une richesse globale qui fait des électeurs assistés des enfants gâtés qui se désintéressent de la chose publique, des électeurs rapidement naturalisés qui n’ont pas notre culture démocratique.
    Devrons-nous passer par un régime encore plus autocratique avant d’y revenir ?

    • .Le centralisme jacobin en France ne date pas d aujourd’hui, c est le seul pays européen dans cette situation
      Tous les autres appliquent la subsidiarité
      La démocratie française est bien vivante ce qui explique les différents soubresauts actuels
      Rien de plus……..

  • Dans le monde, il n’y a que deux types de pays où l’on peut publier un article très critique sur les démocraties occidentales.
    Dans les démocraties occidentales et dans les autocraties non occidentales.
    Dans les deux cas, le ressort comique est le même : il a pour nom la jalousie.
    Celle de pères Fouettard dans celles-ci. Et celle d’enfants gâtés dans celles-là.

    • Car nous ne pouvons reprocher à la démocratie de ne pas avoir de dirigeants à la hauteur de celle-ci.
      Et nous devons croire à leur venue.

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