Pénuries : quand la guerre révèle des évidences

La guerre en Ukraine est venue brutalement perturber les échanges avec des répercussions prévisibles au niveau mondial créant des pénuries.

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Pénuries : quand la guerre révèle des évidences

Publié le 15 avril 2022
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La progression exponentielle de la mondialisation avait jusqu’à présent tenu ses promesses. Les pays riches pouvaient acheter dans les pays émergents des denrées à des prix plus avantageux et les pays émergents trouvaient en ces clients riches un marché qui apportait de l’emploi et une amélioration de leurs revenus.

Tout ceci avec la bénédiction (la stimulation intéressée) des lobbies du pétrole et des transports. Pour des raisons de gestion économique pointues, on a supprimé les stocks de marchandises immobilisés grevant le résultat financier. Par le jeu d’Internet et de transports performants, on commande et on est livrés à J+1, les stocks sont au plus juste dans le fret de transport.

Toute cette belle mécanique fonctionne tant qu’aucun couac ne vient gripper la machine. Les échanges, qu’ils soient conjugaux, nationaux ou internationaux ne peuvent fonctionner que si les partenaires trouvent davantage d’intérêts à les maintenir que d’opportunités à les rompre.

Plus le nombre de partenaires impliqués dans un deal est grand, plus la pérennité des échanges est fragile. C’est ainsi qu’on se rend compte que l’indépendance économique d’un pays dépend de sa prévoyance à pourvoir aux besoins de ses citoyens à court, moyen et long terme.

La guerre en Ukraine est venue brutalement perturber les échanges avec des répercussions prévisibles au niveau mondial.

La courte vue des Verts allemands

Se poser la question de savoir si les écolos allemands ont raison ou tort d’être opposés au nucléaire ne résout rien. Mais nous sommes bien obligés de constater qu’ils ont été aveuglés par leur idéologie au point d’oublier d’étudier la prospective de leurs décisions de fermer leurs centrales nucléaires. Par le caractère aléatoire de la fourniture d’électricité par l’éolien et le photovoltaïque, ils n’ont pas prévu la dépendance au besoin de gaz pour pallier la carence de régularité de ces énergies renouvelables.

L’approvisionnement de cette énergie provenant directement de Russie et d’Ukraine, les Allemands ne peuvent décider d’un embargo rapide et efficace envers ces pays pour tenter d’arrêter la guerre. La majorité des pays constituent des stocks de sécurité d’énergie qui couvrent plusieurs mois de consommation pour éviter une catastrophe économique et sociale. En Allemagne, pas de stock entre le gaz de Nordstream2 et la gazinière de la ménagère. Le pays, prisonnier de l’approvisionnement en gaz pour alimenter les centrales électriques serait paralysé par un embargo brutal et total. Le président russe peut donc décider de faire payer ce gaz en roubles, de le rationner, de le couper et d’en augmenter le prix selon son bon vouloir.

La valse-hésitation de l’embargo occidental

Il est certain que chaque achat d’énergie ou de produits importés de Russie finance sa capacité guerrière destructrice. Les gouvernements des pays membres de l’OTAN ont opté pour des embargos progressifs, bien conscients que l’absence de stocks précités placerait les populations dans des conditions intenables. On en voit déjà les effets par les pénuries de certains produits provoqués par les achats de précaution des consommateurs. Et pendant ce temps, les transactions commerciales perdurent et leur financement continue de permettre une pluie de bombes sur l’Ukraine.

Le pire est à venir

Quand on regarde l’importance des deux pays en conflit dans l’exportation de céréales, et sachant que plus aucun navire ne peut partir d’Ukraine en mer Noire pour aller approvisionner les acheteurs habituels, on ne peut qu’espérer un règlement rapide du conflit.

 

Cependant, les effets délétères se font déjà sentir en France.

Entre 2020 et mars 2022, les prix de l’ammonitrate (engrais azoté) ont augmenté de 380 %, des phosphates de 208 % et de la potasse de 167 %. Le prix des carburants a suivi le même chemin dans des proportions moindres que chaque citoyen connait bien. L’approvisionnement en engrais azotés, nécessaires pour assurer des rendements corrects et une qualité panifiable des blés, est déjà fortement perturbé. Nombre d’agriculteurs ne peuvent couvrir leurs besoins pour la récolte en cours. Certains se demandent si des semis de maïs pourront être rentabilisés si les prix du gaz et du mazout nécessaires au séchage des grains à la récolte ne reviennent pas d’ici-là à un niveau raisonnable. Les éleveurs, notamment en volailles et en porcs sont déjà impactés par la hausse des prix des aliments issus des céréales qui se raréfient.

Une mise en application brutale des vœux des écologistes

La rupture brutale d’approvisionnement en engrais chimiques va impacter drastiquement à la baisse les rendements des récoltes. Les prix déraisonnablement élevés des intrants, dont les phytos, vont également dégrader la protection des récoltes et impacter encore à la baisse les rendements, voire les annuler en cas de météo défavorable. Les conséquences de la guerre en Ukraine mettent en œuvre rapidement et brutalement ce que les écologistes demandent avec conviction et persévérance : supprimer les engrais chimiques, les phytos de synthèse et revenir à des pratiques culturales du début du siècle dernier.

