À propos de la « Grande Guerre Patriotique »

L’URSS, fer de lance de l’antifascisme ? Si l’URSS a bien combattu le nazisme, son régime communiste n’était pas exempt de crimes et de violences. Retour sur un mythe persistant.

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À propos de la « Grande Guerre Patriotique »

Publié le 11 mai 2023
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À l’occasion des commémorations de la victoire sur l’Allemagne nazie en 1945, la presse s’est naturellement intéressée à l’usage de cet événement dans un contexte de guerre en Ukraine qui met le pouvoir autocratique du Kremlin à l’épreuve.

La presse française, pourtant habituée à une grande prudence sur les perspectives russes des événements en cours, nous a toutefois semblé reprendre le récit soviétique – prolongé par le pouvoir russe actuel – avec un certain manque de recul.

Les faits méritent d’être rappelés, notamment à destination des jeunes lecteurs dont l’éducation historique est trop souvent imprégnée des récits devenus consensuels après 1945. Le discours du Kremlin n’a que peu évolué depuis la chute de l’URSS, admettant seulement certains faits dont la négation était devenue impossible face à des documents d’archives devenus accessibles pour partie entre 1992 et 1997.

 

La Russie, fer de lance de l’antifascisme ?

Un des thèmes récurrents dans la propagande russe depuis la deuxième invasion de l’Ukraine en février 2022 est l’opposition historique supposée de l’URSS (dont la fédération de Russie assume volontiers l’héritage historique et juridique) aux différentes formes de fascisme, et en particulier au national-socialisme.

Ce fait est présenté comme incontestable pour deux raisons principales : d’abord la haine mutuelle des régimes nazis et communistes dans leurs propagandes respectives, mais surtout les immenses sacrifices concédés par la population et l’armée d’Union soviétique pour venir à bout des armées du Reich à l’Ouest, soulageant ainsi l’effort des Alliés sur l’autre front.

Si ces deux éléments sont incontestables, ils cachent chacun des vérités historiques parfaitement établies et nettement moins flatteuses.

 

Rouge ou brun, deux régimes fondés sur la terreur

L’opposition soviétique au nazisme se faisait au nom d’une idéologie tout aussi détestable et mortifère : le communisme. Les cibles étaient certes différentes, et on peut encore discuter de la possible équivalence morale entre ces deux régimes. Reste que même dans l’hypothèse la plus clémente sur ses intentions criminelles, le régime socialiste soviétique fut un cas d’école d’État totalitaire, dès Lénine en 1917 et au moins jusqu’en 1985 : police secrète, milices armées, parti unique, élimination de toute dissidence, déportations de masse, terreur institutionnelle, monopole sur l’information au service du régime, économie administrée en dépit du bon sens provoquant famines, pénuries, inégalités et misère générale.

Alors qu’en France un certaine presse de gauche célébrait le « paradis socialiste », nombre de citoyens soviétiques risquaient la mort pour s’en échapper. Le national-socialisme et le socialisme marxiste-léniniste avaient plus de points communs que de différences, et leur électorat potentiel était en partie commun, fonctionnant en vases communicants.

 

Avant la Grande Guerre Patriotique, l’entente avec le Reich

La propagande russe oublie commodément que son combat contre le nazisme, dans les faits, attendit le 22 juin 1941, en réponse à l’invasion brutale de son territoire par la Wehrmacht.

Certes, les États-Unis attendirent l’attaque sur Pearl Harbor pour finalement matérialiser leur engagement moral, mais ces derniers aidaient déjà les Alliés depuis le déclenchement de la guerre en fournissant armes, marchandises et matériel.

Pendant ce temps, l’URSS pactisait avec l’Allemagne nazie le 23 août 1939. Le Pacte germano-soviétique, signé par Ribbentrop pour le Reich et par Molotov pour l’URSS – sous le regard souriant de Staline en personne – était bien plus qu’un traité de neutralité. Il prévoyait différentes formes de collaboration, en particulier l’échange de prisonniers dissidents réfugiés chez le soi-disant ennemi de la veille, ou encore la livraison de matières premières indispensables à l’effort de guerre nazi (pétrole, blé, minéraux, etc.) en échange d’équipements industriels à destination de l’URSS.

 

L’Armée rouge progresse à l’Est… contre les Alliés

Les clauses secrètes longtemps niées par l’URSS mais bien connues de tous (dont les preuves furent découvertes par les Occidentaux dans des archives saisies à Berlin en 1945) prévoyaient dans le plus grand cynisme un partage de la Pologne entre nazis et communistes, ce qui fut effectif dès l’année suivante.

En plus de la Pologne, les nazis donnaient leur accord pour l’invasion de la Finlande, des pays Baltes et de divers autres territoires européens convoités par l’URSS, pourtant déjà très avancés dans la colonisation de leurs voisins trop vulnérables d’Europe et d’Asie. La Russie de Poutine ne manque certes pas de culot lorsqu’elle s’estime gravement menacée par l’adhésion de la Finlande à l’OTAN et vilipende la Pologne pour son soutien à l’Ukraine.

