Par Philbert Carbon.
Un article de l’Iref France
L’une des conséquences du brexit est que les entreprises du secteur bancaire britannique ne détiennent plus le « passeport financier » qui leur permettait d’offrir leurs services partout dans l’Union européenne (UE). Si elles veulent continuer d’y opérer, elles doivent s’y installer. Amsterdam, Dublin, Francfort, Luxembourg et Paris se disputent l’implantation des établissements et de leur personnel. Paris semble être la plus attractive. Comment a-t-elle fait ?
Ces dernières semaines, la presse française s’est fait l’écho des banquiers londoniens qui se sont établis à Paris.
Selon Les Échos, « la capitale française attire plus que d’autres grandes métropoles financières comme Francfort et Dublin ».
Le quotidien relaye les chiffres d’une étude réalisée par EY l’an dernier qui attribuait 2800 transferts de la City vers Paris, contre 1800 à Francfort et 1200 à Dublin. L’agence de promotion de la région Île-de-France (Choose Paris Region) fait, quant à elle, état de la création de 3500 postes de banquiers depuis le brexit, et même de 5500 emplois au total dans le secteur de la finance. Parmi les banques qui apprécient Paris, beaucoup d’américaines : JPMorgan (900 salariés), Bank of America (650), Goldman Sachs (400), Citi (400), Morgan Stanley (330). Cette dernière devrait porter ses effectifs à 500 personnes d’ici deux ans.
De son côté, Le Figaro met en avant la hausse des prix de l’immobilier dans l’ouest de l’Île-de-France. Les banquiers et traders venus de Londres ont le portefeuille bien garni – l’Autorité bancaire européenne estime que ceux qui gagnent plus d’un million d’euros par an ont doublé entre 2015 et 2021 (passant de 178 à 371).
On ne peut que se réjouir de l’arrivée de ces emplois en France. Elle n’est pas seulement le fait de la taille de l’agglomération parisienne et de ses commodités. Elle a, en réalité, été clairement voulue par Emmanuel Macron dès 2016.
Des mesures générales qui ont attiré les banques
Peut-être parce qu’il a lui-même été banquier d’affaires chez Rothschild, Emmanuel Macron a déclaré, en février 2016, qu’il « déroulerait le tapis rouge » aux banquiers britanniques si le brexit était adopté. Son programme électoral de 2017 contenait la plupart des mesures qui seront mises en œuvre après son élection.
La mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30 % (flat tax) et la transformation de l’ISF en IFI (impôt sur la fortune immobilière) ont sans doute montré que le climat avait changé en France. À cela s’est ajoutée la suppression de la quatrième tranche de la taxe sur les salaires qui était de 20 % pour les rémunérations supérieures à 153 000 euros par an. Rappelons que cette taxe est due par les employeurs non soumis à la TVA (comme les établissements bancaires, financiers et d’assurances). Elle s’applique sur le montant brut annuel de l’ensemble des rémunérations et avantages en nature versés par l’employeur. Il ne reste donc aujourd’hui que trois taux, le dernier à 13,60 % pour les rémunérations supérieures à 17 144 euros.
Enfin, la réduction de l’impôt sur les sociétés (IS) – de 33,3 % en 2017, il est passé à 28 % en 2020, à 26,5 % en 2021, et à 25 % en 2022 – a sans doute contribué à convaincre les banquiers les plus réticents.
D’autres mesures ont pesé dans la balance :
- la dispense d’affiliation à l’assurance vieillesse obligatoire de base et complémentaire et, par conséquent, l’exonération du prélèvement des cotisations, pour les étrangers exerçant temporairement une activité professionnelle en France ;
- l’ordonnance de septembre 2017 créant un barème de dommages et intérêts que les conseils des prud’hommes devront appliquer en cas de licenciement injustifié, est aussi mise en avant.
Le gouvernement a ensuite, avec la région Île-de-France, mis au point un plan d’actions pour développer l’offre scolaire internationale. Il consistait principalement à offrir un accueil personnalisé aux familles étrangères s’installant en région parisienne, mais aussi à augmenter le nombre de places disponibles dans les parcours internationaux de la maternelle au lycée. Il était également question de construire de nouveaux lycées internationaux à Courbevoie, Saclay et Vincennes. Ce dernier, qui devait être prêt en 2022, n’ouvrira qu’à la rentrée 2023.
Des mesures spécifiques au secteur financier
À côté de ces dispositions générales qui bénéficient à un grand nombre d’entreprises et de particuliers, le gouvernement en a pris d’autres, centrées sur le seul secteur de la finance.
Sans entrer dans les détails, nous pouvons citer :
- l’exonération de la taxe sur les transactions financières pour les transactions infra-quotidiennes (infraday) ;
- l’exclusion du bonus des salariés « preneurs de risque » du secteur financier (c’est-à -dire les traders) du calcul de l’indemnité de licenciement ;
- l’élimination de surtranspositions de textes européens concernant le secteur financier ;
- la création de chambres internationales au sein du tribunal de commerce et de la Cour d’appel de Paris, où les parties peuvent s’exprimer en anglais et où les juges maîtrisent la common law britannique ;
- la création d’un contrat-cadre pour les marchés de dérivés.
Il convient enfin de noter que le gouvernement a usé de toute sa force de persuasion pour que l’Agence bancaire européenne (EBA) s’installe à La Défense après avoir quitté Londres. Elle a rejoint l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), implantée à Paris depuis 2010. Paris s’est, par ailleurs, portée candidate pour accueillir la future autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (AMLA) qui doit voir le jour en 2024.
Pourquoi se limiter à la finance ?
Il est heureux que toutes ces mesures visant à rendre la place de Paris plus attractive pour les entreprises du secteur financier aient porté leurs fruits, même si la capitale française n’est pas encore à la hauteur de la britannique dont le rôle reste central.
Il est néanmoins permis de s’interroger sur cette « discrimination ».
Pourquoi l’élimination de la surtranspositions des textes européens ne concernerait-elle que la finance ? Pourquoi l’industrie et l’agriculture ne pourraient-elles pas en bénéficier ? Emmanuel Macron a réclamé dernièrement une pause européenne en matière de normes environnementales. Et si la pause concernait tous les domaines et tous les secteurs, et commençait par la France ?
Et qu’attend le gouvernement pour continuer à baisser les impôts et les taxes au lieu d’en créer de nouvelles comme la taxe sur les exploitants de plateformes de mise en relation par voie électronique dans le but de fournir certaines prestations de transport (dite « taxe sur les plateformes web »). Récemment, Bruno Le Maire n’a-t-il pas envisagé une taxation des grandes entreprises de l’agroalimentaire ?
La réduction des impôts, des taxes et des réglementations est, de loin, préférable au subventionnement généralisé (des projets cinématographiques et audiovisuels au secteur du tourisme, en passant par les usines de batteries et celle de puces électroniques). Mais elle doit concerner toutes les entreprises et tous les individus.
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