Ce que la commission sur les ingérences politiques dit de nos institutions

L’audition de Marine Le Pen par une commission parlementaire sur les liens controversés entre le Rassemblement national et la Russie devrait nous pousser à interroger le degré de démocratisation des institutions françaises.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 1

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Ce que la commission sur les ingérences politiques dit de nos institutions

Publié le 31 mai 2023
- A +

Trois semaines après avoir auditionné François Fillon, la commission d’enquête parlementaire sur les ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères, créée le 6 décembre 2022 dans le cadre de la niche parlementaire du Rassemblement national recevait ce mercredi 24 mai dans la salle Lamartine la candidate du parti à la dernière élection présidentielle.

Durant 4 heures d’audition, la commission présidée par Jean-Philippe Tanguy, le président délégué du groupe Rassemblement national et député de la Somme, a questionné Marine Le Pen sur les liens entretenus entre son parti et les autorités russes. Marine Le Pen dont le nom a été cité de nombreuses fois durant les travaux de cette commission, a été sur la défensive.

 

Un prêt à 9 millions d’euros

En particulier, la commission s’est interrogée sur plusieurs visites et voyages de députés Rassemblement national en tant qu’observateurs électoraux à Moscou, mais c’est bel et bien le prêt de 9 millions d’euros contracté en 2014 auprès de la First Czech Russian Bank (FCRB), dirigée par Roman Yakubovich Popov, ancien cadre d’une banque d’État russe, qui a été au cœur des débats. Dans le même temps, l’association Cotelec, association de financement détenue par Jean-Marie Le Pen, obtenait deux millions d’euros d’une banque chypriote détenue par un ancien membre du KGB.

Deux ans plus tard, la FCRB est frappée d’une procédure de liquidation. La créance du prêt a alors été cédée à la société russe de pièces de rechange d’avions de combat Aviazapchast, détenue à 100 % par un certain Valery Zakharenkov, oligarque proche du Kremlin. Selon le German Marshall Fund, institution américaine et outil de soft power américain en faveur de la transition démocratique en Europe de l’Est et donc notoirement défavorable au Kremlin, il serait même lié aux services secrets russes.

Selon le Washington Post, trois des quatre dirigeants de l’entreprise seraient d’anciens de l’armée rouge et de l’armée russe.

 

Marine Le Pen n’a pas fait de « prêt avec Vladimir Poutine »

Sur la défensive derrière son habituelle pile de notes, la députée du Pas-de-Calais a répondu aux questions de Laurent Esquenet-Goxes, vice-président de la commission et député Modem de Haute-Garonne. La candidate malheureuse à la dernière présidentielle a ainsi rappelé l’intérêt politique de la France à disposer de bonnes relations avec le Kremlin et à soutenir la légalité de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et validée par un référendum dont la mise en place reste entachée de soupçons de fraude et d’intimidation.

Sur le fond des soupçons d’ingérence, Marine Le Pen s’est défendue d’avoir « signé un prêt avec Vladimir Poutine ». Une phrase qui se tient lorsqu’on note que le prêt contracté en 2014 n’est devenu qu’a posteriori une créance détenue par un proche du Kremlin.

 

Un champ de bataille entre États-Unis et Russie

L’opportunité d’auditionner l’ancienne présidente du Rassemblement national a été l’objet de nombreux débats au sein d’une commission dont l’objectif inavoué était jusque-là de laver le parti des soupçons d’ingérence moscovite l’entourant.

Il faut dire que le Rassemblement national dispose d’intérêts communs notoires avec le Kremlin. La candidate du parti, régulièrement encensée par la télévision d’État, incarne aux yeux des Russes une alliée en tant qu’incarnation d’une France qui se voit assiégée politiquement, économiquement et culturellement. Ce positionnement correspond largement à celui de la grande majorité de l’élite russe s’agissant de son propre pays.

Et ces liens ne datent pas d’hier, puisque les milieux conservateurs russes ont longtemps gardé des rapports étroits avec l’extrême droite française, au point que Jean-Marie Le Pen lui-même était un habitué des déplacements en Russie au tournant du siècle.

De son côté, Marine Le Pen a au moins fait trois visites à Moscou, dont une en présence de Vladimir Poutine. La députée du Pas-de-Calais est ainsi vue comme l’opposante principale à un Emmanuel Macron considéré comme le représentant des intérêts américains. Ce storytelling fait de la vie politique hexagonale un simple champ de bataille entre deux puissances étrangères. Une vision qui cache la réalité de la question institutionnelle française.

