Revue de texte : « L’Économie politique » n° 98 – Penser l’économie au-delà de la croissance

Le n°98 de la revue Économie politique porte sur « Penser l’économie au-delà de la croissance ». Philippe Aurain souligne la nécessité de repenser notre approche de la croissance économique à la lumière de la transition énergétique et écologique.

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Revue de texte : « L’Économie politique » n° 98 – Penser l’économie au-delà de la croissance

Publié le 15 juillet 2023
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Le trimestriel L’Économie politique nous propose, dans sa dernière livraison, un état des lieux de la réflexion sur l’économie au-delà de la croissance.

Le thème est d’actualité, alors que les déjà anciens (automne 2021) scénarios 2050 de RTE mettaient en évidence la nécessaire réduction de la production d’énergie et le recours à la sobriété, et que le très récent rapport France Stratégie (Pisani-Ferri / Selma Mafhouz) sur « les incidences économiques de l’action pour le climat » reste globalement agnostique sur l’impact en croissance de la transition énergétique.

Le livret part du constat que la façon de poser la question de la croissance en relation avec la transition énergétique et écologique a peu évolué depuis le rapport Meadows (1972) et sépare le monde en deux parties :

  1. Ceux qui appellent à ajuster la croissance à des ressources planétaires finies, en référence au rapport lui-même.
  2. Ceux qui pensent que la technologie permet de s’affranchir d’une partie des contraintes naturelles (découplage).

 

La revue propose de réfléchir au problème en termes de « hiérarchie des objectifs ».

Philippe Lambert, député européen écologiste, souligne qu’au niveau décisionnel politique, les arbitrages favorisent aujourd’hui quasi-systématiquement la croissance au détriment des objectifs environnementaux ou sociaux.

Il propose d’évoluer en utilisant dans la prise de décision des modèles intégrant des objectifs sociaux à côté des objectifs de croissance (du type Eurogreen de l’Université de Pise). Plus généralement, certains économistes développent des modèles post-croissance comme réponse aux partisans de la croissance verte. Ces derniers privilégient en effet le maintien d’une dynamique de croissance qui chercherait néanmoins à réduire ses impacts sur l’environnement, c’est-à-dire découplant la croissance des aspects climatiques. De leur côté, les tenants de la post-croissance prônent une trajectoire décroissante vers un niveau d’activité respectant les limites planétaires et satisfaisant les besoins sociaux.

La post-croissance se pense en trois phases :

  1. Une première qui reste marquée par la croissance en raison d’un besoin d’investissements de transition.
  2. Une deuxième réduisant la croissance en cohérence avec la mise en place de nouveaux modes de vie plus sobres.
  3. La troisième, stationnaire ou état de « post-croissance », est un régime d’équilibre où les flux demeurent constants.

 

L’objectif de la post-croissance est un retournement de hiérarchie réorganisant l’économie en fonction des objectifs environnementaux.

Cette réflexion s’appuie notamment sur des modèles « Stock-flux cohérents » (SFC) intégrant les sphères réelle et financière et bouclant au niveau global. En état stationnaire, l’investissement net est nul (stock de capital constant), la propension à consommer augmente (pour annuler l’épargne faute d’investissement net), l’emploi se réduit (baisse de la production) sauf réorganisation (réduction du temps de travail). La dette qui a augmenté en période de décroissance se stabilise ensuite (équilibrage budgétaire par hausse des impôts).

En modèle LowGrow (Jackson et Victor), le taux de profit baisse (une part croissante des investissements sont moins ou pas rentables) mais reste positif et n’élimine pas la possibilité d’un système capitaliste. De son côté, Mathilde Viennot explique très lucidement la nécessité de réinventer un mode d’équilibrage financier des systèmes sociaux dans le cadre post-croissance, le financement actuel étant incomptable avec les nouveaux besoins et la réduction des recettes.

