Ukraine : ce que craignent les Occidentaux du « réalisme » de Poutine

La constitution d’un bloc autour de la Russie et de la Chine pour peser sur les relations internationales risque d’amoindrir la démocratie comme modèle politique, et plus généralement la liberté individuelle dans le monde.

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Putin und Medwedew by Jurg Vollmer (creative commons) (CC BY-SA 2.0)

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Ukraine : ce que craignent les Occidentaux du « réalisme » de Poutine

Publié le 19 février 2022
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Sur le plan géopolitique, la Russie est tributaire de sa géographie, et la plaine d’Europe du Nord, située entre la mer du Nord, la mer Baltique jusqu’en Allemagne, Pologne et République tchèque offrent aux yeux de ses dirigeants depuis des siècles la possibilité constante d’une invasion. Aux yeux des stratèges du Kremlin, en contrôler l’accès directement ou indirectement est une question de sécurité nationale essentielle.

La pointe de la plaine d’Europe du Nord côté occidental se termine par le corridor étroit qu’est la Pologne, qui constitue donc pour Vladimir Poutine un pivot stratégique essentiel, pour reprendre le jargon de la géopolitique. Pour les Russes, la longue bande de terre plate qui s’étend de la France jusqu’à Moscou offre autant un boulevard pour les invasions venues d’Occident, mais aussi une protection de pratiquement 5000 km. Napoléon ou Hitler s’y sont cassé les dents par le passé.

Les origines de la défiance russe

Comme le rappelle Tim Marshall dans son livre Prisoners of Geography (2015), la paranoïa stratégique russe n’est pas totalement dépourvue de fondement historique. En 500 ans, la Russie a été envahie plusieurs fois. Les Polonais traversent la plaine d’Europe du Nord en 1605, suivi par les Suédois sous Charles XII en 1708, les Français en 1812 et enfin les Allemands par deux fois, en 1914 et en 1941.

Insistons en particulier sur la dernière invasion allemande, « grande guerre patriotique » qui a coûté à l’URSS plus de 25 millions de vies. Vladimir Poutine lui-même vient de Saint-Pétersbourg, ex Léningrad, ville martyr de la Seconde Guerre mondiale.

Victime d’un des sièges les plus longs de l’histoire moderne, Léningrad est encerclée par la Wehrmacht en 1941, et se libérera en 1944 en payant un lourd tribut : ce sont 180 0000 soviétiques qui meurent, dont un million de civils. Parmi eux, le frère de Poutine, dont la famille modeste s’astreint à vivre dans une ville en ruines et en perdition.

La victoire alliée est donc pour la Russie l’occasion rêvée d’étendre sa domination sur les pays frontaliers pour protéger son cœur stratégique, donnant à un objectif traditionnel depuis au moins le Xe siècle une coloration collectiviste brutale et sans pitié. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les anciens pays satellites de l’ex-géant russe se sont précipités dans les bras de l’OTAN lors de sa chute en 1991.

Le bouclier militaire américain leur promet une protection contre une Russie dont les intérêts stratégiques tendent à favoriser la formation d’un « glacis protecteur », c’est-à-dire une zone d’influence directe ou indirecte sur ces voisins européens.

La patate chaude ukrainienne

Et c’est là qu’arrive en scène l’Ukraine. Tant que le gouvernement de Kiev était pro-russe, le Kremlin ne trouvait rien à redire. Elle demeurait une zone tampon protégeant la plaine d’Europe du Nord tant redoutée par les Russes. À partir du moment où le pays ne cherchait pas à intégrer l’Union européenne ou l’OTAN, à maintenir le contrat que la Russie avait sur Sébastopol en Crimée, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes de l’autocratie russe.

Mais la situation a basculé sous l’impulsion de Viktor Yanukovych, qui pensait pouvoir jouer sur deux tableaux, jouant l’allégeance à Moscou tout en cherchant à développer les échanges avec l’Union européenne, que les diplomates de Poutine réduisent au cheval de Troie de l’alliance atlantique.

Maintenant, du point de vue autant occidental qu’européen, vivre sous la possible domination d’une autocratie russe n’est pas un programme très exaltant et la stratégie de tension adoptée vis-à-vis de l’Occident n’augure rien de bon pour la liberté et les droits de l’Homme dans le monde, et pas seulement en Europe centrale.

Elle en trouve un résumé saisissant sous la plume d’Henry Kissinger, qui, dans L’ordre du monde (2014) oppose au mécanisme d’équilibre multipolaire européen la géopolitique russe formée « à la rude école de la steppe, où une série de hordes nomades rivalisaient pour s’emparer des ressources existantes en terrain ouvert, avec peu de frontières définies. »

Il ajoute :

« Les razzias et l’asservissement de populations civiles étrangères étaient des événements courants, et même un mode de vie pour certains […]. La Russie affirmait son attachement à la culture occidentale, mais -alors que ses dimensions s’élargissaient de façon exponentielle- elle finit par se considérer comme un poste avancé et assiégé de la civilisation, qui n’accéderait à la sécurité qu’en soumettant ses voisins à sa volonté absolue. »

Nous voilà donc prévenus, et le droit libéral des peuples à l’autodétermination ne fait pas partie du lexique russe quand les peuples sont à proximité.

Le pivot géographique de l’Eurasie

S’il faut parler de point de vue occidental, il ne s’agirait pas de le confondre avec un point de vue eurocentré, loin de là. On retrouve en effet dans la pensée du britannique Halford J. Mackinder (1861-1947) la mise en récit des craintes occidentales vis-à-vis de l’autocratie russe, craintes qui nécessitent de comprendre l’échiquier géopolitique à l’échelle planétaire tel qu’il le conçoit. Pour Mackinder, il est possible de dominer le monde à condition de trouver le bon point de bascule géographique agissant comme un véritable « pivot » historique.

Ce pivot géographique, c’est l’Eurasie. Comme l’explique Florian Louis :

« … on aurait tort de croire que, parce qu’elle est plus développée, l’Europe occidentale est la région stratégiquement la plus cruciale de l’Ancien monde. Car, en fait, sa configuration actuelle n’est jamais que la résultante de la pression exercée par les peuples des steppes eurasiatiques, région qui constitue le véritable cœur du monde (heart-land).1 »

« Qui règne sur l’Europe orientale règne sur la terre centrale. Qui règne sur la terre centrale règne sur l’île mondiale (comprendre le vaste espace continental comprenant l’Europe, l’Asie et l’Afrique). Qui règne sur l’île mondiale règne sur le monde2. »

Empêcher la constitution d’une vaste puissance terrestre eurasiatique devient un impératif pour préserver l’équilibre planétaire, ce que les puissances maritimes, en particulier les États-Unis et la Grande-Bretagne ont à cœur de faire. Mackinder a influencé beaucoup de penseurs de guerre froide, et en premier lieu Zbigniew Brzeziński.

Diviser pour mieux régner

La grille d’analyse simplifiée anti-eurasiatique peut expliquer l’attitude américaine face à la Russie, pendant et après la guerre froide, notamment en ce qui concerne l’OTAN. Alors que l’Union soviétique s’effondre, les États-Unis renoncent à démanteler l’OTAN, pourtant essentiellement constituée en Europe pour combattre l’Union soviétique.

Pire encore, les Américains reviennent sur la promesse faite à Gorbatchev de ne pas étendre l’alliance atlantique pour intégrer en 1999 la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. Fédérer les anciens pays de l’est, se rapprocher de la Chine, tout concorde pour éviter la constitution du bloc eurasiatique. Pourtant, depuis maintenant une décennie, et malgré la politique étrangère volontariste de Washington, il est en train de se dessiner très concrètement, non seulement au détriment de l’Europe, mais de toutes les démocraties à travers le monde.

Vladimir Poutine a en effet opéré un tournant stratégique en se rapprochant de la Chine. Comme Nixon l’avait fait pour diminuer l’influence de l’URSS, Poutine marche main dans la main avec Pékin pour abaisser l’influence des États-Unis dans le monde. La Russie parle le même langage que la Chine.

