Les jeunes se moquent-ils de l’orthographe ?

L’impact des nouvelles technologies sur les pratiques d’écriture et l’orthographe : entre langage informel et normes sociales.

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Les jeunes se moquent-ils de l’orthographe ?

Publié le 18 juin 2023
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Par Hélène Le Levier.

 

Avec l’avènement d’internet et des smartphones, la communication écrite s’est enrichie de tournures informelles. Écrire à quelqu’un, ce n’est plus nécessairement adopter les codes de la lettre. Ce qu’on appelle souvent le « langage SMS » connait un succès certain, même si son emploi est loin d’être généralisé, même dans les écritures numériques.

On associe souvent ces usages alternatifs aux pratiques d’écriture des jeunes, même s’ils ne sont réservés à aucune génération. Parallèlement, le recul du niveau en orthographe des élèves scolarisés en France depuis quelques dizaines d’années est bien documenté. Il serait alors tentant de faire un lien entre les deux : les jeunes générations n’auraient-elles pas conscience de l’utilité sociale de l’orthographe ? Des pratiques d’écriture moins normées, liées aux usages numériques, influenceraient-elles leur rapport à l’écrit ?

Une enquête menée, dans le cadre d’une thèse, auprès de 178 étudiants préparant un BTS (brevet de technicien supérieur) tertiaire en 2017 permet d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions. Il s’agit d’un échantillon limité mais qui présente l’intérêt d’être varié en termes d’origine scolaire puisqu’il regroupe des bacheliers généraux, technologiques et professionnels.

Par ailleurs, il s’agit d’étudiants s’apprêtant à exercer un métier où l’écrit joue un rôle important puisqu’ils se forment pour devenir assistants de direction, travailler dans le tourisme ou le support informatique aux organisations. Il était donc particulièrement intéressant de recueillir leurs représentations concernant le rôle social de l’orthographe.

 

Donner une bonne image de soi

Les étudiants enquêtés ont été interrogés sur l’importance accordée à l’orthographe en contextes scolaire, professionnel et privé. L’importance scolaire de l’orthographe est reconnue puisque 46 % d’entre eux la considèrent nécessaire et 47 % importante pour réussir aux examens. Mais l’importance professionnelle d’une bonne maitrise de l’orthographe semble encore plus marquée à leurs yeux, puisque 57 % la déclarent nécessaire, et 38 % importante pour réussir dans la vie professionnelle.

Certains enquêtés se trouvaient d’ailleurs exposés dans leur formation à des cours d’orthographe répondant à ce besoin professionnel. Si certains en contestent les modalités, parfois perçues comme infantilisantes, aucun n’en remet en question l’utilité.

Les entretiens montrent que cette importance accordée à l’orthographe en contexte professionnel est liée à l’idée que l’orthographe influe sur l’image que le lecteur se fait de l’auteur du message. Un étudiant utilise une métaphore assez parlante à cet égard : « avoir une bonne orthographe, c’est comme être bien habillé dans la vraie vie ». Il s’agirait donc, dans les situations de communication médiées par l’écrit, de respecter la norme qui permettra d’être perçu comme un professionnel sérieux.

Les types d’écrits évoqués par ces étudiants en voie de professionnalisation sont parfois des écrits professionnels (lettres, rapports, etc.), mais surtout les écrits associés aux processus de recrutement qui les concernent au premier chef : le CV et la lettre de motivation. Leur regard sur l’orthographe au sein de ce processus se révèle d’ailleurs particulièrement pertinent puisqu’il a été montré que les erreurs orthographiques influent très négativement sur la façon dont les recruteurs jugent ces documents.

 

S’adapter au contexte de communication

En contextes professionnel et scolaire, les enquêtés ont donc parfaitement conscience du rôle social de l’orthographe et ils sont extrêmement peu nombreux à le remettre en cause.

Mais qu’en est-il dans le domaine privé ? Et en particulier dans les pratiques d’écritures numériques, telles que les réseaux sociaux ou les SMS ?

L’attachement à une orthographe normée s’illustre aussi dans cette partie de l’enquête. Ils sont environ 40 % à déclarer faire toujours attention à l’orthographe dans les SMS, quel que soit le contexte. Ils sont moins de 10 % à déclarer n’y faire attention que rarement, ou jamais. Les 50 % restant ont répondu y faire parfois attention.

Les entretiens ont permis de montrer qu’il s’agit majoritairement d’une adaptation au destinataire des modalités de la communication. Les échanges avec des personnes peu familières, des adultes et, a fortiori, des enseignants ou des professionnels se font ainsi le plus souvent dans une orthographe normée. Ces étudiants démontrent ainsi qu’ils sont conscients de la nécessité d’adapter la communication au destinataire.

Il est par ailleurs notable que ceux qui déclarent avoir recours à des procédés alternatifs tels que l’abréviation ne l’assimilent absolument pas à une négligence orthographique. Certains déclarent au contraire rester attentifs aux accords même s’ils s’autorisent des formes abrégées. Il s’agit d’adapter le code utilisé aux contraintes matérielles d’une communication qui se doit d’être rapide.

Plus globalement, les choix orthographiques apparaissent liés au réseau social, au sens large, dans lequel s’inscrit la communication. Comme on pouvait s’y attendre, certains disent être plus détendus avec leurs amis parce qu’ils savent que ceux-ci accordent peu d’importance à l’orthographe. Mais la situation inverse existe aussi, et une étudiante dit même avoir progressé en orthographe au collège grâce aux échanges par SMS avec sa meilleure amie qui avait une excellente orthographe et dont l’influence lui a ainsi permis de progresser.

 

Les défis d’un système orthographique très complexe

Il en va de même des échanges en ligne qui peuvent prendre des formes diverses, dont certaines sont favorables au développement des compétences orthographiques. Dans notre corpus, c’est particulièrement vrai des quelques étudiants qui déclarent participer à des forums Role play game.

Cette pratique du jeu de rôle en ligne implique en effet de faire exister des personnages textuellement. Elle s’appuie donc sur une pratique d’écriture, et de lecture, qui souffre d’une orthographe non normée. Tous les étudiants concernés témoignent ainsi de la pression mise par les coordinateurs de ces forums sur les participants pour qu’ils se conforment à la norme orthographique.

À l’échelle de notre corpus, les pratiques d’écriture numériques n’apparaissent donc pas comme un obstacle au développement des compétences orthographiques. Le respect de la norme ne dépend pas du support mais du contexte social et, conformément à ce qu’on sait du rapport des francophones à l’orthographe, celui-ci est souvent favorable à une orthographe normée.

Le paradoxe demeure cependant que notre enquête a aussi confirmé ce par quoi nous ouvrions notre article, c’est-à-dire la difficulté de ces étudiants scolarisés en France à produire des textes dénués d’erreurs orthographiques, notamment en ce qui concerne l’orthographe grammaticale.

Si celle-ci ne procède pas d’un désintérêt pour l’orthographe, s’ils ont une conscience aiguë du rôle que l’orthographe pourrait avoir dans leur vie professionnelle, d’où vient cette difficulté ? Nos résultats incitent à penser qu’il ne s’agit pas de négligence, mais de difficultés à mettre en œuvre le système orthographique du français, reconnu comme extrêmement complexe. On peut légitimement s’interroger sur les conséquences pratiques de ce décalage entre conscience forte d’une demande sociale et difficulté effective à y répondre.

 

Hélène Le Levier, Maitresse de conférences en sciences du langage à l’INSPÉ de Strasbourg, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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  • L’orthographe se décompose en 2 domaines :
    1- l’orthographe des mots : Celui-ci obéit à l’origine du mot (latin et grec principalement mais pas seulement) et son évolution. Ainsi, on peut dire qu’elle est normée et rigoureuse contrairement à ce qu’on pourrait penser. Par exemple, s’il y a un accent circonflexe sur Hôpital, c’est pour marquer la suppression du s de Hospital (hospitaliser n’a pas d’accent).
    2- l’orthographe grammaticale est plus simple. Elle suit des règles limitées et bien définies de type mathématique binaire. Elle ne devrait poser aucun problème si les élèves les apprenaient.
    Mais voilà, au nom de l’égalité de l’éducation nationale, la priorité est donnée au cancre. Car comme le dit cet article, la maîtrise de l’orthographe est un marqueur social qui caractérise individu qui lit et à travaillé à l’école.

  • Bien que je sois plutôt d’accord avec le propos (les jeunes ne se fichent pas totalement de l’orthographe), il y a une erreur fondamentale dans les raisons de cette préoccupation. L’orthographe et la grammaire ne sont pas juste une question d’habillage, ou de signe de reconnaissance dans le milieu professionnel. Réduire la maîtrise des règles du français à cette question d’apparence sociale est une lourde erreur.
    Apprendre à maîtriser l’orthographe, la grammaire, les conjugaisons, les participe passés source de nombreuses fautes d’accord, ce n’est pas apprendre des normes sociales. C’est apprendre une langue, et à travers cela, apprendre à maîtriser son expression orale autant qu’écrite, apprendre à articuler un discours, un raisonnement, apprendre une langue contribue tout bonnement à apprendre à penser. Vous remarquerez qu’une langue non maîtrisée, bourrée de fautes d’accord et d’orthographe s’accompagne souvent d’un vocabulaire et d’une pensée pauvres.
    Honnêtement, quand on lit « la véritée » ou « la qualitée », dans des textes, voire même des enseignes de magasin, on peut s’interroger sur les capacités de raisonnement d’un jeune qui confond verbe et nom commun.
    L’influence négative que cela aura sur les recruteurs n’est pas donc pas une simple question d’habillage, vu la façon dont sont attifés les jeunes au bureau, on se fiche complètement de cet aspect, mais avant tout parce que c’est signe d’une faible culture générale, et donc potentiellement de moindres capacités à s’adapter dans un milieu professionnel requérant un bon niveau d’instruction.

  • Pour résumer l’article. Les jeunes sont bien conscients de l’importance de l’orthographe, qu’il faut la travailler et que cela améliorera leurs chances dans un contexte professionnel. Ainsi ils sont volontaires pour s’améliorer. Cependant, ils restent quand même mauvais.
    Je ne vois que deux possibilités
    1) Les jeunes sont des attardés.
    2) L’éducation nationale est nulle dans ce domaine.
    Je ne suis pas assez aigri pour croire en 1), mais je crois sans hésiter 2).

    • Oui, c’est la faute de l’EN, mais pendant des siècles la difficulté d’apprendre le français n’a pas naufragé les apprentissages. La France subit cette tragédie depuis quarante ans (J.de Romilly écrit « L’Enseignement en détresse en 1983 ) Les pédagauchistes ont investi la Rue de Grenelle après la Libération et supprimé la méthode syllabique (cf. réforme Legrand) par militantisme idéologique : égalitarisme et anti-élitisme. Ils ont rendu infirmes à vie ces élèves pudiquement appelés dysorthographiques ou, plus indécent et impudent encore, dyslexiques… Ils enrichissent les orthophonistes, complices de l’entourloupe que cette étude passe sous silence. Elle enfonce des portes ouvertes, le soleil chauffe et la pluie mouille
      Le français est trop compliqué à apprendre pour nos chérubins… décervelés. Ben voyons.

      « La Défaite de la pensée » d’A. Finkielkraut parut en 1983. « Apprendre une langue contribue tout bonnement à apprendre à penser. » écrit le commentaire précédent. Ceci explique cela.

  • On interroge les jeunes pour savoir s’ils pensent que leur orthographe importe, mais les interroge-t-on sur la manière dont ils perçoivent les fautes d’orthographe des autres ? A moins qu’ils ne lisent pas, ou ne s’aperçoivent pas des fautes…

    -1
  • « Le système orthographique du français reconnu comme extrêmement complexe » : qu’en pensent nos anciens ? Pourquoi être bon en français serait devenu difficile depuis les années 80 environ ? La langue s’est-elle compliquée ? Ou avons-nous délibérément modifié le système d’apprentissage (méthode globale) en le doublant d’une baisse du nombre d’heures passées à l’apprendre ?
    La langue française obéit à des règles, il suffit de connaître les règles et de les appliquer. C’est on ne peut plus simple.
    Une « meilleure amie avec une excellente orthographe » est une élève qui a appris les règles et s’est évertuée à les appliquer. C’est sûr que si l’école elle-même ne diffuse plus cette base et se refuse à maintenir un certain niveau d’exigence…
    NB : le niveau en français n’a rien à voir avec l’origine sociale, des élèves issus de mêmes quartiers défavorisés seront très bons ou médiocres en fonction de l’importance que leurs propres parents attachent à l’instruction.
    NB2 : commentaires valables évidemment en dehors de tout « dys »

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