Discours de la Sorbonne : Emmanuel Macron veut transformer l’école, mais comment ?

Le discours prononcé le 25 août à la Sorbonne prouve que le président de la République est convaincu de la nécessaire transformation de notre école, mais nous ne pouvons qu’être très sceptiques sur ses chances de réussite.

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Discours de la Sorbonne : Emmanuel Macron veut transformer l’école, mais comment ?

Publié le 30 août 2022
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Ce deuxième discours prononcé à la Sorbonne marque, cette fois, une grande humilité par rapport à la situation de la France. Le rêve enflammé d’Europe de 2017 fait place à un constat lucide.

 

Un constat lucide

Il est courageux d’exprimer de telles critiques face à un parterre de recteurs d’Académie et de hauts fonctionnaires, en partie responsables du bilan des (cinq) dernières années.

Ce bilan est en effet très modeste : quelques centaines de milliers d’élèves concernés par les dédoublements de classe, une réforme des parcours en lycée non aboutie… un Grenelle de l’éducation qui fait l’impasse sur une réelle transformation indispensable du fonctionnement de l’Éducation nationale et se contente de conclure à une nécessaire revalorisation générale de la rémunération des enseignants.

 

Un objectif louable mais aucune stratégie pour l’atteindre

Si l’objectif de mettre un terme aux inégalités sociales est très clair, il apparaît aussi très clairement que la stratégie pour y parvenir n’a toujours pas été élaborée.

Ces inégalités sont un fait patent. Les statistiques ont confirmé depuis des décennies la panne de l’ascenseur social. Ces inégalités sont une conséquence d’un fonctionnement erratique ; il s’agit donc de s’attaquer courageusement aux causes de cet échec dans un pays qui prétend, contrairement à d’autres, constamment mettre en avant le principe d’égalité.

Le président de la République, un peu mieux informé que certains de ses concitoyens sur l’Europe, sait que l’école n’est plus seulement un transmetteur de connaissances mais également un lieu de vie et d’épanouissement des personnalités qui construiront la société de demain. Cette idée partagée par une grande partie des citoyens européens ne l’est pas encore en France où le rappel des « savoirs fondamentaux » revient comme un refrain, à chaque occasion, dans les discours des hommes et des femmes politiques, qui devraient, de même que les médias, expliquer qu’il ne s’agit pas de « bien-être » à l’école mais de pouvoir d’agir, ce que le terme anglais d’empowerment désigne plus précisément.

Il s’agit en effet comme le Président l’indique, de développer la confiance en soi, mais au service de l’action.

 

Un président mal informé

Cette capacité d’action qu’il nous faut en effet développer chez chaque élève nécessite réellement une révolution copernicienne.

Malheureusement il nous faut ici rappeler qu’une telle révolution avait déjà été annoncée à juste titre par le ministre Robien en 2005 car il s’agissait de mettre en œuvre une loi d’inspiration européenne, « Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école », désignée à tort en France comme « Loi Fillon ». Elle introduisait notamment le principe de l’expérimentation, impliquant les volontaires désireux de s’investir dans des tâches supplémentaires. Cette loi, dont avaient été expurgés les termes « entrepreneuriat » et « apprendre à apprendre », était en fait une traduction quasiment fidèle des recommandations européennes. Elle mettait enfin en place une formation et une évaluation par compétences, dans ce qu’il fut convenu d’appeler le « socle commun », pour désigner les connaissances, compétences et attitudes à acquérir avant la fin de la scolarité obligatoire.

Pour rappel, dès 2007 le président Sarkozy souhaitant séduire le milieu enseignant grâce à son ministre Darcos, issu du sérail, décida d’offrir des heures supplémentaires à qui voudrait travailler davantage. Le cadeau fut bienvenu mais constitua une reculade par rapport à l’ambition de transformation du gouvernement précédent, car il renforçait seulement l’enseignement disciplinaire. Le rapport de la Cour des comptes l’avait démontré dans son rapport de 2010.

Il faut bien comprendre que les termes utilisés dans les années 1980 « savoirs, savoir-faire, savoir-être » désignaient les mêmes objectifs et ne furent pas davantage admis par une grande majorité d’enseignants et de parents. La refonte du système de formation des enseignants voulue en 1982 par le ministre Savary et élaborée par André de Peretti rencontra les mêmes obstacles et le même acharnement des opposants réactionnaires.

Pour rappel, le projet d’établissement, école par école, découvert récemment par le président Macron, décidément mal informé, fut institué par le ministre Jospin, inspiré par Claude Allègre, en 1989 et boycotté depuis plus de trente ans par les syndicats enseignants hostiles à toute différentiation entre les établissements qui pourrait mener à un recrutement sur postes à profil.