 

Une discrète question institutionnelle

Ces questions relèvent toutefois d’une certaine hypocrisie, tant la France dispose de nombreux points communs institutionnels avec l’ogre russe. La Cinquième République est en effet plus proche des institutions issues de la Constitution russe de 1993 que des démocraties libérales avec lesquelles ne nous partageons que des frontières géographiques.

Si l’exemple le plus marquant reste la présidence de la République, qu’il s’agisse des institutions, des questions d’ordre élyséeologiques et donc de la pratique ou du titulaire actuel de la fonction, évoquer des soupçons d’ingérence lorsqu’on se positionne d’un point de vue hexagonal est quelque peu étrange.

La France dispose également d’entreprises publiques proches du pouvoir et dirigées par des énarques. Elle détient également des médias d’État sous couvert de « services publics » afin de souligner leur caractère soi-disant plus démocratique alors que les institutions françaises fonctionnent en réalité sur un seul et unique scrutin ayant réellement un minimum de poids sur la vie politique, à savoir l’élection présidentielle.

La véritable question à poser dans le cadre de cette commission est donc la manière dont nos institutions pourraient se démocratiser davantage pour éviter qu’à notre tour, nous soyons des sources d’ingérence étrangère à travers des entreprises publiques.

Cela ne dédouane en rien les différents acteurs de cette commission, qui participent tous à un jeu de dupes, mais permet de montrer un enjeu démocratique tristement mis de côté.

Voir les commentaires (7)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (7)
  • Marre des commissions ceci et des commissions cela. Si on ne veut pas d’ingérences étrangères, le meilleur moyen est de ne pas leur laisser chez nous un désert économique et intellectuel où venir s’installer.

    • Dans un pays où l’ingérence de l’Etat est partout, avec et/ou à cause d’institutions verticales, l’ingérence étrangère est rapidement une affaire d’Etat.

  • Le RN est proche de la Russie car les banques françaises refusent, sans doute au nom de leur neutralité de gauche, de lui prêter de l’argent. Ne pas s’étonner dès lors que ce parti recherche des prêts dans des banques Hors Europe.
    LFI et les écolos sont proches de la Russie par leurs idées staliniennes et par les financements indirects qu’ils reçoivent du kremlin. Mais pour eux, pas besoin de justifier l’origine de leurs finances. Mélenchon a déjà la justice de son côté.

  • Avatar
    jacques lemiere
    31 mai 2023 at 14 h 40 min

    l’idée générale serait , je suppose, que l’on peut empêcher la corruption en contrôlant le financement des partis..en supposant que certains sources sont a priori suspectes…

    la corruption intelligente est difficile à prouver.. les élus font des choix arbitraires qu’ils n’ont pas à justifier..sinon il n’y aurait pas besoin d’élus.. il faut pister le pognon..+ prouver la causalité.. pas facile..

    on connait la solution que l’elu prenne moins de décisions, et surtout das le domaine économique…

    l a premiere des « corruptions » est l’électroralisme… qui revient à de l’achat de vote.. votez pour moi je prendrais le pognon des autres pour le vous donner…en pleine lumière

    je ne peux pas m’empecher de penser au confit d’interet à déclarer quand on fait un travail de recherche;..

    fascinant, les élus européenne soutenaient ouvertement obama… flinguaient trump.. donc claitement ce n’est l’ingérence qui pose problème

    • Avatar
      jacques lemiere
      31 mai 2023 at 14 h 58 min

      la première question c’est bien …mais pourquoi AU JUSTE cette commission..

      • Avatar
        jacques lemiere
        31 mai 2023 at 17 h 43 min

        le juge des décisions d’un élu c’est sa réélection..
        les motivations de ses choix sont sans interet.. or c’est l’idée ici..

        une démocratie plus transparente serait d’ailleurs de mieux connaitre les votes de SON représentant et de pouvoir lui demander des comptes..

        • La justice doit intervenir s il y a corruption, détournement de fonds publiques…….et donner des peines d intelligibilité si besoin…..😇😇😇😇

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

Que représentent les pays baltes pour la Russie de Poutine ?

Aur... Poursuivre la lecture

Alors que les campagnes de désinformation russes au sujet de l'Ukraine se multiplient, le gouvernement Zelensky intensifie sa lutte contre la corruption.

C'est l'un des points de propagande principaux du Kremlin pour démoraliser l'Occident d'envoyer de l'aide en Ukraine : le pays serait corrompu jusqu'à la moelle, et cette aide ne servirait qu'à engraisser certains dirigeants hauts-placés.

Ne faisons pas d'angélisme : la corruption (legs de l'URSS à tous les pays de la région) est présente en Ukraine, comme dans tout l'ex-bloc s... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles