Ce que nous apprend la théorie des jeux sur l’Ukraine

L’invasion russe de l’Ukraine rend à nouveau pertinente la théorie des jeux pour expliquer le risque d’escalade.

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Ce que nous apprend la théorie des jeux sur l’Ukraine

Publié le 31 mars 2022
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Par Sergio Beraldo.
Un article de l’IREF Europe

Il y a environ 60 ans, le lauréat du prix Nobel Thomas Shelling a publié un livre intitulé La stratégie du conflit. Il avait été écrit pendant la guerre froide et reflétait les inquiétudes typiques de l’époque. Il examinait, entre autres, les chances qu’aurait l’humanité de limiter les dégâts en cas de confrontation militaire ouverte entre les États-Unis et l’Union soviétique.

Il y a quelques semaines encore, la contribution de Shelling semblait être une analyse obsolète des problèmes du XXe siècle. L’invasion russe de l’Ukraine l’a rendue à nouveau pertinente. En particulier, la littérature sur la théorie des jeux peut offrir des conseils sur la façon d’aborder certaines des préoccupations actuelles.

 

Une escalade du conflit est-elle envisageable ?

Comment les pays occidentaux doivent-ils interpréter la menace russe d’utiliser des armes nucléaires ? Les sanctions économiques sont-elles utiles ? Dans quelle mesure la Russie envisage-t-elle d’étendre son influence et son contrôle ?

Bien que toutes ces questions puissent être examinées à l’aide des outils fournis par la théorie des jeux, les paragraphes suivants se concentrent principalement sur une éventuelle escalade du conflit.

 

Théorie des jeux et mécanique d’escalade

Le raisonnement de la théorie des jeux conceptualise l’escalade comme un outil utilisé par les États pendant le marchandage de la guerre et de la paix. Le processus de négociation concerne une ressource faisant l’objet d’un litige (un morceau de terre, une ville, des otages, etc.). Dans le jeu, chaque joueur fait une proposition qui peut être soit acceptée soit rejetée par les autres. S’il n’y a que deux joueurs, l’acceptation conduit à la distribution des gains selon les termes détaillés dans la proposition même ; et le rejet, à la reprise du marchandage. Tous les joueurs souhaitent que leur proposition soit agréée. Chacun tente donc de concevoir un mécanisme qui la rende attrayante et augmente le coût du rejet.

La notion d’escalade est ici déterminante : un joueur cale et accepte l’offre de l’adversaire si continuer doit lui coûter plus cher que d’accepter. C’est le point de vue de Schelling : la peur de l’escalade est ce qui persuade un joueur de céder et de mettre fin au jeu.

La théorie de l’escalade de Lisa Carlson (Journal of Conflict Resolution, 1995) propose un point de vue différent en attirant l’attention sur le comportement des joueurs pendant la négociation. Dans cette optique, la tolérance aux coûts, c’est-à-dire le coût maximal qu’un joueur est prêt à supporter pour obtenir la satisfaction de ses demandes, joue un rôle clé.

Si l’information est complète et que chaque joueur connaît le seuil de tolérance de son ou de ses adversaires, l’issue du jeu est évidente : le joueur le plus timoré cède immédiatement. Si l’information est incomplète, les joueurs peuvent essayer de manipuler des signaux qui inciteront l’adversaire à ajuster son propre comportement. Un joueur montera soudainement en puissance pour donner l’impression que sa tolérance aux coûts est relativement élevée. Dans le cas du conflit ukrainien, les allusions russes à l’utilisation d’armes nucléaires pourraient en être un exemple. La théorie suggère que l’acteur qui tolère le moins les coûts a tendance à intensifier son action pendant la première période d’une crise ; et que l’escalade graduelle caractérise ceux qui disposent de ressources relativement importantes.

Dans la situation actuelle, l’OTAN et l’UE ne sont pas incitées à une escalade rapide, contrairement à la Fédération de Russie. Elles peuvent utiliser leur puissance économique pour imposer des sanctions de plus en plus strictes, ce qui est aussi une forme d’escalade. Les ripostes dont dispose le Kremlin sont limitées. Cela expliquerait pourquoi Moscou est susceptible d’intensifier les opérations militaires en Ukraine pour parvenir à ses fins le plus vite possible ou à restreindre ses objectifs pour s’adapter à ses moyens de réponse.

 

Qu’en est-il de la menace nucléaire ?

La Fédération de Russie sait que les futurs accords devront être agréés par le gouvernement ukrainien comme par le bloc occidental. La menace nucléaire pourrait alors être un moyen d’inciter l’Occident à accepter rapidement un compromis, et de désamorcer un risque non négligeable d’instabilité à Moscou. Mais cela pourrait aussi être vu comme un signe de faiblesse, et nous savons tous qu’acculer un adversaire dos au mur peut avoir des conséquences catastrophiques.

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  • Imposer des sanctions en façades et derrière payer le gaz en rouble c’est que feront les Européens. l’Ukraine c’est le pendant Russe du canal de Panama aux USA. Corruptions, trafics, massacre dans le Donbass, que sont devenus les 12 milliards donner par l’UE à l ‘Ukraine ?. Les Biden’s avait d’énorme intérêts en Ukraine, les négociations portent surtout sur leurs pertes financières de ses derniers

  • L’UE et les US ont déjà abattus toutes leurs cartes et pas les russes. Les russes sont loin d’être acculés et le temps joue pour eux. Les russes n’ont pas besoin de l’UE alors que l’inverse n’est pas vrai. On assiste à la fin de la domination du dollar et d’un modèle de développement. Les russes seront les premiers dans cette nouvelle ère. Pour le vieux continent il faudra encore beaucoup de temps pour s’y adapter.