Les deux sont indifférents aux droits de l’Homme et à la démocratie, ne raisonnant qu’en termes d’intérêts nationaux et stratégiques, et sont capables de mettre de côté momentanément leur rivalité en particulier en extrême orient pour se soustraire à une influence américaine jugée trop invasive3.

Dernièrement, la Russie a multiplié les initiatives pour la rendre plus résistante aux tensions économiques venues de l’extérieur, en particulier dans le secteur bancaire et financier.

Comme le note David Teurtrie, chercheur à l’Inalco et spécialiste de la Russie :

« La part du dollar a chuté dans les réserves de la banque centrale. Une carte de paiement nationale, Mir, se trouve aujourd’hui dans le porte-monnaie de 87 % de la population. Et, si les États-Unis mettaient à exécution leur menace de déconnecter la Russie du système occidental Swift, comme ils l’ont fait pour l’Iran en 2012 et 2018, les transferts financiers entre banques et entreprises pourraient désormais s’effectuer par une messagerie locale4. »

En d’autres termes, la Russie organise son indépendance vis-à-vis de Washington, en se donnant les moyens de résister à toute forme de sanctions diplomatiques et économiques futures. C’est donc aussi une manière de désarmer l’Europe qui privilégie ce type de moyen aux conflits armés.

Du point de vue libéral se dessine un dilemme, celui de la liberté ou de la paix. La constitution d’un bloc autour de la Russie et surtout de la Chine pour peser sur les relations internationales risque fort d’amoindrir la démocratie comme modèle politique, et plus généralement la liberté individuelle dans le monde. Elle a d’ailleurs déjà reculé dans divers endroits du monde, en commençant par Hong Kong. De l’autre, l’escalade vers la guerre poussée par les esprits les plus atlantistes semble sous-estimer la catastrophe humaine, mais aussi pour le monde libre qu’un tel conflit pourrait avoir.

Dans les deux cas, ce sont deux conceptions de la puissance et de la liberté qui sont en jeu. L’existence concrète de la liberté dans le monde peut-elle se passer du bouclier américain, et qu’est ce qui peut garantir que ledit bouclier, au nom de la tyrannie russe, ne dégénère pas en empire tout menaçant pour la liberté ?

  1. Florian Louis, Les grands théoriciens de la géopolitique, PUF, 2014, p.54.
  2. Cité in Raymond Aron, Paix et Guerre entre les nations, Calmann-Lévy, 1962.
  3. Robert D. Kaplan, La revanche de la géographie. Ce que les cartes nous disent des conflits à venir, édition du Toucan, 2012, 2014.
  4. David Teurtrie, ‘Ukraine, pourquoi la crise’, in Le Monde diplomatique, février 2022.
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  • Merci à M. Frédéric Mas pour cette belle et pertinente analyse. De mon séjour à l’école militaire à Paris, j’ai gardé en mémoire un point au sujet de la Chine. On nous avait posé la question: « Vous pensez que les Chinois planifient à combien d’années à l’avance? Et bien la réponse m’avait laissé pantois: 600 ans. Alors les gesticulations grotesques de nos politiques, qui n’ont qu’une vision de 4 à 5 ans pour une éventuelle réélection me font rigoler.

    • Dans ce cas ils ne sont pas doués. La Chine a été essentiellement asservie à la fin du 19 ième siècle. L’origine en est la fermeture de la Chine de la dynastie Ming date autour de 1500, soit 400 ans seulement, ils l’avaient pas prévu hein?
      La Chine se croit supérieure aux autres, capable de vivre en autarcie car ce sont les meilleurs. Et je pense que le covid vient de pousser les dirigeants chinois à se replier justement. Si cela s’installe (et avec Xi qui veut rester cela semble probable), alors la croissance de la Chine va diminuer par rapport au reste du monde. La démographie n’est plus aussi favorable qu’avant, le nombre ne suffira pas à compenser.
      Quand les dirigeants ne sont même pas capables de voir la crise des retraites avec l’enfant unique 50 ans à l’avance, c’en est drôle de dire qu’ils sont capables de voir à 600 ans.

