Les trois égarements de la démocratie

La philosophe Chantal Millon-Delsol conteste une démocratie qui veut tout régenter

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Emmanuel Macron BY European External Action(CC BY-NC 2.0)

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Les trois égarements de la démocratie

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 28 janvier 2023
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La démocratie n’a pas toutes les vertus qu’on lui prête habituellement ; encore convient-il de la définir avec précision, car « les mots sont traîtres et finissent par désigner des réalités bien différentes de celles qu’on leur avait auparavant assignées » Ainsi des dictatures ont-elles été appelées « républiques démocratiques ».

Au-delà de ces extrêmes la démocratie contemporaine se fourvoie de trois manières.

 

Les dérives de la démocratie

La première consiste à croire, comme le faisait Jean Baechler, que la démocratie est un système inné dans l’être humain : démocratie « anthropologique », « le naturel se trouve naturellement réalisé ».

Ainsi la démocratie ne serait-elle qu’une transposition au niveau du grand nombre des relations qui unissent les Hommes : ils ont connu « le face-à-face perpétuel et le coût nul des coalitions ». Cet optimisme a été celui des Occidentaux quand ont disparu un certain nombre de dictatures : la démocratie s’imposera d’elle-même, naturellement.

Chantal Millon s’élève contre cette naïveté : « Il semble bien que la nation ne soit pas nature, mais culture ».

Certes la culture peut s’exporter : certains pays feront l’économie d’un apprentissage culturel1.

« Cela signifie d’abord que nous ne pouvons pas exporter la démocratie comme on passe à un ami une application informatique, ou comme on lui prête une clé à molette. Cela signifie ensuite qu’il nous faut constamment faire l’effort de maintenir la démocratie chez nous, car si on cesse de la surveiller, elle retombera inévitablement dans l’autocratie ou dans la hiérocratie. »

« Le deuxième égarement consiste à vouloir étendre à l’infini les catégories, ou les « vertus » de la démocratie ».

Puisque la démocratie c’est la liberté et l’égalité, mettons de la liberté et de l’égalité partout : faisons voter les écoliers, que les soldats élisent les officiers, qu’il n’y ait plus de chef de famille ou de professeur. La démocratie comme « souveraineté du peuple » ne s’applique qu’au sein de la grande société dont on suppose que tous les membres sont dotés d’une dose de raison comparable, et n’ont pas à être particulièrement compétents. À l’inverse, « dans les petites sociétés, les décisions sont en général affaire de maturité (la famille) ou de compétences (armée, école, entreprise etc.). »

Dans les « démocraties extrêmes » (Dominique Schnapper) contemporaines, la liberté et l’égalité se croient sans limites intrinsèques. Le courant woke représente une démocratie déréglée où l’on réclame l’égalité et la liberté pour toutes les minorités quelles qu’elles soient, quels que soient leur mérite, leurs revendications, et même leur absurdité – tout cela au nom de la démocratie. »

Le troisième égarement est certainement le plus grave.

Il consiste à soumettre toute question importante à la foule des gens ordinaires. Mais pourquoi les gens ordinaires seraient-ils, par leur seule masse, capables de trancher des questions importantes ? Le dérapage est vite présent : le peuple allemand face à Hitler. Aujourd’hui, aux États-Unis, on en arrive à considérer comme démocratique toute proposition « progressiste » (par réaction contre le conservatisme de Trump).

« La vraie démocratie ne serait plus le régime de la souveraineté populaire, mais le régime qui accepte les idées progressistes. Viktor Orban, parce qu’il a inscrit dans sa constitution que le mariage est un contrat entre un homme et une femme, et autres décrets du même genre, n’est plus considéré en Europe comme un démocrate – quoique ces décisions soient portées par la souveraineté populaire. Le gouvernement polonais est considéré comme anti-démocratique, non pas vraiment parce qu’il détourne la justice (ce que font aussi tous nos gouvernements), mais parce qu’il a une idée de l’IVG en particulier et de la famille en général qui n’est pas du tout conforme au progressisme régnant. Par ailleurs, toute une littérature de sciences politiques a vu le jour ces deux dernières décennies, montrant qu’on ne peut plus aujourd’hui accepter n’importe quelle décision populaire – toute décision populaire doit être validée, pour acquérir sa légitimité, par la doxa régnante. »

Sur le web

  1. Des « autrichiens » comme Hayek ou Mises diraient que la culture consiste aussi à définir des institutions (règles du jeu social) propices à la liberté. Ce progrès institutionnel est le fruit d’un processus évolutif d’essais et d’erreurs. Il n’a rien de « naturel »
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  • « Viktor Orban, parce qu’il a inscrit dans sa constitution que le mariage est un contrat entre un homme et une femme, et autres décrets du même genre, n’est plus considéré en Europe comme un démocrate – quoique ces décisions soient portées par la souveraineté populaire. »
    « portées par la souveraineté populaire » ? Je ne parierais pas ma tête sur le billot. Vu qu’un décret est une décision prise par l’exécutif, et non par le peuple ou ses représentants.
    Il est donc aussi hasardeux de prétendre cela que d’affirmer qu’en France le 80 km/h était porté par la souveraineté populaire.
    Accessoirement, je doute que même en Hongrie on puisse modifier la constitution par simple décret.

