Non, les sanctions contre la Russie ne sont pas justifiées du point de vue libéral

Les sanctions contre la Russie peuvent-elles correspondre à la définition du libéralisme ?

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 8
February 27 rally in Chicago to oppose the war in Ukraine by Alek S (licence creative commons) (CC BY-ND 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Non, les sanctions contre la Russie ne sont pas justifiées du point de vue libéral

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 27 septembre 2022
- A +

Vendredi, Contrepoints proposait un article intitulé « Les sanctions contre le Kremlin sont justifiées d’un point de vue libéral ».

Curieux, je me suis demandé comment ces sanctions pourraient trouver une quelconque justification libérale. Et malheureusement, je dois dire que la lecture de l’article n’a pas apporté de réponse à ma question. Bien au contraire, les arguments que j’y ai lu sont à mon avis symptomatiques d’un profond désaccord sur la nature du libéralisme. En ne s’intéressant qu’aux conséquences collectives et hypothétiques de l’absence de réaction occidentale, l’article d’Yves Bourdillon se place selon moi aux antipodes de la philosophie libérale, qui raisonne en termes de droit et à l’échelle individuelle. Il me semble donc important de revenir sur certains points : le sens du mot libéralisme est déjà suffisamment dévoyé par ses opposants, il est crucial que la confusion ne soit pas entretenue dans notre propre camp.

 

Le libéralisme est une philosophie du droit, pas un utilitarisme

Wikibéral définit le libéralisme comme la « philosophie politique visant à faire reconnaître la primauté des principes de liberté et de responsabilité individuelle sur l’autorité du souverain ».

Les sanctions contre la Russie peuvent-elles correspondre à cette définition ? Il me semble au contraire qu’elles en sont à l’exact opposé.

Ces sanctions consistent en effet en un ensemble d’atteintes à la liberté individuelle, imposées par une autorité publique, ultracentralisée et bureaucratique. Avec ses sanctions, l’UE a multiplié les atteintes aux libertés individuelles en imposant à ses citoyens de payer leur gaz plus cher, de ne plus commercer avec des Russes voire de geler leurs avoirs pour ceux qui ont eu le seul tort d’avoir un nom à consonance russe. On peut aussi se demander où est le libéralisme lorsque l’État nous taxe pour financer des bombardements à 1000 kilomètres de chez nous ou envoie des armes qui sont ensuite récupérées par les délinquants de nos quartiers ? Comment la censure de médias jugés pro-russes pourrait-elle être autre chose qu’une atteinte à la liberté d’expression ?

Ainsi, toutes les considérations sur l’efficacité ou l’utilité des sanctions développées dans l’article sont un contresens si l’on se place dans une optique libérale.

En effet, le libéral ne cherche pas à déterminer ce qu’il faut faire, il se demande qui a le droit de faire quoi. Le libéralisme est une philosophie du droit, pas un utilitarisme. Par conséquent, dire que les sanctions contre la Russie sont justifiées par des arguments géopolitiques (position au demeurant très contestable) est une opinion respectable, mais ce n’est certainement pas une position libérale. Les sanctions sont d’ailleurs d’autant moins défendables du point de vue libéral qu’elles ne viennent pas frapper ceux qui ont décidé de lancer cette guerre. En effet, elles touchent d’abord les citoyens ordinaires (russes ou européens), qui, d’un côté comme de l’autre, ne sont en rien responsables de l’invasion de l’Ukraine. Or, il me paraît évident que punir des gens pour un tort dont ils ne sont pas coupables est aux antipodes de la philosophie libérale.

 

La liberté ne s’impose pas

Les discussions sur l’utilité et l’efficacité des sanctions me semblent d’autant plus absurdes que personne ne peut apporter de réponse universelle à ces questions.

