Le cercle vicieux du quiet quitting et du déclin de l’organisation

Le quiet quitting est le fait pour des employés de quitter leur entreprise discrètement, sans faire d’esclandre, sans même parfois prévenir.

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Le cercle vicieux du quiet quitting et du déclin de l’organisation

Publié le 15 mars 2023
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Le « quiet quitting » est la nouvelle expression en vogue. Elle décrit le fait pour des employés de quitter leur entreprise discrètement, sans faire d’esclandre, sans même parfois prévenir. Un jour, ils ne sont plus là. Ce n’est pas simplement un problème de ressources humaines car il peut mettre en danger toute l’organisation et entraîner son déclin à plus ou moins court terme. Il constitue donc un enjeu stratégique.

Pour comprendre ce qui est en jeu, on peut utiliser les travaux d’Albert Hirschman, auteur du fameux Défection et prise de parole. Hirschman étudie la loyauté des individus à une institution. Il observe qu’une personne insatisfaite a trois options : elle peut soit prendre la parole et protester, soit se taire et supporter l’insatisfaction, soit faire défection, c’est-à-dire partir sans protester.

Prendre la parole et protester a un coût qui peut parfois être très important. Lorsque nous sommes dans un restaurant médiocre et que le chef nous demande si tout va bien, il est bien plus simple pour nous de répondre Oui avec un grand sourire que de lui dire la vérité. Nous serons partis dans quelques minutes pour ne plus jamais revenir ; à quoi bon se lancer dans un échange où il est probable que le chef prendra mal nos observations ?

Nous n’avons pas intérêt à investir dans la relation, le coût perçu est trop élevé. Sans le savoir, le chef se prive d’un feedback précieux pour améliorer sa prestation.

Dans d’autres contextes, la prise de parole peut être durement pénalisée. C’est évidemment le cas dans les régimes dictatoriaux et à un moindre degré dans certaines organisations. Beaucoup d’entre elles ne veulent objectivement pas de prise de parole malgré leurs affirmations. Ainsi ce consultant me racontait qu’un de ses clients menait des sondages très réguliers sur l’ambiance de ses collaborateurs, et que ces sondages étaient anonymes. Le fait que ces sondages soient anonymes, lui fis-je remarquer, ne dit-il pas tout ? Ne faut-il pas implicitement reconnaître qu’il y a un risque à parler pour garantir l’anonymat ? C’est pour cela que la défection est plus intéressante.

 

La défection est plus intéressante

Elle l’est d’autant plus que depuis quelques années, les portes de sortie se sont développées.

Désormais, changer d’employeur n’est plus vu comme une tare. On peut également rejoindre une startup ou se lancer comme indépendant. En résumé, le grand changement de ces dernières années est que les bons éléments disposent désormais de nouvelles options à la fois faiblement risquées et potentiellement très intéressantes. Le coût de prise de parole reste élevé tandis que le risque lié à la défection diminue, et son gain potentiel augmente. Pas étonnant que le « quiet quitting » ait le vent en poupe.

Mais on ne peut pas toujours partir facilement, comme dans un restaurant. Certains employés insatisfaits auront du mal à trouver un autre emploi. Le risque peut être d’autant plus élevé qu’ils ont par ailleurs des contraintes financières (prêt immobilier par exemple). Quand on n’est pas un « bon élément » (au sens où on trouverait facilement autre chose), on reste coincé dans une organisation non performante. On ne peut pas prendre la parole car c’est trop risqué et on ne peut pas partir car c’est également trop risqué. Pas étonnant qu’il s’en déduise une forte frustration et une aliénation vis-à-vis de l’organisation : on voit celle-ci à la fois comme la cause de sa misère et comme une bouée de sauvetage.

 

Le cercle vicieux du quiet quitting et du déclin de l’organisation

C’est ainsi que se met en place un cercle vicieux très dommageable pour l’organisation.

À tout moment, il existe un niveau de performance acceptable pour les membres. Si ce niveau baisse, les plus performants deviennent insatisfaits. Ils ont alors deux options : prendre la parole ou partir. Si le coût de prise de parole est jugé élevé, cette option est abandonnée et ils partent. Privée de ses meilleurs éléments, l’organisation voit à nouveau son niveau de performance baisser d’un cran.

Cette baisse de performance rend insatisfaite une nouvelle cohorte de membres, les plus performants après le départ des précédents et le cycle se répète. Il s’accélère même car rapidement ne restent que ceux qui ne peuvent pas aller ailleurs. Les meilleurs éléments sont partis depuis longtemps. La probabilité qu’il y ait prise de parole diminue avec le temps et donc la possibilité pour l’organisation de réagir aussi. Elle est prise dans une spirale de déclin, elle se vide littéralement de sa substance. Chaque cycle rend plus difficile son redressement.

Ce qui était au début un problème de ressources humaines est devenu un problème stratégique, mais lorsque la prise de conscience de la nature stratégique du problème se produit, il est généralement trop tard.

 

Briser le cercle vicieux

Un cercle vicieux est par définition difficile à briser. Au bout d’un moment, ceux qui restent ne sont ni disposés ni capables de prendre la parole de façon constructive. Ceux qui le pouvaient sont partis.

Pour la direction générale la seule façon pour s’en sortir est de recréer un contexte pour ce faire. Il faut agir de façon déterminée pour que la prise de parole redevienne possible et intéressante. Elle doit s’engager de façon crédible et cet engagement doit être la base du recrutement de nouveaux employés qui s’inscriront dans cette posture de vérité, et en priorité des leaders.

« Il n’est de richesse que d’hommes » disait Jean Bodin. Les stratèges feraient bien de ne pas oublier cette leçon de sagesse.

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  • Il y a un contrat de travail qui définit la procédure de séparation entre l’employé et l’entreprise. Le quiet quitting est hors la loi et l’employeur pourrait très bien se retourner contre l’employé pour préjudice. Le quiet quitting est une mode anglo-saxonne car les contrats de travail y sont en général très succincts et peu engageant pour les 2 parties.

  • Je m’aperçois avec bonheur que dans les années 80, comme M. Jourdain, je faisais du quiet quitting sans le savoir! Après un premier emploi en 75 dans une activité qui correspondait à ma formation ( oenologie), agréable, variée et correctement payée, je me suis retrouvé fin 79 au chômage, mon employeur ayant dilapidé ( le jeu, les femmes, etc….) tous les biens de la société. Je me suis juré de ne plus jamais me retrouver dans cette inconfortable situation et dans les emplois suivants, j’ai pratiqué le quiet quitting avec application allant même parfois jusqu’à anticiper dès mon embauche, la recherche d’un nouvel emploi futur! J’ai apprécié aussi quelques CDD où ma situation était clairement délimitée et ou la recherche d’un nouvel emploi faisait déjà partie du jeu. Mais vers la cinquantaine, trouver un emploi étant devenu plus difficile, j’ai opté pour l’indépendance et sauté le pas de la création d’entreprise.

  • Autres problèmes : 1 . si le coût de parole peut être élevé ,en revanche, le bénéfice de la prise de parole est souvent nul ; 2 . Au début de la spirale « on » (le management) ne voit pas le problème car il est faible , car compensé par ceux qui travaillent bien , alors celui qui parlerait sait qu’il ne sera probablement pas cru ; 3 . Par ailleurs , si problème il y a , ce sera au management de le prendre en charge et la plupart des managers détestent prendre en charge les problèmes , bien que justement cela soit leur rôle premier , donc ils ont tout intérêt à regarder ailleurs .

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