Depuis mon article « Quand la Chine s’effondrera » paru dans Les Échos en 2014, le contexte a beaucoup changé et l’admiration excessive pour la réussite chinoise a fait place à  une crainte grandissante des Occidentaux face à cette superpuissance. Pourtant les fragilités de l’économie chinoise, que je soulignais alors, se sont en partie concrétisées et, à mon avis, ce n’est pas fini…
Pourquoi la croissance chinoise est en panneÂ
Au début des années 2010, il apparaissait déjà  qu’une partie des grands travaux chinois étaient artificielle, du fait d’un mélange d’orgueil planificateur et de corruption : une production hallucinante de logements impossibles à remplir, un maillage de TGV et d’autoroutes disproportionné etc. Au-delà  du gigantesque gaspillage de matières premières, cela n’était visiblement pas durable.
Comme je l’avais anticipé en 2014 dans mon article reproduit ci-dessous, la croissance chinoise accuse depuis un très net ralentissement, qui peut encore s’aggraver selon moi, à court, moyen et long terme.Â
À court terme, l’offensive contre le privé, l’effondrement immobilier et la pandémie
Le secteur privé chinois a très bien réussi, ce qui a fini par inquiéter le parti. La reprise en main a été brutale et plusieurs grandes entreprises chinoises ont perdu une grande partie de leur valeur boursière. C’est un des moteurs de la croissance chinoise qui a été ainsi bridé.
À cela s’ajoute la quasi-faillite d’Evergrande, deuxième promoteur immobilier chinois, survenue en octobre 2021. Cette entreprise a désormais une dette insolvable équivalente à 2 % du PIB chinois (à peu près 260 milliards de dollars). Les banques chinoises sont en train d’essayer de diluer les effets de cette faillite, mais des promoteurs de moindres tailles sont également en difficulté. Rappelons que le secteur de la construction est responsable de 30 % du PIB.
C’est un obstacle au souhait de Xi Jinping de faire passer l’économie chinoise, basée sur l’exportation, à une économie basée sur la consommation intérieure.
S’ajoute à cette situation, la gestion de l’épidémie et la stratégie « zéro covid ». Cette stratégie d’un confinement total de chacun, chez soi ou parfois dans son usine, semble être d’abord un choix politique dans la ligne de durcissement du contrôle de la société par le pouvoir.
Est-ce efficace ? Sur le plan sanitaire ça rappelle la moindre efficacité des vaccins chinois. Sur le plan économique, selon la banque Nomura, 350 millions de personnes sont confinées, réparties dans une quarantaine de villes, représentant 40 % du PIB chinois. On imagine la production perdue, et de nouveaux retards de livraison des produits déjà fabriqués, ce qui freine la production des autres pays du monde.
À moyen et long terme, la diminution de la population active​
Tout cela se combine avec la question démographique. Le déclin prévisible de la population chinoise est en train de se concrétiser.
Le président Xi a brusquement pris conscience des dégâts causés par la politique de l’enfant unique. Trop tard : la diminution du nombre de Chinois de moins de 30 ans non seulement handicape l’économie, mais surtout va réduire encore le nombre de parents et enclencher le cercle vicieux à la baisse.
Les encouragements à une reprise de la fécondité ne semblent pas avoir d’effet pour l’instant. La reconversion de la puissante administration de l’enfant unique vers les encouragements à  trois enfants va être ardue : il est plus facile de faire pression sur une femme, via son employeur, pour la faire avorter que de déclencher une grossesse supplémentaire. Parallèlement le pouvoir demande aux femmes maintenant très qualifiées de rester au foyer, réduisant encore la main-d’œuvre des jeunes.
À long terme l’effet de l’isolement et de la méfiance réciproque
Le reste du monde commence à prendre conscience des inconvénients pratiques de produire en Chine. S’y ajoutent les menaces politiques tant à l’intérieur avec le contrôle croissant du parti sur les entreprises privées, étrangères comprises, qu’à l’extérieur avec les menaces sur Taïwan et les revendications territoriales au détriment des pays voisins dans la mer de Chine du Sud.
Il en résulte une relocalisation des usines d’assemblage d’entreprises occidentales dans d’autres pays d’Asie du Sud-Est, mais aussi en Amérique latine et en Europe orientale.
Pour la Chine, c’est une source importante de financement et d’apport de technologies qui diminue et va peut-être disparaître.
À plus long terme s’accentue la coupure des liens humains et intellectuels avec le reste du monde, probablement pour des raisons politiques.