On peut faire confiance à leur expertise : lors du sabotage du train de céréales dans le Morbihan le 19 mars dernier, un groupe d’opposants aux fermes industrielles, soutenu par Extinction Rébellion a déversé sur la voie près de 1500 tonnes de blé, soit l’équivalent de 6 millions de baguettes de pain. Pour leur défense, ils prétendaient agir contre du soja OGM d’importation. Cependant, lorsqu’ils ont ouvert la première vanne, ils n’ont même pas su faire la différence entre des graines de soja et des grains de blé et ont gaspillé la totalité de la rame. Et ce genre d’individus veut imposer sa vision écologique de l’agriculture !

La guerre en Ukraine a ouvert les yeux de l’Union européenne

Les ministres des 27 pays ont donné leur accord aux propositions de la commission européenne pour assurer la sécurité alimentaire de l’UE. Des dérogations aux obligations de verdissement (jachères) seront permises pour produire notamment des protéagineux. Cependant, les jachères ne représentent guère que 4 % des surfaces cultivées, et sont souvent situées sur les plus mauvaises terres. Cette décision n’aura que peu d’impact pour améliorer notre indépendance alimentaire.

Plus significative, la décision sur le projet de règlement sur les pesticides est reportée, au grand dam des ONG écologistes qui veulent obliger l’UE à respecter ses engagements antérieurs et à s’éloigner du modèle agricole actuel et de sa dépendance aux intrants. Nos dirigeant européens auraient-ils compris que nourrir les populations est plus impératif que protéger des papillons et des insectes dans des jachères fleuries ?

Des conséquences à l’échelon mondial

La part importante que prennent la Russie et l’Ukraine dans la production mondiale de céréales, de tournesol, de gaz et de pétrole vont déstabiliser les échanges mondiaux avec des conséquences en chaîne. La pénurie de denrées alimentaires produira des émeutes de la faim comme en 2008 dans de très nombreux pays, les plus dépendants étant ceux du pourtour méditerranéen. Nous risquons donc d’assister à une vague migratoire considérable que nos économies fragilisées ne pourront absorber. L’augmentation du prix des énergies va enchérir et compliquer le transport des marchandises autour du globe, entraînant des pénuries qui toucheront d’autres types de produits que les denrées alimentaires.

 

Quand la Russie et l’Ukraine vendent 85% de l’huile de tournesol consommée sur la planète, et certains pays sont majoritairement dépendants pour les céréales,

 

Il est donc absolument nécessaire de trouver rapidement des solutions pour mettre fin à cette guerre fratricide, car si dès cette année la production agricole des deux belligérants est compromise, laisser perdurer cette situation serait catastrophique, non seulement pour les dégâts aux infrastructures mais surtout pour les atrocités subies par les populations et les famines induites de par le monde.

Les conséquences sur l’équilibre économique et social du monde, déjà considérables, seraient difficilement neutralisables sans compter la menace nucléaire soulevée par le Président Russe.

 

Article modifié le 15/04/2022 à 9h35.

Voir les commentaires (8)

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  • Toujours dans l’ambiguïté…
    Il faudrait choisir une bonne fois pour toutes. Ou bien la mondialisation est une bonne chose, qui contribue au confort de vie de chacun, et elle mérite d’être préservée et protégée, ou bien c’est une mauvaise chose, qui nous rend interdépendants entre gens qui préféreraient s’affronter, et elle devrait être refusée dès le départ. Les écolos la refusent, grand bien leur fasse, chacun doit être conscient toutefois que le soutien aux écolos signifie le renoncement total et sans recours à son confort de vie. Qu’il choisisse en connaissance de cause et ne vienne pas se plaindre.

  • « Plus le nombre de partenaires impliqués dans un deal est grand, plus la pérennité des échanges est fragile.  »
    C’est une vision anti-mondialisation très classique.
    Quand vous avez bcp de partenaires impliqués dans un deal, cela rend également possible de plus nombreuses possibilités de trouver d’autres solutions et échanges possibles quand un partenaire est mis hors-jeu.

    • Oui je voulais réagir aussi sur cette phrase totalement à côté de la plaque, tandis que l’article est assez intéressant sur le reste.
      Il est assez logique au contraire que plus il y a de parties prenantes, plus c’est pérenne, la multiplicité et la diversité ajoutant de la résilience à l’ensemble, et sa grosse masse lui conférant plus d’inertie qu’un deal à deux sur un coin de table.

  • « … déversé sur la voie près de 1500 tonnes de blé, soit l’équivalent de 6 millions de baguettes de pain. Pour leur défense, ils prétendaient agir contre du soja OGM … »

    C’est marrant de créer des pénuries locales de pain … parce qu’un écolo n’est pas capable de faire la différence entre du « soja OGM » et du blé !

    Si on ne condamne plus pénalement les exactions en France, peut-être faudrait-il condamner la stupidité. Mais il faudrait bien sûr créer de nombreuses prisons de luxe pour « élites ».

    • « condamner la stupidité »: vaste programme aurait dit l’autre.

      • @mc2
        «Allez, allez, en prison ! En prison pour médiocrité.» [le roi Ferrante, Acte III]. Réplique tirée de La Reine morte (Montherland).
        Voilà qui s’applique parfaitement aux escrologistes, peu ragoûtant mélange de fanatiques gauchistes (les fameuses « pastèques », vertes à l’extérieur mais rouges à l’intérieur), d’ignorants des réalités les plus élémentaires, notamment économiques, et non pas de joyeux mais de tristes illuminés symbolisés par les ineptes couinements de Greta la Gourette, fille spirituelles du pénible prophète Philippulus (cf. l’album de Tintin intitulé « L’Étoile mystérieuse »)…

        Et delenda est escrologia !

    • Mais les barreaux de ces prisons devront bien être visibles…

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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