Retraites : clap de fin d’un échec annoncé ?

L’irrecevabilité des amendements du groupe Liot clôt certainement le débat sur la réforme des retraites. Pour Baptiste Gauthey, cette séquence politique dit beaucoup du mal démocratique français.

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Retraites : clap de fin d’un échec annoncé ?

Publié le 8 juin 2023
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L’affaire semblait réglée d’avance. C’est maintenant une certitude.

Le mercredi 7 juin, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, a déclaré que les amendements du groupe Liot, visant à rétablir l’âge de départ à la retraite à 62 ans, étaient irrecevables. Elle s’appuie sur l’article 40 de la Constitution, qui impose aux députés de ne pas déposer de proposition de loi ou d’amendement risquant de dégrader les comptes publics.

 

La séquence « retraites » enfin refermée ?

Cet épisode marque peut-être la fin d’une longue séquence politique dont on peine à voir s’il y a des gagnants. Entendons-nous : notre système de retraite par répartition est à l’agonie, et le poids croissant du financement des retraites sur des actifs asphyxiés par une fiscalité galopante a raison d’inquiéter.

Bien que nécessaire, cette réforme paramétrique ne fait que repousser le problème sans s’attaquer à ses racines. Contrairement aux discours dominant dans le débat public, le gouvernement et la majorité ne portent pas seuls la responsabilité de cet échec.

Nous pouvons reprocher à Emmanuel Macron et Élizabeth Borne de ne pas avoir eu le courage de changer radicalement notre système en proposant plutôt l’intégration d’une part de capitalisation. Cette mesure de bon sens (en tout cas, pour le camp libéral) était-elle seulement politiquement faisable ?

Il est permis d’en douter, vu le degré de rejet d’une simple réformette. Une retraite par capitalisation, avec toute la connotation négative que porte le terme, la passion égalitaire et l’aversion pour la notion de responsabilité individuelle des Français, aurait certainement suscité un soulèvement plus important encore.

 

Le paradoxe français : une solidarité égoïste ?

L’irresponsabilité des citoyens et, corollairement, de leurs élus, est tout aussi responsable que le gouvernement du fiasco démocratique que nous traversons.

Alexis de Tocqueville a bien montré, dans son célèbre De la démocratie en Amérique, qu’une démocratie ne peut fonctionner correctement que lorsque ses citoyens s’impliquent avec responsabilité dans les affaires publiques. Cette vertu civique semble être ce qui nous fait cruellement défaut, et le triste spectacle parlementaire qui nous est offert apparait ici comme un symptôme.

Nous sommes bien au cœur du « paradoxe » français : ce peuple, si épris de solidarité et ne manquant jamais une occasion de faire appel à « l’intérêt général » en condamnant l’individualisme, est en fait majoritairement composé de citoyens ayant perdu tout sens du collectif, recroquevillés sur leurs intérêts propres (tout le monde s’efforçant de vivre aux dépens de tout le monde…).

Benjamin Constant, autre grand analyste des démocraties modernes, mettait déjà en garde contre l’affaissement de l’engagement civique menant inévitablement à un abandon de la moralité au profit d’un individualisme extrême. C’était toute la force du message de De la liberté des anciens comparée à celle des modernes, discours dans lequel il appelait à un équilibre entre les deux types de libertés pour que l’une ne prenne pas le pas sur l’autre.

La France de 2023 connaît les excès des deux conceptions de cette liberté, sans récolter aucun de ses aspects bénéfiques. Le pays est fortement centralisé, l’importance du pouvoir politique et des normes a pour conséquence une tyrannie de la majorité bien réelle, sans pour autant que ses citoyens ne soient pas touchés d’une certaine forme d’apathie civique, chaque individu ou corporation défendant ses intérêts propres en prétextant de le faire au nom du collectif.

 

Des institutions malades

Enfin, nos institutions, qui sont à la fois le fruit et la cause d’une telle culture, jouent un rôle majeur dans la crise démocratique actuelle.