  • Les jeux sont fait rien ne va plus, la roulette russe est tournée, pan, pas de chance, fallait pas jouer.
    Ces theories sont nulles, la vie ne se résume pas à une partie de poker, quoique, il n’y a jamais qu’un gagnant. Dans ce jeu, le russe n’a que des atouts, les autres joueurs ne peuvent que renoncer ou tout perdre… Quant à l’organisateur de la partie…. Aura t il assez de dollars de monopoly, ses dettes sont abyssales.. Et si le dollar n’est plus une obligation mondiale… La théorie des jeux lorsque les dés sont pipés par une pseudo suppremacie militaire… Z’ont pas gagné bcp de guerres les ricains… Une fois l’ue à terre….

  • Il y a un paramètre que cette théorie ne semble pas prendre en compte : l’adaptation de la Russie face aux sanctions ; ce qu’il s’est passé en 2008 (ou 2014 je ne me souviens plus) avec les sanctions sur l’agriculture.
    Et pour le moment, Swift étant nul en sanction, l’euro et le dollar sont les 2 éléments “important” comme sanction. Et si la Russie se concentrer dans d’autres monnaies et entrait dans une zone “économique” non sous contrôle du dollar et de l’euro ? C’est l’un des scenarios possibles, ce qui renforcera au contraire le pays, et diminuerait encore plus l’influence des US… Ils vont encore faire un caca nerveux ceux là si ça se passe comme ça 🙂

  • La tolérance au coups peut aussi évoluer dans le temps par effet de cliquet. Par exemple si les armes occidentales ont provoqué des pertes largement supérieures aux pertes jugées acceptables initialement, il y aura moins de réticence de la part des Russes a engager des armes plus efficaces en représailles, comme par exemple l’usage de grosses bombes thermobariques sur les défenses proches des villes. Une riposte de l’OTAN à cela pourrait emmener à une riposte de la Russie en dehors des frontières de l’Ukraine. Par effet de cliquet, je ne sais pas jusque ou ça peut nous emmener.

    Depuis une dizaine d’année, V.Poutine a investit sur son armée, principalement sur les moyens de lutter contre l’OTAN avec des armes conventionnelles (missiles hypersoniques capables de couler les portes avion américains ou traverser les boucliers antimissiles des bases de l’OTAN.
    Il a modernisé ses défenses antiaériennes de haute altitude sachant que celles qui sont obsolètes étaient déjà supérieures à ce dont dispose l’OTAN, du moins en vitesse et portée (la performance du guidage et détection est difficile a évaluer sans assister a une vraie confrontation. )
    En outre ses nouveaux missiles du système S500 sont capables de détruire les satellites. Il disposerait aussi de missiles antimissiles capables de détruire des planeurs hypersoniques, technologie d’armes que n’a pas encore l’OTAN. Pour résumer, il est probable que la russie ait le dessus sur l’OTAN en restant dans le domaine conventionnel (pas nucléaire)
    Enfin il a aussi mis a niveau son arsenal nucléaire (planeurs hypersoniques, missiles de croisière a propulsion nucléaire, torpille à propulsion nucléaire) afin de le rendre supérieur a celui de l’OTAN.
    Et il y a ce qu’on sait pas encore (et qu’il vaut mieux ne pas savoir…)

    Il y a peut être du bluff dans tout cela (surtout sur les capacités réelles et la précision des armes) , mais les russes sont connus pour ne pas forcemment beaucoup bluffer dans ce domaine.

    C’est dans ce contexte que la menace nucléaire “limitée aux interets vitaux de la russie” selon les russes doit être évaluée.

    Il faut donc intégrer tout cela dans l’analyse et ne pas sous estimer ce qui se passe. Le missile javelin semble être un “game changer” à l’échelle des tanks, il ne faudrait pas que à l’échelle supérieure, le missile kinjal, le S500 et toutes les nouvelles armes russe soient des “game changer”. Il est possible qu’il y ait “un trou dans la raquette de l’OTAN” au niveau de la guerre aérienne et spatiale de type conventionnel les forçant au niveau supérieur qui est la menace de l’arme atomique d’où la mise en garde des Russes!

  • Et pourtant c’est ce que l’occident a fait: acculer la Russie au mur
    La théorie des jeux c’est bien sauf quand il y a un autre élément à prendre en compte: le coût de restreindre ses objectifs: et pour la Russie ils sont extrêmes, c’est sa propre survie qui est en jeu
    William Pitt – 1er ministre anglais – avait refusé toute paix avec la France tant qu’elle possédait Anvers “ce pistolet braqué sur le coeur de l’Angleterre”, l’OTAN a voulu faire de l’Ukraine un pistolet braqué sur le coeur de la Russie ce qui ne pouvait que mal se finir comme quand l’UE a voulu que les Ukrainiens avaient inclus dans l’accord avec l’Ukraine que cette dernière mette fin à l location de Sebastopol par les Russes

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