Actuellement la pandémie sert de prétexte pour empêcher les cadres étrangers de revenir travailler dans les entreprises chinoises, mais plus généralement la fermeture d’Internet sur le reste du monde et son contrôle tatillon à l’intérieur sont incompatibles avec les contacts avec des étrangers. D’ailleurs les campagnes politiques contre « la pollution par les idées occidentales décadentes » montrent bien qu’il s’agit d’une attitude générale dépassant largement les questions sanitaires.
Les conséquences de cet isolement ne seront pas mesurables, mais je pense qu’à long terme elles vont peser sur la productivité chinoise.
Pour conclure, tout cela ne fait que renforcer l’analyse de mon précédent article de 2014, que je reproduis ci-après.
Annexe
Quand la Chine s’effondreraÂ
Article paru dans Les Échos en janvier 2014
Oui, c’est possible, même si ce n’est pas le plus probable, les hommes et les régimes sachant parfois s’adapter à temps. Bien sûr, je détourne par ce titre celui du livre à succès d’Alain Peyrefitte Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera (1973), qui reprenait un propos de Napoléon.
Après Napoléon, la Chine s’est effondrée ; après le livre d’Alain Peyrefitte, elle a mis près de 20 ans à rouvrir les yeux. Mais à mon avis, elle n’est pas encore bien réveillée et un nouvel effondrement reste possible.
Je résume d’abord une controverse lue dans Les Échos (cf l’article « Le ralentissement est inéluctable« ) : Alexandre Mirlicourtois, directeur de la conjoncture et de la prévision de Xerfi, y rappelle que la croissance chinoise « est passée d’un rythme supérieur à 15 % à moins de 10 % aujourd’hui ». Un lecteur a réagi vivement à cette perspective de ralentissement en insistant sur les points positifs de l’économie chinoise, mais ses arguments ne sont parfois pas fondés, et je vais en contredire certains au fil de cet article.
Je vais beaucoup plus loin qu’Alexandre Mirlicourtois, car je pense qu’à long terme l’alternative sera l’effondrement ou un taux de croissance très bas, pour les raisons que je vais développer.
Des progrès importants, mais…
Les progrès chinois sont bien connus, mais sont à nuancer :
– Si la croissance annuelle a bien été de 10 % puis de 7,5 % elle n’est pas miraculeuse puisque largement expliquée par le rattrapage, phénomène qui n’a qu’un temps (voir plus bas), et elle a massacré l’environnement au point de peser sur l’état sanitaire du pays,
– Si la scolarisation est générale, et souvent de bonne qualité pour le socle (la région de Shanghai est en tête dans le dernier PISA) : lecture, écriture, calcul et mathématiques, elle est paralysante à partir d’un certain niveau dès que l’on sort de la technique : blocage politique en histoire, en sciences humaines et en appréciation du monde extérieur, sans parler d’un endoctrinement nationaliste dangereux pour le reste du monde,
– Si la Chine proclame son pacifisme et insiste sur les échanges culturels notamment via ses 400 instituts Confucius, cette recherche de « l’influence » n’arrive pas à sortir du rapport de force politique et économique, contrairement à celle du soft power des États-Unis, voire de l’Occident dans son ensemble,
– Si le pays est sorti de la terreur politique et des massacres, il y a des milliers d’émeutes locales et de répressions chaque année,
– Si on peut maintenant parler librement en privé, la vie intellectuelle reste très surveillée, l’activité Internet très encadrée, surtout avec l’étranger ;  outre l’échec humain, cela freine la créativité économique.
Finalement, l’accumulation des erreurs économiques du fait de la corruption et dufavoritismese fait de plus en plus sentir.
Un handicap supplémentaire : la démographie
On mesure mal la catastrophe humaine et économique qu’a été la politique de l’enfant unique : intrusion dans l’intimité du couple, brimades, pression à l’avortement, fraude et corruption. Cette politique a été peu à peu assouplie, et vient encore de l’être. Mais elle demeure.
Il est très aventureux de dire que la fécondité va remonter à deux enfants par femme (même controverse dans un commentaire de l’article ci-contre) du fait de cet assouplissement, non seulement parce qu’il n’est pas total, mais aussi parce que les ménages réduisent spontanément leur fécondité à 1,3 enfant par femme, voire moins, comme au Japon, en Corée et à Taïwan, pays de civilisations voisines. Il y a beaucoup de raisons à cela, dont le coût élevé de l’éducation, souvent privée à titre principal ou complémentaire, le coût du logement et la difficulté de concilier travail et enfants.
Donc la perspective d’une population chinoise recommençant à augmenter au lieu de diminuer n’est pas fondée. De plus, la pyramide des âges est profondément déformée, on manque de jeunes adultes (et notamment de jeunes femmes du fait des avortements sélectifs) et bientôt d’adultes d’âge moyen.
Tout ce qui précède amène à se demander s’il s’agit vraiment d’une croissance au sens courant du terme.