Dans un chapitre du rapport collectif « déprésidentialiser la Ve République », j’expliquais comment, au gré de l’histoire, une interprétation présidentialiste des institutions de la Cinquième République s’est subrepticement imposée au point de détourner l’esprit même du texte de 1958.

Il est urgent de revenir à un équilibre des pouvoirs en rétablissant une dyarchie plus égalitaire en faveur du Premier ministre, mais aussi et surtout en rétablissant le pouvoir parlementaire. Il faut aussi en finir avec l’exercice très personnel du pouvoir du président de la République, qui sied si bien à la personnalité d’Emmanuel Macron…

Mais cela ne se fera pas par un simple changement de président de la République, ou même d’institutions, qui sont à l’image des attentes démesurées et toujours déchues des Français à destination du pouvoir politique.

 

L’épisode des retraites : cas d’école du mal démocratique français ?

Ce constat est admirablement vérifié et symbolisé par l’épisode des retraites.

D’abord, malgré une concentration importante du pouvoir, le président élu n’est pas parvenu à instaurer une réforme apte à véritablement changer les choses. Face à cela, l’opposition et « la rue » n’ont rien proposé d’autre qu’une opposition stérile et symbolique, et n’ont jamais exposé de projet alternatif reposant sur autre chose qu’un appel hautement démagogique à « taxer les riches ».

Pourtant, le propre des démocraties libérales est, expliquait Raymond Aron dans Démocratie et totalitarisme, de pacifier les conflits par le jeu institutionnel afin de créer du compromis. Bien que les Français aiment « jouer » à la Révolution de manière régulière, c’est aujourd’hui l’inertie qui caractérise le mieux notre régime politique. Les véritables réformes sont sacrifiées sur l’autel de la « révolution introuvable ».

Alors, il ne reste qu’une question à poser : tout ça pour ça ?

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  • L’introduction de la capitalisation était et est encore très facile. Il n’y a qu’en France qu’on imagine qu’il aurait fallu une réforme globale obligatoire. Si comme je le propose, on offrait la possibilité aux seuls qui le souhaitent de convertir une partie de leurs droits à répartition en défiscalisation des produits de leur patrimoine affectés à leur retraite, qui peut en soutenir l’interdiction ?
    Pourquoi toujours faire des lois pour interdire ou obliger ? Sans doute une question de plan du parti, qui doit chiffrer les conséquences sur 5 ans et en 2035 et 2050, et ne peut accepter de constater a posteriori des chiffres qui n’auraient pas été prévus à l’euro près dans la bonne ligne et la bonne colonne à FranceExcel…

    • exactement !
      Mais les Administrations/politiques ne veulent surtout pas lâcher leur pouvoir sur leurs concitoyens : il ne faudrait donc pas que ceux-ci soient libres de préparer leur retraite comme bon leur semble.

  • Comme retraité, j’en suis fort content que d’autres cotisent plus longtemps,.. Ils misent la dessus pour faire accepter n’importe quoi.. Mais si ce n’était que notre pays….. Les gros rentiers ont besoin de pauvres pour être riches même si ils ne le sont pas pour longtemps, l’essentiel est de le croire et de bien voter…. Quoique, ils sont si peu nombreux, qu’un peu de courage renverserait la tendance !
    Courage, un mot qui devrait disparaître, voir interdit de dictionnaire.

  • Je suis tout à fait d’accord pour reconnaître que l’opposition a tout bonnement piégé les citoyens, menant une fronde contre le gouvernement absolument clownesque et propre à se conforter qu’en France, l’opposition, ça se l’ouvre (noms d’oiseaux) pour ensuite se la fermer puis voter la main sur le cœur. Par contre, il ne faudrait pas taire l’amour de la démocratie à porter au crédit de Monsieur Macron. C’est vrai quoi : les conseils de défense pour surfer « solo » sur l’état d’urgence , les CNR-grenelles-trucs-citoyens, les 49.3 à foisons, les manœuvres LIOT pour vider le texte de sa substance. C’est beau la France.

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