Il est malheureux que le terme choisi par le président de la République pour le Conseil National à venir soit celui de Refondation, car ce terme est celui qui fut choisi, dès l’arrivée au pouvoir des socialistes, pour mettre un terme à la loi dite Fillon, cette loi d’inspiration européenne, condamnée à disparaître et avec elle tout espoir de transformation en profondeur du système éducatif français. Le ministre Robien avait raison de parler à l’époque d’une révolution copernicienne. Elle n’a pas eu lieu.

« La loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la république » a effacé tout danger d’influence européenne, donc « libérale ». Un cadeau vivement apprécié par les enseignants réfractaires au changement !

 

Quel avenir pour la France ?

Car il s’agit bien de l’avenir de la France et non seulement de celui de l’école !

Nous avons tout lieu de croire que cette fois encore la révolution copernicienne n’aura pas lieu car en annonçant prudemment le principe de volontariat, le président de la République considère, comme ses prédécesseurs bien intentionnés, qu’il est indispensable de contourner l’écueil que représentent les syndicats enseignants et leurs alliés de la France Insoumise, voire probablement prochainement du Rassemblement national. Il ne parviendra donc pas au changement souhaité.

Ni un fonds d’aide à l’innovation de 500 millions d’euros, ni son pouvoir incantatoire de Président ne pourront transformer ce pouvoir vertical, exercé par une hiérarchie qui n’a plus lieu d’être. L’« accompagnement », une sorte de service à la personne auprès d’enseignants et de chefs d’établissement volontaires, n’aura lieu que si les termes du contrat liant les corps d’inspection est profondément modifié. Ceux qui le refuseront devraient, à mon sens, se voir offerts des contrats de droit privé par des agences indépendantes du pouvoir, seules aptes à réellement évaluer les résultats du M.E.N. On ne peut être à la fois juge et partie.

Il faut avoir le courage de s’attaquer au cœur de cible, la volonté de faire de l’innovation un principe organisationnel et non une fioriture.

J’ai déjà décrit dans de précédents articles et dans mon livre, publié en 2014 Virage européen ou mirage républicain ? Quel avenir voulons-nous ? les 5 leviers à actionner pour ce faire :

  1. Auto-évaluation des établissements
  2. Suppression ou transformation de missions devenues obsolètes
  3. Modification du recrutement des personnels
  4. Modification de la formation des personnels
  5. Participation des entreprises dans l’enseignement général, de l’école primaire au lycée

 

Concernant ce dernier levier – last but not least – la participation active des entreprises, dans les autres pays européens, vise à déclencher une transformation structurelle ascendante des programmes formels d’enseignement primaire et secondaire, notamment en sciences, grâce au développement de compétences en matière d’innovation, impliquant directement les entreprises dans le programme scientifique officiel.

C’est la seule voie à suivre, pour permettre à la France de mieux former ses élèves et ses professeurs et aussi pour relever le défi de la compétitivité économique. La R.E.F. organisée par le MEDEF aujourd’hui ne prévoit toujours pas de table ronde autour de cet enjeu et de ces pratiques ayant cours ailleurs.

 

Le discours prononcé le 25 aout à la Sorbonne prouve que le président de la République est convaincu de la nécessaire transformation de notre école, mais nous ne pouvons qu’être très sceptiques sur ses chances de réussite. Souhaitons qu’il se ravise et n’évoque plus de Refondation, synonyme de la volonté de se débarrasser de l’influence européenne pour revenir au modèle franco-français, incapable de faire ses preuves ! L’envie d’Europe du président semble oubliée dans ce domaine précis, où elle serait tant souhaitée !

L’heure n’est plus au constat. Action !

 

Mis à jour le 30/08/2022 à 8h20.

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  • Je ne comprends pas bien ce que l’entreprise peut apporter à l’enseignement primaire. Aurait-elle une potion magique pour obtenir que les enfants sachent à nouveau lire, écrire et compter comme leurs grands-parents au même âge ?

    • Ni les enseignants ni les parents ne semblent juger lire, écrire et compter comme des facteurs essentiels à la réussite professionnelle. La question me paraît plutôt de savoir si les entreprises ont les moyens de détromper les jeunes enfants et de les motiver. En même temps, elles pourraient aussi leur enseigner, ainsi qu’à leurs parents, qu’on peut s’épanouir dans une vie professionnelle…

  • Le Président devrait visiter les écoles Européennes qui sont réservés aux fonctionnaires Européens aux membres de l’OTAN et les enfants de certains politiciens, cela représente +/- 30000 élèves, un recrutement très sélectifs pour les enseignants. Evidemment cela coute très cher aux contribuables Européens, tout comme les parents de ces enfants, Usurla Albrecht- Von der Leyen a fréquenté ces écoles et un certain Johnson aussi. Mr Macron cherche-t-il un nivellement vers le haut, ou le moyen de faire de nouvelle économie ?