La vraie croissance ?
La « vraie » croissance est l’augmentation du pouvoir d’achat utilisable par chacun.
Est-ce le cas en Chine ?
En partie oui, naturellement, puisque l’on mange (les famines ont disparu, mais la nourriture n’est pas sanitairement fiable, la corruption enlevant toute efficacité aux contrôles), qu’on s’habille, qu’on achète des voitures, qu’on bénéficie de l’école publique et qu’on a de quoi se payer l’école privée. Mais en partie seulement puisque faute d’un système de protection sociale, chacun est obligé d’épargner massivement, ce qui rend non utilisable une partie du pouvoir d’achat.
C’est illustré par le fait que la consommation des ménages n’est que de 34 % du PIB, contre environ 58 % en France, pays économe, et près de 68 % aux États-Unis. Autrement dit, un Chinois ne dispose effectivement que du tiers du PIB par tête, situation aggravée par le fait que l’énorme épargne de précaution n’est pratiquement pas rémunérée et ne garantit pas de pouvoir se procurer les services correspondants (santé, retraite ayant suivi l’inflation, etc.).
Où passe donc le reste du PIB ?
En grande partie dans l’investissement, ce qui paraît positif, mais est en réalité un gaspillage de matières premières, d’énergie et de travail puisqu’une partie des TGV, des autoroutes et vraisemblablement des logements et des usines ne sont pas indispensables et seront sous-utilisés. Et pour le reste du PIB, c’est le secret des dieux. On parle de gigantesques fuites à l’étranger, car les responsables sont conscients du risque d’effondrement, ou de celui de ne plus être en cour et de se retrouver brusquement sans rien.
Par ailleurs, la corruption et le favoritisme d’une part, la gigantesque pollution d’autre part, génèrent des coûts cachés de centaines de milliards de dollars (créances irrécupérables, mesures sanitaires d’urgence, équipement de dépollution des usines et des eaux usées, réhabilitation des eaux et des terrains…). Ces coûts cachés apparaîtront un jour, et pourraient contribuer à un effondrement, dont la raison immédiate serait une panique financière, une catastrophe sanitaire ou des révoltes populaires que l’armée ou la police renonceraient à réprimer.
Ou, si la réaction a lieu à temps, car les responsables sont très conscients de danser sur un volcan, le ralentissement que je vais annoncer plus bas sera accentué par les efforts qu’il faudra financer pour éviter cet effondrement.
Le rattrapage est un processus transitoire
On oublie que la Chine partait d’extrêmement bas et qu’elle ne fait que retrouver une partie de la part qu’elle avait jusque vers le début du XIXe siècle dans l’économie mondiale. La fin du règne de Mao s’est terminée dans un chaos total qui a mis l’économie au plus bas. Dans un premier temps, le simple retour à un régime communiste « normal » s’est traduit dans les statistiques par un bond en pourcentage. Dans un deuxième temps, les réformes de Deng ont pris le relai, notamment avec l’ouverture à l’investissement étranger.
Cette ouverture, déjà testée avec succès dans beaucoup d’autres pays, y compris chinois (Taïwan, Singapour, Hong-Kong) ou de civilisation chinoise (Japon, Corée), permet à tout gouvernement, même moyennement mauvais, d’opérer un rattrapage permettant des taux de croissance à deux chiffres. En effet, l’Occident (au sens large employé en Chine, qui comprend Taiwan et le Japon) lui amène gratuitement non seulement la technique (500 euros pour un ordinateur ayant historiquement coûté des dizaines d’années de milliers d’ingénieurs occidentaux), mais aussi l’expérience des organisations les plus efficaces.
Mais cela n’a qu’un temps : la force de rappel est moins en moins puissante au fur et à mesure que l’on se rapproche du niveau des pays développés. Il faut alors tout payer à son prix, les salaires comme le développement. Les étrangers cessent de venir en masse pour profiter des bas salaires sans se soucier de l’état du reste du pays ; cela a déjà commencé en Chine.
Cette situation post-rattrapage est celle du Japon depuis plus de 20 ans. Le bon côté est que le pays se met alors à respecter les normes internationales, par exemple celles de la propriété intellectuelle, car il craint alors d’être lui aussi pillé.
Quel taux de croissance une fois le rattrapage terminé ?
Je n’en sais rien bien sûr, mais remarque que ce taux a varié entre 0 et 2 % dans les périodes « normales » des pays développés depuis deux siècles (on oublie souvent que 1 % est une croissance rapide à l’échelle historique, puisqu’elle entraîne un doublement tous les 70 ans, ce qui n’est arrivé que très rarement depuis 2000 ans).