    • Leur vision a même considérablement réduit, Macron s’en soucie seulement 2 mois avant et va multiplier les annonces « dans le vent » !

    • Quand on connait les soubresauts meurtrier de la chine, l’affirmation des 600 ans est plutôt amusante. Le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat des chinois est plus bas qu’en Irak. C’est le nombre d’habitant qui fait illusion.

  • Merci pour toute ces informations qui permettent de mieux comprendre ce qui est jeu. La dernière phrase est particulièrement vraie.
    En tous cas, en ce moment, chaque fois que j’entends les Américains dirent qu’ils voient ceci ou cela aux portes de l’Ukraine, je ne peux m’empêcher de repenser aux « armes de destruction massives » qu’ils ont déjà fantasmées par le passé.

  • « le droit libéral des peuples à l’autodétermination ne fait pas partie du lexique russe quand les peuples sont à proximité. ». Ce droit fait-il partie du lexique américain ? On se souvient que les États-Unis étaient prêts à déclancher l guerre nucléaire suite à l’installation de missiles soviétiques à Cuba… Sans parler des renversements des régimes qui remettaient en cause l’hégémonie américaine en Amérique Latine. Cela s’appelle la doctrine Monroe, je crois.

  • Merci au « grandissime » Obama d’avoir méprisé et humilié Poutine et les russes et aujourd’hui à Biden de jouer avec le feu. On voit le résultat!

  • Pouvoirs forts contre Démocraties molles……

  • Je ne sais pas quel est le « réalisme de Poutine », mais il est certainement plus déterminé que celui de Biden ou de Macron, ainsi que celui de Xi.

    Ce dernier (Xi) va probablement profiter de la situation pour avancer ses propres pions.

    Au final, les présidents Bourgeois de France, d’Allemagne et des US n’auront plus qu’à se présenter à Moscou avec une corde au cou. Mais il ne le feront pas sous les caméras ou plutôt les médias retoucheront les images pour gommer la corde.

    Gaz, Covid, écologie et amateurisme ne font pas bon ménage…

  • Contrepoints nous a habitués à des points de vue plus équilibrés.
    Cet article, surprenant de la part d’un français, se fait bien l’écho du souci britannique multiséculaire de faire échec à la puissance continentale la plus forte, et à la Russie sur la route des Indes (« Great Game »).

    Il présuppose, et c’est un parti pris, les ambitions hégémoniques de la Russie moderne.

    Cette dernière n’est pas dominante, et ne peut gagner une guerre ni avec l’occident ni avec la Chine, qui tous deux ne refuseraient pas le dépeçage de la Fédération Russe. Occasion manquée il y a 20 ans, en bonne part comme conséquence des politiques menées par l’état russe au XXIeme siècle.

    Faire la sourde oreille aux demande russes d’un glacis protecteur tout en les accusant d’être des très méchants est une politique a courte vue, qui ne sert pas les intérêts des peuples européens.