Enfin, le dossier évoque la nécessaire extension des mesures de bien-être au-delà du PIB et la prise en compte de la dimension Nord-Sud, c’est-à-dire la question de l’intégration des pays en voie de développement dans la transition.

Qu’en penser ? D’abord que le dossier est passionnant et bien construit. On apprend et on réfléchit. Cela permet-il de conclure ? Bien sûr que non, et nous rejoindrons les éditeurs et contributeurs dans la modestie de le reconnaître.

Cela n’empêche pas de partager quelques remarques.

Premier débat croissance verte vs post-croissance : le rapport France Stratégie le rappelle utilement, il y a trop d’inconnues au problème pour savoir si nous avons besoin de décroître ou pas pour réaliser la transition énergétique et sociologique. De ce point de vue, on pourrait entendre l’argument de privilégier l’objectif de la réduction de l’impact environnemental (en en faisant l’objectif principal pour des raison de gestion de risque) en se contentant de constater les résultats sur la croissance.

Mais cela pose une difficulté majeure : celle de l’arbitrage.

À l’extrême, donner la priorité absolue à l’objectif climatique autoriserait en principe à fermer l’économie, mais cela aurait un coût social infini.

À l’inverse, prioriser totalement la croissance nous condamne à l’enfer climatique. Il faut donc un arbitrage coût/bénéfice. On ne peut hiérarchiser catégoriquement a priori (ce que ne font pas systématiquement les auteurs) mais il faut choisir dans un faisceau de possibilités, sans hiérarchie a priori, en fonction des préférences de la collectivité nationale pour le niveau de renoncement de richesse (et parallèlement le niveau de risque) considéré comme acceptable.

Deuxième remarque : les changements nécessaires à la post-croissance ne sont possibles que si le monde entier les met en œuvre en raison de la perte de compétitivité induite.

Troisième remarque : moins de production implique moins de revenus et moins de prestations sociales. Mme Viennot reconnait le problème de bonne foi mais ne le résout pas. La hausse des impôts des plus riches ne peut avoir qu’un bénéfice temporaire puisque l’absence de création de richesse en régime stationnaire mène à l’épuisement de l’assiette fiscale par réduction des inégalités de patrimoine, voire de revenus pour les auteurs visant une réduction des inégalités de salaires. Un niveau inférieur de production implique donc à terme de moindres prestations sociales alors que l’extension du bien-être depuis deux siècles est assimilée aux progrès de la santé, eux-mêmes très corrélés aux dépenses de santé. Si l’on ajoute le vieillissement démographique, le besoin de ressources parait considérable et son traitement n’est pas élucidé.

Au total un livret passionnant et bien réalisé, qui aurait mérité (comme souvent pour les livrets thématiques) la mise en place d’un peu de débats contradictoires.

 

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  • On est en plein délire constructiviste…

  • Je ne savais pas que la France était pro croissance. Sur les 20 dernières années, il n’y a pas eu de croissance du PIB/habitant en euros constant. Qu’est ce que ce serait si la France n’était pas « pro croissance »…

  • Post-machin. Toujours se méfier des gens qui pensent que l’histoire est finie, le sort en est jeté, la messe est dite !
    « Quand tu auras désappris à espérer, je t’apprendrai à vouloir » (Seneque)

  • Au 18ème siècle, on s’éclairait à l’huile de baleine. Faut imaginer les fadaises qu’aurait pu sortir l’équivalent du Club de Rome/Rapport Meadows à cette époque. Et quand on aura tué toutes les baleines ?! Et patati et patata…
    Ce qui prouve au passage que les ressources planétaires sont quasi-infinies. Pas convaincu ?… E=mc2… Calculez l’énergie contenue dans 1 kg de cailloux.
    Et prouve aussi qu’il ne faut pas confier les clés du camion aux écolos. Ils sont capables de créer une ZFE rien que pour l’empêcher de rouler.

  • Tempête dans un verre d’eau universitaire…français

  • Les commentaires sont fermés.

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