Par « périodes normales », je veux dire en dehors des crises ou des rattrapages, comme la crise de 29 ou les Trente glorieuses. On peut donc imaginer que le taux de croissance chinois baissera progressivement vers ce niveau jugé aujourd’hui invraisemblablement bas. Cela à long terme bien sûr, lorsque le rattrapage sera terminé. On constatera d’ici là des taux intermédiaires.
En conclusion
La Chine a fait le plus facile, mais aussi le plus calamiteux. Saluer les résultats importants, mais partiels d’aujourd’hui est une chose, les extrapoler à l’infini est autre chose, et fort imprudent. Il y aura forcément au pire un effondrement, au mieux un fort ralentissement. Les circonstances mettront en avant tel ou telle cause, mais le processus de fond est celui ci-dessus.
Bien sûr aussi, le gâchis actuel n’est pas perdu pour tout le monde et les futurs travaux de dépollution ne le seront pas non plus. Bien sûr, la Chine développée sera une économie extrêmement importante, même en croissance lente. De nombreux entrepreneurs, notamment français, pourront donc se réjouir de ces perspectives et il faudra que nos élites privées et publiques soient de bonne qualité pour que nous en profitions.
Mais, effondrement ou plafonnement, l’onde de choc sera puissante et il y aura aussi des perdants.
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La chine est une dictature… à prétexte collectiviste..
le sort de la chine est dans les mains des chinois, tout cela pour dire la croissance de la chine je m’en fous tant qu’elle ne me concerne pas…elle m’inquiete, un peu car je sais que le parti communiste aura besoin d’un ennemi si il perd le soutien du peuple dont il a disons la gratitude paradoxale pour la prospérité accrue..il va basculer vers le nationalisme..
D’un point de vue libéral si la chine s’écroule économiquement LIBREMENT… grand bien lui fasse c’est son choix. comme le choix du décroissant occidental qui retourne vivre dans la nature.. donc si des bulles crées par l’etat explosent …
Des tas d’occidentaux admirent la chine pour des raisons vicieuses , elle réussit à atteindre des buts collectivistes… ils omettent de voir le prix en terme de libertés et vies humaines et oublient que sans la direction économique de l’etat, il sauraient peut être fait mieux économiquement.. et certainement mieux en terme de libertés individuelles!!!
je suis désolé moi quand je vis le programme électronucléaire français ou le système énergétique en général je ne vois pas le prix de revient de l’electricté…ou les tarifs. et je dis youpi merci l’état … je vois les spoliations diverses et variées…
Et on ne sais pas sortir d’un système collectiviste sans creer des frustrations profondes et du ressentiment… tiens l’uinon soviétique..
La Chine avait commencé à s’ouvrir, partiellement. La reprise en main totale par le Parti est récente, elle est le fait du dirigeant actuel qui a commencé à restaurer (à son profit) le culte de la personnalité, et a fortement accéléré sur les 2 dernières années – à mon sens elle est à mettre en parallèle avec les luttes d’influence qui doivent avoir lieu en coulisse pour le contrôle du Parti, et donc du pays.
Et effectivement, le risque est que, si la situation intérieure devient vraiment compliquée, la direction du Parti trouvera un ennemi extérieur pour catalyser l’énervement des masses et masquer son incapacité à diriger correctement. À ce moment, la Chine ne sera plus la « puissance pacifique » qu’elle se vante encore d’être.
La Chine avait annoncé la couleur depuis 2015 : fin des surcapacités productives, désendettement des agents, lutte contre la spéculation immobilière et boursière, fin des plans de relance massifs par l’offre destinés à contenter Oncle Sam, et enfin indépendance progressive par rapport au système dollar. Les choses ont été dites et écrites à de nombreuses reprises depuis 7 ans, mais pas grand monde ne les a pris au sérieux. Contrairement aux Occidentaux, Pékin s’est préparé à la grande bifurcation qui commence à impacter le monde entier, et dont la crise ukrainienne n’est qu’un catalyseur. Certes c’est une dictature, mais cela n’explique pas l’absence de vision de nos dirigeants. Ou plutôt devrions-nous parler d’aveuglement.
vision?
pari..
que le dirigisme économique perdure..
l’auteur utilise le mot effondrement mais aussi ralentissement…
amusant en fait le dirigisme économique est renforcé par la peur d’ l’effondrements… qu’il remplace par un « pourrissement » ..
le concept de .crise économique n’est pas neutre..
l’economie libre trouve sa place par action et réaction.. ça va ça vient par nature..l’amplitude des va et vient dépendant de la spéculation et de l’incertitude.. il n’y pas de raisons de dire qu’un effondrement est un régime particulier…ou qu’il existe des crises…
et ce n’est pa neutre ….car vous savez quand il ya une « crise sanitaire », le peuple veut être protégé.