Il est légitime de penser qu’on ne peut pas rester sans rien faire devant l’invasion russe, mais il est tout aussi légitime de considérer que la guerre en Ukraine ne nous concerne pas. C’est peut-être une erreur ou de la bêtise comme le suggère l’auteur (« être libéral n’impose pas d’être ignare, ou niais en géopolitique »), mais la bêtise n’est jamais un argument contre la liberté, puisque celle-ci implique par définition le risque de se tromper ; si vous ne pouvez pas faire de mauvais choix, c’est que vous n’êtes pas libre. Concernant l’Ukraine, soit il est absolument évident que les sanctions sont nécessaires, auquel cas il est inutile de les imposer (puisque les citoyens les adopteront spontanément), soit leur utilité n’est pas évidente pour tous, auquel cas personne ne dispose de la légitimité pour les imposer de force.

Il me semble d’ailleurs un peu facile de défendre les sanctions lorsque les conséquences ne nous concernent pas, ou de manière supportable. Il me paraît évident que celui dont l’emploi dépend des relations commerciales avec la Russie ne portera pas le même regard sur la conduite à tenir que le journaliste qui commente la guerre depuis sa tour d’ivoire. Ainsi, si le second est convaincu de l’absolue nécessité de sanctionner la Russie, c’est à lui de convaincre le premier ou de négocier avec lui pour le dédommager des sanctions dont ils pourraient convenir ensemble. La liberté se négocie, elle ne s’impose pas.

 

La modestie, fondement de la pensée libérale

Être libéral, c’est accepter que d’autres portent des jugements différents des nôtres, qu’ils aient des aspirations différentes et qu’ils fassent par conséquent des choix différents.

Le libéral est ainsi selon moi celui qui a la modestie de reconnaître qu’il n’a ni la science infuse ni la légitimité pour décider à la place d’autrui. Ne pas adopter cette posture, c’est se risquer à sombrer dans l’utilitarisme, que l’on retrouve tout le long de cet article, et qui sert toujours de cheval de Troie au socialisme.

 

En contrepoints, l’article de Yves Bourdillon : « Les sanctions contre le Kremlin sont justifiées d’un point de vue libéral ».

Voir les commentaires (25)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (25)
  • Allez, un partout balle au centre.
    Mais pour cette ânerie du libéralisme = une philosophie du droit, carton jaune à Blanc [ha ha !].
    Pour un peu, avec ses 10 courants pour 3 votants, le libéralisme français va ressembler au parti des Verts [re ha ha !]

    -9
    • On pourrait presqu’en rire si on avait du « Le Christ possédait-il la robe qui le revêtait? » mais en fait vous avez raison, niveau stérilité et vacuité des joutes entre gardiens du temple libéral, on est au niveau des Verts ou des querelles entre sectes trotskystes. Bon d’un autre côté on est en (f)Rance, rien de bien étonnant.

  • Philosophiquement, l’auteur a sûrement raison. Mais historiquement, ce sont plutôt les empires belliqueux qui sont tendance à s’imposer DE FORCE aux paysans libéraux, indifférents et qui ne demandaient rien à personne! La Liberté, il faut bien la défendre.

    • Les décisions de sanctions économiques peuvent être des boycotts personnels ou des boycotts d’Etat. Les boycotts personnels ne sont jamais imposés par un empire à des paysans libéraux. En revanche, l’impératrice Ursula et le vice-roi Macron (Quel bel épithète que « vice-roi » !) me paraissent mal partis pour continuer longtemps à s’imposer, à moins de virer leur cuti.

  • Depuis quand la France est un pays libérale ? Nous sommes un pays soviétique : seuls ces pays récupèrent plus de la moitié des richesses produites par leur population, seuls ces pays font des planifications idéologiques (ex : énergies renouvelables) et non rentables pour alimenter quelques petits copains du régime, seuls ses pays se foutent du bien être de leurs citoyens et privilégient le pouvoir en place, seuls ces pays utilisent à grande échelle les médias et l’éducation pour diffuser leurs vérités uniques…
    Donc ces sanctions ne sont pas prises par un État libéral. Et la France est loin d’être libérale.