    • La phrase ci-dessus que je viens de livrer à la réflexion de qui voudra bien réfléchir est donc relative au troisième égarement.
      Qui consisterait, d’après l’auteur, à soumettre toute question importante à la foule des gens ordinaires.
      M’enfin ! Il s’agit de l’exact opposé, puisqu’un décret est justement pondu sans passer par le peuple ou ses représentants.
      Alors.
      Quand on prend pour illustrer un propos un exemple qui illustre le contraire du propos en question, j’ose penser que le naufrage de la vieillesse est proche.

  • Le peuple est capable de décider si on lui soumet une question correctement. Exemple pour les retraites, si la question suivante lui est soumise, il est capable de choisir :
    « Choisissez 1 des 4 propositions suivantes :
    – départ à la retraite à 65 ans avec niveau de retraite comparable à maintenant.
    – augmentation de 4 points de la CSG à partir de maintenant pour commencer à constituer des réserves.
    – division par 3 du montant des retraites à partir de 2035 et sans autres aides sociale.
    – taxation des riches et division par 2,9 du montant des retraites à partir des 2038
    La proposition qui aura reçu le plus de suffrage sera mise en oeuvre par le gouvernement »
    Nota : les chiffres sont à prendre pour l’exemple seulement ; le gouvernement devant faire les simulations. Et une proposition de retraite par capitalisation peut aussi être ajoutée.
    Et là, plus personne ne descend dans la rue. Et c’est de la vraie démocratie. Au revoir Messieurs et Madames Martinez, Mélenchon, Rousseau et autres gauchos à 2 balles.

    • Même en rajoutant une proposition de retraite par capitalisation, l’ennui dans ce genre de consultation est qu’elle repose sur un postulat douteux : l’Etat omniscient serait capable de faire une liste exhaustive des solutions possibles, de les présenter de manière objective et neutre, et la majorité populaire tout aussi omnisciente choisirait la meilleure solution et non celle qui emm….ra le plus le voisin.

  • @ bon escient :
    « quand on vous montre la Lune, il ne faut pas regarder le doigt … »
    Le propos de Mme DELSOL ne porte pas sur la Hongrie, mais sur les dérives potentielles de la démocratie.
    A croire que vous ne retenez que 2 lignes qui servent d’illustration (peut-être maladroite) sur un propos de 2 pages qui est par sensé, et que vous ne tirez comme conséquence que l’entièreté du propos de vaut rien…

    A bon escient ?

    • Oui.
      Car j’aurais pu encore en beurrer des tartines ! Et j’avais déjà perdu assez de temps.
      J’aurais pu parler de la confusion, dans le premier item, entre démocratie et nation ou entre nation et culture.
      Puis dans le deuxième, rappeler que la démocratie ce n’est pas la liberté et l’égalité.
      Voyez-vous, quand le raisonnement est mauvais ET que les mots sont mal choisis ou mal compris, que peut-on vouloir sauver ? Même avec la meilleure volonté ?
      Rien.

  • Déçu par l’article, finalement juste un moyen détourné contre le wokisme rien à voir avec la démocratie. Contrepoints devient de plus en plus un journal d’opposition focalisé sur certains sujets. C’est peut être pour plaire à ses lecteurs, pourquoi pas mais où est passé le journal libéral de référence?
    Pour étayer mon propos concernant l’article, cette curieuse transition entre démocratie et wokisme que mon modeste esprit ne saisit pas, je cite :
    «Il consiste à soumettre toute question importante à la foule des gens ordinaires. Mais pourquoi les gens ordinaires seraient-ils, par leur seule masse, capables de trancher des questions importantes ? Le dérapage est vite présent : le peuple allemand face à Hitler. Aujourd’hui, aux États-Unis, on en arrive à considérer comme démocratique toute proposition « progressiste » (par réaction contre le conservatisme de Trump).
    « La vraie démocratie ne serait plus le régime de la souveraineté populaire, mais le régime qui accepte les idées progressistes.»»

    Le « on » c’est celui de : réaction contre réaction ou extrême contre extrême, le monde de la manipulation. La vraie démocratie c’est celle de la très grande majorité coincée entre les bouts dans le spectre des préférences. C’est elle qui représente le compromis et la sagesse politique, et ses préoccupations sont moins militantes.

  • Par définition, un libéral conteste tout système ou toute personne qui veut tout régenter.

  • un exercice pratique..

    réfléchir sur les démocrates américains et les républicains;. les démocrates penchent effectivement vers une augmentation du champ de décision démocratique..
    usant..

    les mots..
    seules les décisions sont « démocratiques » ..et encore..cela oublie de specifier qui à la droit de vote..

    le problème de la démocratie est justement les gens qui s’appropie le mot..

  • La démocratie est un système qui ne persiste que parce qu’on s’évertue par toutes sortes d’idées à le faire vivre, en se persuadant que c’est le meilleur. L’égarement est que chaque citoyen croit qu’il participe aux lois et décrets et qu’ainsi sa volonté aura son mot à dire et primera souvent, alors que ce sera uniquement la majorité absolue ou relative qui aura raison. On dira peu, pour abréger, sur le système politicien qui le sous-tend. Pour celui qui reste dans une opposition minoritaire, la démocratie à ses yeux n’existe pas. La dictature ne sera donc jamais loin, soit pour empêcher les autres d’accéder, soit pour se conserver le plus longtemps aux affaires.

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