  • Nivellement vers le bas, telle est la devise de l’éducation nationale. Et pour plusieurs raisons.
    1) les camarades CGT créent des futurs communistes : 80% des élèves auront un niveau qui leur permettra au mieux de prétendre à un travail payé au SMIC. Il seront donc accro aux subventions et contre les riches qui auront réussi.
    2) les enseignants n’ont pas à se fatiguer pour que le niveau des élèves évolue. 850 h par an de travail (sauf pour les enseignants chercheurs comme S. Rousseau pour qui c’est 218 h de cours par an), c’est bien pour un job payé 2000 € net comme débutant. Surtout s’ils se débrouillent pour ne pas enseigner (50% du corps enseignant).
    3) au nom de l’égalité, comme il est difficile d’élever le niveau d’un enfant qui ne veut pas travailler ou qui a besoin d’aide, l’EN préfère baisser celui d’un élève motivé pour apprendre.
    4) heureusement, pour nos élites comme notre ministre de l’Enseignement, il y a des écoles privées particulières qui évitent que leurs enfants ne deviennent des sans-dents. Mais l’EN ne veut pas généraliser cet enseignement dans les écoles pour conserver un ascendant sur les sans-dents.

    • Le couplet sur ces « feignants de profs » est outrancier.
      850h de travail, c’est le nombre d’heures de cours ? Il faut y rajouter les heures de préparation. Mais surtout – et c’est ça qui est important – si certains profs sont effectivement des « paresseux », il y en a beaucoup qui croient dur comme fer à leur « mission » et qui ont un niveau d’engagement très fort (dans des conditions souvent difficiles). Le problème est plutôt managérial : rien n’est fait pour encourager les meilleurs.
      50% du corps enseignant qui n’enseignent pas > je suis extrêmement surpris par ce chiffre. Les données que j’ai sont plutôt de l’ordre de 35.000 profs (sur plus de 800.000), ce qui est déjà énorme.
      Quand au couplet sur la baisse du niveau sciemment organisée, c’est n’importe quoi. Comme le disait Alain Madelin : « quand vous hésitez entre complot et incompétence, pariez plutôt sur l’incompétence ».

    • Le refrain sur les enseignants fainéants bien payés est d’une bêtise crasse.

      Il y a pourtant beaucoup de choses à reprocher à l’EN mais alors cette critique est totalement à côté de la plaque.

      • A l’heure, ils sont extrêmement bien payés. En revanche, ceux qui ne compteraient pas leurs heures, pourraient effectivement se plaindre, mais y en a-t-il seulement ?

        • « A l’heure, ils sont extrêmement bien payés. »
          C’est faux.
          16 euros de l’heure en moyenne. C’est moins que le salarié moyen bac+3 du privé.
          Les salaires des professeurs sont inférieurs à ceux des actifs du privé de 23% dans l’école primaire et de 12% au collège. (et je ne compare pas aux salariés bac+5 bien que ce soit le niveau désormais requis pour passer les concours…)

  • A cette excellente analyse je n’apporterais que deux petites remarques : 1) il ne faut pas, selon moi, opposer l’acquisition des « connaissances de base » à une révolution copernicienne indispensable, dont les apports vitaux des « savoir être » et du « apprendre à apprendre » que je rapprocherai encore une fois de la pratique de « l’empowerment » qui m’est cher. 2) toute révolution doit anticiper le handicap actuel et grandissant que représente le fait qu’en moyenne une classe de maternelle est composée en France de 30% d’élèves dont le Français n’est pas la langue maternelle, pourcentage qui monte à 80% dans certaines zones de notre pays.

    • Concernant les élèves non francophones, un simple témoignage d’un mari d’institutrice : même dans une zone « privilégiée », on compte désormais un, deux ou trois élèves qui arrivent de pays étrangers, totalement analphabètes et parfois ne parlant pas français.
      Ces élèves sont scolarisés avec les autres élèves du même âge. S’ils ont l’âge d’être en CM1, ils seront en CM1.
      L’institutrice doit dès lors faire un cours sur la multiplication ou l’Histoire de France et, en parallèle, prévoir un cours spécifique pour les élèves étrangers.
      Tout ceci prend du temps.
      Résultat : si les « bons » élèves continueront de bien avancer, ceux qui sont plus « justes » ne pourront bénéficier du surcroît d’attention dont ils auraient besoin.

      • Vous avez tout à fait raison. C’est un autre sujet d’inégalité, dans des classes avec autant de niveaux différents, seuls quelques meilleurs s’en sortent.

        • Le drame au contraire est que trop souvent les meilleurs sont tirés vers le bas, s’ennuient à mort au point parfois de devenir des voyous. Et un voyou intelligent c’est encore plus toxique.

  • Les enseignants devraient avant tout refuser d’être soumis aux lubies des politiciens et des administrations publiques qui, entre autres élucubrations, ont notamment imposé la méthode globale dans l’apprentissage de la lecture.
    Un exemple à suivre : https://www.scholanova.be/index.php/fr

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