    10
    • Hors sujet.

      -6
      • Ben si : comme nous ne sommes pas un État libéral mais soviétique, les sanctions décidées par notre nomenklatura sont tout à fait légitimes. Et tant pis si le peuple se gel. Tous nos députés auront un bureau bien chauffé pour pouvoir mieux travailler.

  • Amusant cette capacité à voir un méchant état côté occidental, et à ne pas piper un seul mot sur l’agresseur, état lui aussi, purement autoritaire et à l’opposé des idées libérales dont il se fait littéralement l’adversaire. Etat qui agresse un voisin, tue de manière indiscriminée, mène des crimes de guerre.

    Ou quand la théorie se heurte à la réalité.

    -3
    • Non je ne crois pas que la discussion porte sur Poutine.
      La question est juste de savoir si les sanctions contre tous les Russes sont légitimes pour un libéral.
      Un gouvernement peut-il interdire à ses citoyens de commercer avec d’autres citoyens, fussent ils Russes ?
      Ma réponse est non.
      Après, chacun décide de son fournisseur d’énergie. Personnellement, j’aurais mon mot à dire, j’éviterai un fournisseur peu fiable car sous la dépendance d’un état agressif.
      Mais l’Arabie Saoudite, l’Algérie, le Venezuela aussi sont problématiques.

      11
      • Nolens volens, cette drôle d’approche a tout de la sophistique.
        Si vous êtes agressé, allez-vous pisser du raisonnement au kilomètre – en plus du sang – pour savoir si le bourre-pif que vous allez mettre, comme-ci ou comme-ça, à votre agresseur est légitime ou pas ?
        M’est plutôt avis que la seule position philosophique que vous allez adopter d’instinct – en plus de celle du boxeur – est celle du Manichéen : vous êtes le bon, et l’autre, c’est la brute et le truand.

        -7
        • C’est pourtant simple le libéralisme. L’état se limite au régalien. Il respecte les libertés individuelles.
          Si l’état français décide que l’agression Russe est un précédent fâcheux pour la sécurité européenne, l’état français peut déclarer la guerre à la Russie. Avec la conséquence d’échanger une insécurité possible à une insécurité certaine.
          Les Suisses restent neutres.. et armés.

          • Si c’était si simple, Blanc et Bourdillon ne s’écharperaient pas sur le sexe des anges.
            Et NB il y a plusieurs façons de faire la guerre.

            -3
      • Voyez d’ailleurs ce qui est arrivé à Mélenchon quand il a salué le courage de son lieutenant-gifleur Quatennens.
        La nature humaine est ainsi faite que celui qui porte le premier coup ne peut pas avoir raison.
        Tant que la réponse sera dans son intensité inférieure ou égale à l’attaque – c’est le cas d’une sanction économique contre l’irruption de chars et l’atteinte à la vie – elle sera légitime, dans TOUS les cas de figures.

        -3
      • En effet, la question porte sur la liberté de choix individuel, malgré les efforts de certains d’instaurer des notions de réponse obligatoire automatique sans qu’on sache qui a mis le mécanisme en marche. En tant que libéral, on doit pouvoir décider soi-même, et ne pas être contraint par une antériorité présumée d’un prétendu premier coup reçu. Car c’est trop facile de prendre ce prétexte pour nous embrigader dans une obéissance servile à des chefs justiciers auto-proclamés.

    • Le fait que des états aient pris parti dans la guerre civile ukrainienne après la « révolution de Maïdan » de 2014 ne donne aucune obligation morale, ni de choisir un camp, ni même d’en ranger un parmi les bons et l’autre parmi les méchants. Chacun doit rester libre de se comporter comme il l’entend. Personnellement, ce comportement consiste, dans la mesure où c’est possible, à agir dans le sens qui a le plus de chances de mener à la paix. L’abandon du libre commerce et des sanctions sont un acte guerrier, et ne peuvent pas dans mon esprit ramener la paix.

