Vers une Europe de la défense ?

L’invasion en Ukraine a clairement montré l’état sous-optimal des armées européennes actuelles, qui se sont beaucoup trop reposées sur le parapluie américain au point d’en être devenues les vassaux plus ou moins volontaires.

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Vers une Europe de la défense ?

Publié le 27 février 2023
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Kiev serait-elle la nouvelle destination diplomatique à la mode ? En tout cas, les dignitaires occidentaux s’y relaient avec application et après Biden ou Von Der Leyen, c’est au tour du Premier ministre espagnol de s’y rendre. Apparemment, la capitale ukrainienne serait l’endroit indispensable où se montrer pour espérer avoir droit à une photo dans les médias grand public…

De loin, on pourrait presque croire que tout ce qui est diplomatique, militaire et européen se passe en fonction de Kiev : en surface, l’économie de l’Union européenne paraît s’organiser pour l’effort de guerre contre la Russie. On voudrait nous faire croire que l’Union est en train de devenir un centre de défense militaire qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Malheureusement, la réalité est un peu moins palpable.

Ainsi, on force de façon un peu grossière l’image d’une Europe soudainement unie face à ce qu’on brosse maintenant comme un ennemi commun alors que, en cela comme dans tout le reste, l’Europe avance encore une fois en nuage dispersé, indiscipliné et dont les membres ne sont clairement pas tous intéressés par le même but ni les mêmes méthodes.

D’une part, la dépendance de l’Europe vis-à-vis des ressources (notamment énergétiques) étrangères et notamment russes est très différente d’un État membre à un autre ; de ce point de vue, l’ambiguïté évidente est totale de la part de l’Allemagne et de ses jolis moulins à vent inefficaces, qui a continué à s’alimenter en gaz russe jusqu’à l’explosion des pipelines Nordstream. À présent, elle continue à consommer de grosses bouchées dodues de charbon russe sans que ni la presse, ni les politiciens ne s’en émeuvent (ou alors, c’est fort discret).

D’autre part, les intérêts économiques tissés depuis des décennies des deux côtés de l’Oural sont si nombreux que couper net les ponts avec la Russie est bien plus facile à pérorer devant des parlementaires ou dans les médias qu’à réaliser effectivement (et la France est du reste assez mal placée pour donner des leçons).

Enfin, on a largement pu observer que la distribution musclée de sanctions particulièrement mal conçues a bien plus sûrement plongé l’Europe dans l’embarras que la Russie. Est-il utile de revenir sur les petits prouts stridents que le Bruno de Bercy émet à présent que l’économie russe ne s’est pas du tout effondrée, au contraire de l’économie française ?

Autrement dit, à mesure que les mois de conflit s’additionnent, l’unité européenne n’est plus qu’une façade entretenue par la presse et les sourires crispés des politiciens. Dans les couloirs feutrés du Conseil de l’Union, les choses sont nettement moins roses.

En effet, au-delà des dissensions entre États membres sur les sujets économiques et politiques, les dissensions sur les aspects militaires ne s’amoindrissent guère non plus, d’autant plus que la guerre en Ukraine est un devenu prétexte à lancer l’idée que « l’Europe de la défense » serait quelque chose de souhaitable voire possible et ce alors même que la simple coopération de deux ou trois membres européens sur le même programme militaire relève de la gageure qui a échoué plus d’une fois ; il n’est qu’à se rappeler des essais d’avions ou d’hélicoptères « européens » (ou maintenant de drones) pour comprendre que cette Europe militaire tient plus pour le moment d’un vœu pieu que d’une réalité ou d’une possibilité tangible, solide.

En outre, l’Union européenne semble vouloir s’additionner à l’institution militaire déjà en place, à savoir l’OTAN.

Cela ne peut pas se passer sans heurts : dans le meilleur des cas, on obtiendra un doublement des étages administratifs. On peine à voir l’intérêt. Dans le pire des cas, on aboutira à une concurrence bureaucratique difficilement saine pour un commandement militaire d’autant que les buts de l’OTAN ne recouvrent assurément pas ceux de l’Union en matière géostratégique.

Pour illustrer ce dernier point, il n’est qu’à voir l’épisode récent et tragicomique de l’idée de livrer des chars d’assauts à l’Ukraine pour comprendre la mécanique d’enfumage actuellement à l’œuvre en Europe et l’absence de toute coordination européenne à ce sujet.

Rappelons que Zelensky, le président ukrainien, a récemment réclamé de nouveaux bataillons de tanks, les siens ayant été plus ou moins éparpillés lors de l’année écoulée. Il fut donc – assez mollement – décidé que les pays européens lui en fourniraient quelques-uns (on évoque une centaine de différents types puisque les Allemands, les Français et les Britanniques semblaient prêts à fournir ces véhicules).

Sans même s’appesantir sur les aspects purement logistiques – autant d’engins différents imposent pièces détachées et main-d’œuvre formée en nombre suffisant, ce qui n’est ni simple ni rapide à obtenir pour le dire gentiment – rappelons que l’Allemagne avait subordonné sa livraison de chars Leopard à la livraison de chars Abrams par les États-Unis. Manque (commode) de chance pour les Américains : il s’avère que ces derniers chars ne seront pas livrés avant plusieurs mois au mieux ; non seulement l’armée américaine ne veut pas se départir de ceux dont elle dispose pour elle-même, mais en plus il apparaît aussi que ceux qui seront livrés (un jour peut-être) devront être « adaptés » pour le terrain ukrainien, c’est-à-dire rétrofittés pour éviter toute récupération technologique par l’ennemi russe.

Autrement dit, ces chars américains pourraient bien arriver comme la cavalerie des Tuniques Bleues, c’est-à-dire après la guerre. Les Allemands, dont quelques-uns de leurs Leopard sont apparemment déjà en chemin vers l’Ukraine, pourraient l’avoir saumâtre, passant une fois encore comme les dindons d’une tragique farce américaine qui démontre assez bien les objectifs de l’OTAN assez peu Europe-compatibles.

En fait de créer une force armée unifiée, comme à son habitude l’Europe s’enlise mollement dans ses petites gesticulations habituelles et ses manigances de politique politiciennes. Profitant de l’occasion, la Pologne semble décidée à largement renforcer sa propre armée, pensant même pouvoir prétendre rapidement à devenir la première puissance militaire européenne. On lui souhaite bien du courage (notons néanmoins qu’étant en dehors de la zone euro, les Polonais pourraient s’en sortir mieux que les autres puissances militaires européennes).

En définitive, c’est probablement le seul point saillant de l’aspect militaire en Europe, provoqué par cette invasion russe en Ukraine : elle a clairement montré l’état sous-optimal des armées européennes actuelles, qui se sont beaucoup trop reposées sur le parapluie américain au point d’en être devenues les vassaux plus ou moins volontaires. L’explosion actuelle des budgets militaires européens chez les principaux États membres montre cette prise de conscience et l’absence criante de toute organisation européenne au-delà de l’OTAN démontre s’il le fallait encore que « l’Europe de la Défense » n’est encore qu’un rêve même pas humide.

Du reste, peut-on s’en étonner ? Une armée unique suppose une unification bien plus forte, bien plus profonde des États européens et notamment une harmonisation fiscale qu’aucun État membre ne désire vraiment. Et d’ailleurs, du point de vue du citoyen lambda, un super-État européen, avec armée et fiscalité européenne, est-ce vraiment souhaitable ?

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  • Incapables de gérer une pays ils veulent gérer un continent…

  • L’Europe de la défense ne se fera jamais, au moins pour une raison : la France et sa dissuasion nucléaire.
    Il est évident que la maitrise de cette technologie nous procure un leadership naturel auquel les Allemands, et sans doute d’autres, ne veulent pas se soumettre. C’est un peu la même chose avec le projet SCAF et l’évidente supériorité de Dassault.
    Macron serait bien capable de brader notre dissuasion à l’UE mais il n’a plus aucune légitimité et les généraux s’opposeraient à un projet aussi fou.
    Au delà de la défense, je pense que nous sommes allés beaucoup trop loin dans l’intégration européenne et l’idée de créer les états unis d’Europe n’est plus qu’un rêve dans quelques cerveaux allumés.
    Nous avons une histoire différente, nous ne parlons pas la même langue et l’intégration infinie de nouveaux états a définitivement ruiné toute chance d’approfondissement.
    Quand l’heure sera venue de rembourser toutes nos dettes, il est tout à fait probable que certains états décideront de quitter le navire…

    • un leadership de la france??
      la russie est elle avantagée en ukraine en dissuadant d’envoyer des armes à l’ukraine;.
      pouviez vous expliquer la nature de leadership la France a du fait de la dissuasion et ensuite;.pourquoi ça en valait le coup?

      la dissuasion semble permettre de s’affranchir de l’onu..

      la dissuasion dissuade typiquement d’une guerre conventionnelle symétrique elle a été justifiée ainsi.. !!! or on s’apprete à réarmer en perspective d’une guerre conventionnelle symétrique.. moi je veux bien…

      on ne peut s’affanchir de spéculer pour prévoir;..et donc de se tromper;. la modestie des politiques est de rigueur..parce qu’on doit assumer des virages à 180°..sans honte..

      -2
      • si on ajoute que les actions de polices internationales que la france a mené grace à son « leadership  » ont eu un succès discutable..tout comme les russes en Afghanistan les américains en irak..
        …modestie…et pragmatisme..

        -1
      • Il est incontestable que la France a la meilleure armée des pays de l’UE, ce qui ne veut pas dire qu’elle est capable d’intervenir partout et tout le temps.
        Cette position lui donne un avantage incompatible avec les ambitions des autres nations qui ne voudront jamais se rallier à notre panache blanc. C’est pourquoi je parle d’un leadership naturel dont les autres pays de l’UE ne veulent pas.

        • Avatar
          jacques lemiere
          1 mars 2023 at 8 h 08 min

          parce que c’est important ça? d ? pare que c’est ma critique ??
          la meilleure armée de l’ue…. donc apte à battre un pays de ‘ue…???

          la france dépense plus pour son son armée… mais juste assez pour aller faire de la police et encore rarement seule, dont le résultat est discutable..mali irak..

          « c’est incontestable.. j »

          quel avantage elle en retire justement de ses alliés européens? vous croyez que l’ allemagne accorde du poids à l’amreé français pour la défendre? vraiment???

          l’armeée français et son arme nucléaire est AUSSI la raison pour lesquelles s nos politiques se jugent qualifiés à se méler e trucs dans le monde..

          prestige dérisoire ; .pas d’efficience vis à vis d’un ennemi reél.. c’est à dire qui menace le pays.. et pas qu’un peu!!!

          si on ajoute que notre armée a un role assumé de vitrine pour nos fabricants d’armes!!! alors aula vente d’arme est une source on de pots de vins et corruption du fait de l’intervention politique .

          un moins n’a jamais remplacé un argument..

          Une armée apte à remplir sa mission de défense du pays est necessaire ..

          mais justement sans définition d’un ennemi.. c’est spéculatif..->modestie et remise en question constante. .

          la france en 1939 était réputée avoir une des meilleures armée du monde..

          wow on a des rafales..wow on a des leclerc et en effet une armée qui a gardé de compétences complétes….et notoirement insuffisantes pour une guerre pour la quelle ses compétences sont vraiment requises .guerre symétrique.

          on a UN porte avions!!!!!!!

          • Avatar
            jacques lemiere
            1 mars 2023 at 8 h 10 min

            on est PROTEGES par non pas l’armée allemande mais le territoire allemand et l’otan!!!!

  • Ce que j’en déduis, c’est que même un pays avec une armée, un gouvernement, un parlement, des lois, une police, en est réduit à demander de l’aide à des instances « supérieures » et à attendre leur bon vouloir… comme tout citoyen désarmé par son gouvernement.
    Les États membres se sont empressés de gonfler les budgets de leurs armées, tout en envoyant des armes et du matériel pour l’armée ukrainienne et ses citoyens, et en refusant le droit aux armes des leurs.
    L’Ukraine se fait rouler dessus, et des dirigeants de pays composant l’U.E regardent, font les malins devant les caméras, tout en sachant qu’ils n’ont rien à opposer à l’armée russe.

    • Toutes les pseudo décisions me font penser à une femme demandant de l’aide, qui recevrait comme aide des perfusions d’antalgique, d’amphétamine, de placebo, en espérant que s’épuisent ceux qui la violent.

  • Il ne faut pas sous estimer l’Union Européenne. La crise covid l’a montré. Presque tous les pays ont pris les mêmes mesures et l’achat des vaccins a été il me semble groupé et négocié par Ursula Van der Layen. Il y a eu une europe de la santé même si officiellement elle n’existe pas.

    Il y a eu un échec de l’Europe de la défense car l’Europe n’a pas d’ennemie. Mais rien n’empeche d’en constituer une même si elle n’en a pas le nom. Il n’y aurait alors pas de probleme de commandement.

    -10
  • L’armée belge en charge de défendre la capitale de l’Europe avec ses auto-pompes, on est plutôt mal barrés.

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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