  • La Russie anéantie après la chute du communisme a fait une spectaculaire remontée économique sous la direction de Poutine qui a construit nombre de gazoducs pour commercer en paix avec l’Europe. Il a probablement cru au mythe du camp du bien attaché à la liberté de commerce et au droit international.
    .
    Jusqu’à que les Américains à l’économie pourrie par l’argent gratuit et un deepstate de plus en plus corrompu soient en train de perdre le leadership mondial pour cause de nombreuses violations du droit international et utilisation agressive du dollar qui ont fatigué tout le monde en plus des leçons de morale et de démocratie à coup de bombes.
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    N’inversons pas causes et conséquences, d’abord les agressions, insultes, manipulations et sanctions américaines, ensuite la dé-dollarisation chinoise et rapprochement récent avec la chine qui est un « allié » problématique pour la Russie.
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    Le but de cette nouvelle poussée guerrière des Américains est d’affaiblir la Russie et le couple économique UE+Russie en plus de vendre des armes aux nouveaux « alliés ». 40% du gaz allemand et 26% du gaz français vient de la Russie, les européens ont tout à perdre les américains ont tout à gagner.
    Du moins sur le court terme, parce qu’ils font tout pour créer et renforcer un axe euro-asiatique puissant. Les Américains semblent préférer une guerre mondiale pas forcément gagnante à la perte de leur hégémonie.
    .
    Les élites « intellectuelles » et politiques de l’UE semblent acharnées à tuer leur propre pays, d’abord avec les stupides politiques « vertes », les stupides politiques keynésiennes, la stupide régulation proto-soviétique d’une UE avec 0% de démocratie, et maintenant une guerre au moins froide avec leur principal fournisseur d’énergie gazière alors qu’ils n’ont plus que des armées ridicules.
    .
    L’Ukraine est 117ème pour la corruption, 118ème au PIB par habitant, ils vivent déjà sous une autocratie agressive envers les minorités, et rien dans l’attitude de Poutine ne démontre autre chose qu’avoir des frontières stables et des voisins aimables.
    .
    Principe de Halon: plus personne si ce n’est l’imbécilité et l’incompétence ne gouverne réellement en Europe et aux USA et tous les fondamentaux de droits et de libertés sont en danger.
    J’aimerais être certain que nous soyons du bon côté du rideau de fer cette fois-ci.

  • La politique étrangère des États-Unis n’est guère plus « morale » que celles de puissances moins ou pas démocratiques et « Dear Henry » [Kissinger] est très bien placé pour le savoir : simplement, les régimes démocratiques doivent « mettre les formes » et, parfois, renoncer à certains actes que les électeurs pourraient durement sanctionner.
    Pour autant, il ne faut pas perdre de vue l’hubris (la démesure) qui constitue une tentation d’autant plus forte pour les États-Unis que l’effondrement de l’empire soviétique leur a donné le sentiment, parfois fondé, surtout dans les années 1990, qu’ils n’avaient plus de rival à leur taille et qu’ils allaient pouvoir réorganiser le Monde à leur guise : l’invasion de l’Irak en 2003 en constitua un exemple emblématique, la tentative d’expulser totalement la Russie de la Méditerranée en la privant de son unique point d’appui en Syrie en est un autre ; sauf que M. Poutine ne se laissa pas faire : et comme il écoute ses orientalistes compétents et non des zozos incompétents comme Bernard-Henri Lévy, il réussit remarquablement.
    On évoque une sorte d’alliance antidémocratique sino-russe. S’il est indiscutable que ces régimes ne sont pas des parangons de démocratie, surtout la Chine qui combine de façon parfois effrayante de traditionnels objectifs liberticides avec une grande maîtrise des outils (en particulier informatiques) les plus modernes, je suis sceptique en ce qui concerne la stabilité d’une alliance sino-russe tant il existe, depuis au moins deux siècles, des oppositions géopolitiques fondamentales et constantes entre ces deux empires.
    À mon avis, il s’agit plutôt d’une convergence d’un certain nombre d’intérêts qui masque ces oppositions. Pour le moment, en raison de l’hubris des États-Unis et du suivisme aveugle des pays européens otano-lobotomisés, il n’existe pas de réelle alternative pour la Russie qui est ainsi « poussée dans les bras de la Chine » en raison de l’ostracisme des « Occidentaux ».
    Or la Russie, si elle représente assurément un danger potentiel pour ses voisins proches, notamment les pays baltes, est et reste pour la France d’abord et avant tout un interlocuteur incontournable, souvent complémentaire de notre pays sur le plan économique, avec lequel on peut quelque peu contrer les empires étasunien et chinois qui sont actuellement les seules et vraies superpuissances sur terre. Ainsi, le rapprochement de la Russie avec la Chine résulte moins d’un tropisme sinophile de M. Poutine que de l’absence d’alternative dans sa politique étrangère vue la sottise de notre politique russophobe. En réalité, il faudrait simplement être pragmatique (mais évidemment pas naïf vis-à-vis de M. Poutine) : la Russie est une grande puissance militaire mais sa situation économique reste peu brillante (par exemple, elle continue de dépendre massivement de l’exportation de matières premières) et sa situation démographique est mauvaise depuis des décennies et représente un grave handicap ; ainsi, des millions de Chinois s’installent plus ou moins légalement en Sibérie, immense territoire sous-peuplé, ce qui constitue de facto une revanche sur les traités inégaux du XIXe siècle et un sérieux péril pour le contrôle de cette région par la Russie.
    Peut-on donc croire sérieusement qu’un dirigeant russe ayant le sens des intérêts essentiels de son pays soit partisan d’une alliance plus ou moins permanente avec la Chine, « partenaire » beaucoup plus puissant ? Mutadis mutandis, cette relation évoque pour moi le pacte germano-soviétique de 1939 dont chacun des signataires avait des arrières-pensées très opposées à celles de l’autre sur le moyen et le long terme.
    Bref, à condition de sortir d’une « logique de blocs », à laquelle De Gaulle fut toujours à juste titre opposé, il y a mieux à faire en politique étrangère vis-à-vis de la Russie. À condition de ne pas se laisser abuser par la propagande otano-étasunienne et à son relais par l’UE, de même que, au XVIe et au XVIIe siècles, nos grands hommes d’État ne furent pas dupes des idées propagées par les empires habsbourgeois, voire par la Papauté lorsque celle-ci était à la merci de leur puissance, surtout celle de l’Espagne.

  • Ouais, tout ça c’est tres bien mais les usa sont à la manœuvre pour garder leur suppremacie sur le monde occidental .. On est à 100% ses esclaves… Et ils n’hésiteront pas à nous sacrifier… Ukraine, ça n’a aucun sens, issue d’un coup d’état qu’on pourrait colorer comme les autres avec la Cia à la manœuvre… Mais ils ont raison d’avoir peur de la Russie et de la Chine et de 80% de l’humanité, les usa, y en a marre.

  • Poutine utilise les techniques de Biden et des autres présidents US, pour déstabiliser ses adversaires, il a remis les pendules à l’heures, qu’ils suppriment le N° SWIFT, la Russie n’en a rien a faire, c’est elle le fournisseur de gaz et de matières premières pour l’Europe inclus les pays baltes, l’Ukraine, la Chine et bien d’autres. Au sujet du SWIFT, il n’y a pas que l’Iran qui en a été victime, l’Italie en a été victime, lorsque Berlusconi voulait sortir de l’euro, a la demande de certains pays de la zone euro. La France va devoir quitté le Mali, elle sera remplacé par le groupe Wagner qui est très efficace.

  • ce sont 180 0000 soviétiques qui meurent, dont un million de civils à corriger à mon humble avis

  • La fin des libertés individuelles…
    faut-il aller voir plus loin que chez nous

    -1
    • @greenerpasture : allez vivre en Chine ou en Russie et vous pourrez constater la différence avec le niveau de liberté en France.
      Bien évidemment, tout n’est pas parfait en France ni dans les autres régimes démocratiques, d’autant plus qu’un des principes fondamentaux est rechercher le moins mauvais équilibre possible entre liberté individuelle et liberté des autres/intérêt général : pour prendre un exemple simple, on nous interdit d’écouter de la musique à tue-tête après 22h00 au nom du droit de nos voisins à la tranquilité.
      Affirmer qu’il n’y a plus de liberté en France qu’en Chine ou en Russie, c’est – même si vous n’en êtes pas conscient – reprendre la vieille et infâme propagande du parti communiste français qui affirmait que la situation des libertés n’étant pas parfaite en France et dans les  » démocraties bourgeoises « , on ne doit pas critiquer l’état des libertés dans les  » démocraties populaires « , lesquelles garantissent en outre d’autres libertés, sont plus libres, etc.
      Une telle position est inadmissible : elle est le fait d’enfants gâtés de la démocratie qui ne font pas l’effort minimal de distinguer l’imperfection des régimes démocratiques de l’oppression qui se pratique ailleurs, notamment en Chine et en Russie. C’est une attitude irresponsable car contribuant à saper les bases de nos démocraties. Il est par contre constructif – mais fatigant – de s’exprimer constructivement, voire d’essayer d’agir pour améliorer la situation.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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