      • Face à un tyran belliqueux et paranoïaque – il voit des nazis partout comme un vulgaire gauchiste, c’est vous dire – je ne connais, moi, qu’un outil de pacification. Il s’intitule La leçon de 1980. On le doit à Dino Buzatti.

        -7
  • « puisque les citoyens les adopteront spontanément »

    Délire.

    -7
  • – Ne pas commercer avec qui que ce soit n’est pas une sanction et je n’y vois aucun inconvénient, ça s’appelle la liberté. Je n’oublie pas cependant que ce ne sont pas les Etats qui commercent mais des individus. ( on me le contestera en ces lieux, étonnement, je n’en doute pas ).
    – Forcer à individu à ne pas commercer ce n’est pas très libéral.
    – Confisquer la propriété d’autrui, même si mal acquise sans autre forme de procès au nom de principes libéraux, là je me marre carrément.
    – punir un peuple des actions de son dictateur cela ne le semble pas non plus très libéral, mais même si cela l’était cela ne le ferait pas changer d’avis.
    – se battre physiquement aux côtés des ukrainiens injustement agressé, ce n’est pas illibéral. Faut du courage. Je ne l’ai pas, je ne suis pas le seul visiblement. Et ce ne sont pas des sanctions qui me donneront bonne conscience.
    -J’envie la souplesse intellectuelle des va t’en guerre qui n’y vont pas. Moi c’est l’inverse, je ne veux pas faire la guerre, mais je me trouve bien lâche de ne pas y aller.

    • Ben oui les sanctions contre les Russes sont toutes non libérales.
      Elles sont toutes des réponses d’impuissants qui ne sont pas capable d’aller se battre contre les Russes sur le terrain ( comme pendant la guerre d’Espagne).
      Les fanatiques des sanctions sont des impuissants qui se contentent de symboles. Ils sont dans la pensée magique, le culte du cargo.
      Je vais bloquer le compte d’Hitler, il va prendre peur.
      Cr.t.ns.

    • « J’envie la souplesse intellectuelle des va t’en guerre qui n’y vont pas »
      Et allez, encore un fan de Poutine !
      🤣

      -8
      • Ouf! Merci pour ce contre-article avec qui je suis assez d’accord . Je n’avais pas relevé le fait que je fut naïf et ignare dans le premier peut-être n’étais je pas arrivé à le lire complètement… on peut d’ailleurs lui retourner le compliment pour avoir avalé toute la propagande des médias officiels de la pensée unique….
        Merci encore et bonne journée.

  • Ouf! Merci pour ce contre-article avec qui je suis assez d’accord . Je n’avais pas relevé le fait que je fut naïf et ignare dans le premier peut-être n’étais je pas arrivé à le lire complètement… on peut d’ailleurs lui retourner le compliment pour avoir avalé toute la propagande des médias officiels de la pensée unique….
    Merci encore et bonne journée.

  • Excellent article.
    J’aimerais bien ne pas utiliser du gaz d’Azerbaidjan.
    Mais on me l’impose : aucun moyen de le discriminer.
    Je préfère alors ne pas utiliser de gaz.

  • Bienvenue en France réfugiés ukrainiens et russes blancs aux yeux bleus

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

Que représentent les pays baltes pour la Russie de Poutine ?

Aur... Poursuivre la lecture

La démocratie libérale est un régime politique jeune et fragile. Elle commence véritablement à se concrétiser à la fin du XIXe siècle, et n’existe que dans une trentaine de pays dans le monde. Le primat de l’individu constitue son principal pilier qui est d’abord politique : garantir les droits naturels de l’Homme (la vie, la propriété, la liberté, la vie privée, la religion, la sécurité…) et limiter l’action de l’État¹.

La propriété de soi d’abord, la propriété des choses par le travail ensuite, la pensée critique (libre examen), la t... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles