Par Louis Chiquet.
Les nouveaux modèles organisationnels d’entreprises ont bon dos.
Vous avez aimé le « greenwashing » ? Vous allez aimer le « teal washing ». Derrière cette boutade et cet anglicisme, se cache une dérive trop souvent observée.
Avec l’émergence du modèle de l’organisation horizontale (entreprise libérée, teal ou holacratie), certains ont vu une opportunité de communication et de marketing de leur marque plutôt qu’une réelle opportunité de changement. D’autres vont même un cran plus loin : l’organisation horizontale devient le prétexte à un plan social qui ne dit pas son nom. Comme cette grande entreprise américaine basée en région parisienne qui annonce à ses équipes vouloir rompre avec son modèle d’organisation et opter pour l’holacratie. Et les syndicats de découvrir le pot aux roses : l’holacratie n’est en réalité qu’un trompe-l’œil, un nom de code qui cache les véritables intentions de la direction américaine : supprimer des postes.
Et l’exemple est loin d’être unique.
Récemment, c’est Meta – la maison-mère de Facebook – qui annonce une initiative semblable dans le cadre d’un plan qui fait de 2023 l’année de l’efficacité. Et efficacité doit rimer avec organisation horizontale. Drôle de parti pris puisqu’il n’existe aucun lien démontré entre les deux. A fortiori dans une organisation comme celle de Meta qui se targue d’être horizontale mais conserve parallèlement un fonctionnement hiérarchique. Une situation qui conduit certains à s’interroger sur les vraies motivations de ce plan, surtout quand l’on sait que Meta supprime 21 000 emplois sur deux ans. Vision et ambitions sincères ou volonté de réduire la taille des équipes, notamment en se séparant d’une partie conséquente du middle management ?
Une chose est certaine. Le flou est total sur les véritables intentions. Derrière un discours séduisant et qui semble cohérent, quel est le vrai projet au-delà de l’annonce d’une organisation horizontale ?
Effet Panurge ?
On le voit, de plus en plus d’organisations soucieuses de leur image publique se sentent obligées de faire quelque chose de « teal » (Frédéric Laloux) ou dans la mouvance de l’entreprise libérée (Isaac Getz). Une tendance qui serait intéressante voire encourageante si elle n’était pas si souvent dépourvue de toute dimension business, de tout prise en compte de l’intérêt et de la place des collaborateurs. Ici, le changement d’organisation est guidé d’abord par l’envie d’être de son époque et de faire comme tout le monde, plutôt que par un besoin ou des enjeux identifiés pour faire progresser l’entreprise.
Au point même que certains décident de changer leur organisation alors que celle en place donne toute satisfaction. Un comble. Indéniablement, ces initiatives font long feu. Fondées sur des enjeux et des concepts flous voire fumeux, abstraits, leur abandon est perçu comme un soulagement par des collaborateurs qui se sentent immanquablement perdus.
S’interroger sur la raison d’être tripale de l’organisation
Il convient donc que certaines entreprises abandonnent cette attitude à la fois naïve et parfois ambivalente vis-à-vis d’une organisation horizontale. Une organisation qui n’a rien d’utopique mais implique d’être le fruit d’une réflexion profonde, d’une identification lucide des enjeux qui sont ceux de l’entreprise.
En réalité, vouloir réinventer son organisation en abandonnant le modèle hiérarchique et vertical pour un modèle horizontal, implique, au préalable, d’avoir mis à jour la raison d’être tripale de l’entreprise. Pourquoi s’engager dans un projet qui va coûter de l’argent, demander beaucoup d’énergie et consommer de la bande-passante ? Pour quelle finalité ? Faire cet effort, c’est en finir avec le verbiage et l’affichage, pour se concentrer sur ce qui est noble – et complexe – dans la volonté de changer son organisation, et qui n’est pas forcément de déployer une organisation horizontale dans son entreprise, surtout quand l’on sait que tous les collaborateurs ne veulent pas se self-manager.
Rien de miraculeux ici, mais la volonté de permettre à chacun de trouver des leviers pour améliorer son travail et, finalement, celui de l’organisation tout entière. En s’appuyant sur un certain nombre d’outils bien sûr, mais, surtout, en s’interrogeant sur la raison d’être et la création de valeurs par chacun.
On le voit, sur le sujet de l’organisation de l’entreprise, il est grand temps de remettre l’église au milieu du village. En commençant par une question basique : pourquoi y a-t-il une organisation ? Tout simplement pour pouvoir travailler ensemble de manière fluide. Ainsi, certaines entreprises avec un management à la papa demeurent plus humaines que d’autres qui ont sombré dans le consensus à tout-va… Rien d’obligatoire à devoir se transformer, mais l’opportunité est là, offerte à tous, et elle n’est pertinente qu’en fonction des besoins business et humains de l’organisation.
Ah, j’avais oublié l’aversion de ce site envers le parler rabelaisien.
La raison d’être tripale d’une éolienne, c’est de mieux brasser le vent. Pour une entreprise, ça doit être pareil…
Pour mieux définir « tripale », je vous propose une citation de Rabelais : Celluy, disoit-il [Grandgousier, à propos de Gargamelle qui mangeait des tripes], a grande envie de mascher m.rde, qui d’icelle le sac mange.
En réalité, les organisations dites horizontales sont encore plus centralisées que les autres. La petite autonomie des anciennes hiérarchies intermédiaires disparaissant n’est pas rendue à l’ensemble du personnel mais au contraire remontée au plus haut niveau de direction. Le travailleur d’une entreprise à organisation horizontale est encore plus un pion qu’autrefois.
Les commentaires sont fermés.