La Pologne fut également le théâtre du massacre de Katyn, perpétré par l’Armée rouge pour éradiquer l’élite militaire du pays tout juste conquis tout en attribuant la responsabilité aux nazis. Aujourd’hui encore Vladimir Poutine entretient une sinistre confusion en évoquant le « massacre de Kathyn » à propos du village homonyne rasé par les Allemands mais sans rapport avec les fosses communes où avaient péri des centaines de Polonais sous occupation soviétique en 1940.

Les Polonais ne parviennent guère à se consoler de savoir que ce sont les balles des « antifascistes » sous lesquelles périrent alors leurs fils, leurs pères et leurs frères.

 

Une histoire complexe

Il n’est pas question de tomber dans un quelconque manichéisme : Churchill lui-même regrettait la manière dont les Alliés avaient tenu l’URSS hors de la désastreuse affaire tchécoslovaque, poussant un peu plus Staline dans les bras d’Hitler.

De même, quelles qu’en soient les motivations profondes, il est incontestable que l’URSS paya entre 1941 et 1945 en dizaines de millions de morts. De même que le traitement criminel des prisonniers allemands par les Soviétiques ne pouvait hélas surprendre personne, quand on sait la barbarie toute particulière avec laquelle l’envahisseur avait traité les populations slaves se trouvant sur son chemin durant l’opération Barbarossa.

Nul ne sait ce qui serait advenu de l’Europe sans l’Armée rouge, du moins pour la partie qui n’eut pas le malheur d’être directement « libérée » par cette dernière…

 

Le piège du nationalisme, toujours aussi dangereux

Si des gouvernements ne cultivaient pas à divers degrés l’adhésion inconditionnelle de leurs citoyens à un passé complexe, les conflits auraient de meilleures chances de s’éteindre entre les peuples.

Ce passé national – souvent plus fantasmé que réel – n’est d’ailleurs pas toujours de la responsabilité de leurs ancêtres, et encore moins de la leur. Certains patriotes autoproclamés condamnent leurs populations à la guerre lorsqu’ils placent l’État au-dessus des individus, tout comme les indigénistes et leurs alliés islamistes condamnent ceux qu’ils prétendent protéger à être placés d’office dans un camp politique supposé, et à se croire déterminés par leur naissance.

Il est évidemment difficile pour n’importe quelle nation d’admettre des crimes passés commis en son nom sans s’autodétruire par la même occasion. De Gaulle et ses successeurs firent au moins l’effort de s’appuyer sur la notion juridique – quoique discutable – de continuité de la République via la France libre pour condamner comme il se devait le régime de Vichy. Les Français ne sont pas enjoints d’oublier ou de revendiquer fièrement les atrocités commises au nom de la France durant la collaboration. Et c’est heureux !

 

Pas de vainqueur à la vérité historique

Qu’on ne s’y trompe pas : les paragraphes qui précèdent ne visent pas à humilier la Russie, et encore moins les Russes.

Les gouvernements occidentaux ont eux aussi leur lot de scandales et de mensonges d’État, et nos pays européens n’ont pas su créer les conditions matérielles et morales pour se passer de la tutelle militaire américaine si souvent agitée par la Russie pour fracturer la fragile unité occidentale.

Mais la persistance à systématiquement tordre la réalité et à mentir aussi grossièrement sur le passé historique nous rappelle que le Kremlin a toujours une confortable avance sur nos démocraties libérales, aussi imparfaites soient-elles. Sans un minimum d’honnêteté la marche à la guerre, à supposer qu’elle puisse encore être stoppée, n’en sera que plus rapide.

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  • Et au final, les usa annexerent l’Europe non entre les mains de l’URSS et plus après sa fin…. A priori, les anglo-saxons ont échoué à emporter dans leur valise la Russie…. Et l’Europe va à la ruine, plus d’intérêts, le monde change comme le climat, des bas, des hauts et du très bas.. La démocratie est aneantie les fachos règnent en maîtres absolus de l’occident….. La suite, je ne suis pas voyant, mais la Chine semblera un paradis…

  • On peut également rajouter que les dizaines de millions de mort ne sont pas que du fait des nazis :
    – des miliciens tiraient dans le dos des soldats russes qui reculaient
    – des soldats étaient parfois envoyés en première ligne sans armes pour « faire nombre » en étant enjoints de trouver sur place des armes – autant dire qu’ils étaient envoyés à la mort
    – tout russe fait prisonnier par les Allemands risquait le goulag (car il était suspect de lâcheté ou de « contamination par les idées occidentales ».

  • En fait la coopération militaire entre l’URSS et l’Allemagne date de bien avant 1939. Il est piquant de rappeler que c’est Hitler qui fait fermer le centre de développement des blindés soviéto-allemand installé dans les années 20 à Kama, en pays tatar, en violation flagrante du traité de Weimar.

  • Petite correction. Ce n’est pas au nom du communisme que la Russie est entrée en guerre contre le nazisme. En effet, Staline et Hitler avaient signé un pacte de non agression. Mais Hitler, pour continuer sa guerre avait besoin de pétrole que Staline lui vendait trop cher.
    Il a alors décidé d’envahir la Russie. Mais avant cette invasion, communisme stalinien et nazisme hitlérien étaient copains comme cochon.
    Rappelons aussi que Staline a commencé à aligner des victoires grâce au matériel américain qui lui était livré.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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