Affaire Orpéa : les vilains petits modèles mentaux français

L’affaire Orpéa connaît un retentissement considérable. Elle donne surtout à la France l’occasion de se livrer à son sport favori, le bashing du profit.

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Affaire Orpéa : les vilains petits modèles mentaux français

Publié le 8 février 2022
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Dans un livre paru le 26 janvier, l’auteur et journaliste Victor Castanet accuse le leader européen des maisons de retraite Orpéa de maltraitance sur des résidents de ses établissements et de rationnement de soins et de fournitures médicales pour réduire les coûts.

L’affaire connaît un retentissement considérable. Elle donne surtout à la France l’occasion de se livrer à son sport favori, le bashing du profit. Car la cause semble être entendue : c’est sa recherche effrénée qui explique les maltraitantes dénoncées dans l’ouvrage. « Orpéa, les profits et le malaise », titre ainsi l’émission C dans l’air. Et si on allait un peu vite ?

On va peut-être un peu vite parce que si l’affaire Orpéa révèle la grave dérive d’une institution, rien ne montre que celle-ci soit le produit d’une recherche effrénée du profit. D’abord, parce qu’il existe de nombreuses entreprises privées dans le domaine médical qui sont à la fois bien gérées et respectueuses de leurs patients. Si ce n’était pas le cas, la France serait à feu et à sang.

Ensuite et surtout parce que les dérives institutionnelles ne concernent pas que les entreprises privées, loin s’en faut.

Ainsi, en 2017, l’Unef était éclaboussée par un scandale lorsque d’anciennes militantes dénonçaient les violences sexistes et sexuelles au sein de ce syndicat étudiant.

En 2018, Oxfam, une organisation à but non lucratif à l’impeccable pédigree, a reconnu des faits de harcèlement et d’intimidation par son équipe à Haïti qui a échangé ses services contre les faveurs de prostituées locales, souvent mineures et organisé des orgies.

En politique, mentionnons entre autres Nicolas Hulot, accusé d’agression sexuelle. Le monde politico-médiatique français connaissait l’affaire mais n’a rien dit durant des années.

L’Église n’est pas en reste : en 2021, la commission Sauvé révélait que, depuis 1950, au moins 216 000 personnes majeures ont été victimes d’abus sexuels par des membres du clergé en France.

L’institution militaire n’est pas épargnée non plus : on évoquera les massacres de Sétif et les tortures en Algérie pour l’Armée française, et l’infamie d’Abou Ghaïb où des militaires américains se livraient à des exactions sur les prisonniers irakiens.

Aucune de ces institutions n’est motivée par le profit, et toutes ont connu des dérives.

On peut s’opposer au profit, et estimer que la santé devrait être prise en charge par des établissements publics mais il est faux de dire que c’est la recherche de profit qui conduit à des dérives. La cause est plus profonde et elle pointe sur ce que ces institutions ont en commun.

Un risque qui pèse sur toute organisation

Ce que ces institutions ont en commun, c’est d’être composées d’humains. Or les humains sont faillibles. Les manquements éthiques et les dérives institutionnelles induites sont un risque que court toute organisation quelle que soit sa nature. Sans excuser les fautes individuelles, le vrai enjeu est celui de la gouvernance de l’institution. Le principal reproche fait à l’Église n’est ainsi pas tant les abus commis que le fait qu’ils aient pu perdurer aussi longtemps. C’est donc une faillite institutionnelle, et il est important d’en creuser les ressorts.

Pour le cas spécifique d’Orpéa, la question qui se pose est double : qu’est-ce qui explique que la gestion des centres ait été faite de façon aussi stupide et qu’elle se soit affranchie des considérations éthiques ? Car le rationnement des soins et des fournitures est bien une façon stupide de contrôler ses coûts, surtout si on se positionne comme un EHPAD haut de gamme. Dégrader la qualité de son produit est une stratégie suicidaire.

Le premier procès à faire aux dirigeants est celui de l’incompétence pratique. Au bout du compte, ce management qui se donne les apparences de la rationalité est fragile et surtout auto-destructeur, et c’est ce qu’est en train de vivre Orpéa.

Le second procès est celui d’une incompétence morale : ces dirigeants n’ont pas compris la clé de leur métier, qui est qu’il n’y a pas de profit durable sans un ancrage éthique. C’est ce qui distingue les managers à la vue basse, qui détruisent nos entreprises, des grands entrepreneurs et des grands dirigeants qui les construisent.

Naturellement, les deux considérations – pratique et morale – se rejoignent et sont inséparables. À rebours des caricatures, on ne fait pas long feu dans les affaires sans un ancrage éthique solide, et le profit est le produit de cet ancrage. Cela vaut pour le banquier comme le commerçant ou la maison de retraite. Il existe bien sûr des exceptions, certains s’en sortiront, mais pas tous, et la faillite financière et morale a été inventée pour en prendre soin.

Nos vilains modèles mentaux

Mais au-delà, la façon dont est traitée l’affaire Orpéa met en lumière nos biens vilains modèles mentaux nationaux.

Pour ma part, j’en distingue au moins trois :

Le premier est que la France n’aime pas les entreprises et s’en prend à elles à la première occasion, et l’affaire Orpéa en est une nouvelle preuve. Le mot profit reste moralement suspect, et le pistolet est dégainé à la moindre occasion.

Le second est que nous aimons les explications toutes faites. Plutôt que creuser les ressorts d’une situation, nous préférons y plaquer nos modèles mentaux. Ce faisant, nous inversons l’adage de Saint-Thomas : nous ne voulons voir que ce que nous croyons déjà. Cela traduit non seulement notre paresse intellectuelle, mais peut-être aussi le fait que nous vivons dans un âge idéologique. Il est toujours plus facile de tordre les faits pour confirmer nos croyances que d’examiner ces derniers pour en tirer des enseignements utiles.

Le troisième est que nous préférons chercher un coupable à une situation plutôt que d’essayer de la comprendre. C’est très pratique pour nous exonérer de notre aveuglement. Nous accusons le profit pour nous éviter de nous demander pourquoi ceux qui savaient n’ont rien dit, pourquoi des dirigeants se sont transformés en monstres par leur action, eux qui étaient sûrement de bons pères de famille par ailleurs. Hannah Arendt a, je crois, écrit des choses utiles à ce sujet, et elle ne s’était pas contentée d’écrire un tweet accusant le profit pour régler la question.

Un enjeu sociétal

Nous sommes prisonniers de modèles mentaux qui nous enferment dans des explications simplistes de problèmes complexes. Ces explications sont fausses mais elles nous satisfont. Elles nous empêchent de résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Il est urgent de changer de posture et faire l’effort de donner un sens sur une base raisonnée aux événements qui nous déconcertent et nous choquent. Cette base, c’est la mise en question systématique de nos modèles mentaux.

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  • « Nous préférons chercher un coupable à une situation plutôt que d’essayer de la comprendre. »
    Dans ces 3 modèles mentaux cités ce dernier est de loin le plus important et il est à l’origine des 2 autres.
    Les patrons, les riches, les élites, les politiques, les media, les étrangers, quand ce ne sont pas des ethnies particulières, … et c’est là que l’on s’aperçoit que ce mal est loin d’être nouveau, et n’est pas que français.

  • Je n’ai pas lu le livre, mais les faits sont-ils avérés? La justice nous le dira.. dans qq années, et si cette affaire n’est pas fondée, le mal sera fait quand même.

    • La lenteur de la Justice est un problème bien connu. D’ailleurs je me demande bien par quel miracle l’Etat, qui s’occupe si mal de sa justice, de son école ou de sa police, pourrait mieux s’occuper des vieux que des entreprises privées …
      Et puis ce n’est pas comme si les ARS n’étaient pas tout le temps sur le dos des EHPAD.

  • Le bénéfice d’ORPEA c’est 5% de son chiffre d’affaire, ses frais de personnel 50% du chiffre d’affaire. Renoncer à tout bénéfice ne permettrait donc de dégager que 10% de personnel en plus et à condition de ne pas être plus généreux avec le personnel. Il est donc bien évident que cela ne changerait pas fondamentalement le problème.

    • Tout à fait !

      J’ai aussi entendu que l’on « nourrissait » le résidents pour 5 euros par jour ? Dans ce cas, en renonçant aux bénéfices, on pourrait les nourrir pour 5 euros et 25 centimes !

      5% n’est rien par rapport à ce que change une bonne ou une mauvaise gestion. En revanche le moins qu’on puisse dire est que le management du groupe a été très mauvais dans la communication et la gestion de l’image de la société et je vois mal comment il vont s’en relever.

      Maintenant, un problème de fond est qu’une société privée ne peut pas (contrairement à une administration) enregistrer des pertes à causes de contraintes externes (augmentation des coûts exceptionnelle) et doit compenser sur d’autres postes de dépenses. C’est là le danger d’une gestion privée au pays du « quoi-qu’il-en coûte » politicien.

      Imaginons que demain des constructeurs automobiles ou des compagnies aériennes fassent des impasses sur la sécurité pour rétablir leur bilan et l’adapter au « quoi qu’il en coûte » … Alors on fait quoi ? On nationalise tout ou on arrête les c… pour redonner un peu de marge et de visibilité aux [vraies] entreprises ?

      • Afin de maintenir l’hôpital publique à budget constant, on a décidé de limiter ses frais donc son volume de prestations en bloquant les activités de l’ensemble de l’économie privée par des confinements directs ou indirects.

        Mais là, personne ne semble voir le problème de gestion.

      • Le problème n’est pas financier. Il est que l’aide-soignante qui se donne de la peine pour améliorer dans la mesure de ses moyens le confort et la vie de « ses » vieux et celle qui est pressée de finir de les torcher pour rentrer chez elle ont exactement les mêmes perspectives d’avancement et de salaire, voire de meilleures pour la seconde. Ca n’est pas privé contre public, c’est procédural contre bon sens.

        • @MichelO
          C’est sur : l’état est généreux avec ceux qui crient le plus fort. Malheur à ceux qui font un métier par vocation : les pompiers et les infirmières.
          Le salaire minimum d’un éboueur à New York s’élève à 33 746 $ par an.

    • maison de retraite privée..si vous n’en voulez pas n’achetez pas!!!

      tous les pignoufs qui couinent peuvent faire la même chose que ceux ^qu couinent contre les profits des supermarchés; ouvrir leur propre maison de retraite..où les employés sont nombreux , bien payés, le confort excellent;.. où on ne lésine sur RIEN…

      on a des communes qui payent pour une épicerie…qui ne vit pas de ses clients.. et ne fait pas de profit… irréprochable donc..

  • Il faudrait quand même creuser un peu.. les murs n appartiennent pas aux société exploitantes mais à des investisseurs particuliers qui les louent en LMNP ensuite par bail commercial ,donc dune durée minimale de 9ans .Pour appâter l investisseur , généralement les rentabilités promises sont juteuses et on leur dit vous êtes protégés par la législation sur les baux commerciaux , sauf que ce n’est pas une protection c’est le piège …Quand arrive le renouvellement il ya longtemps que le promoteur, lui ,a pris son profit et il est temps que l’exploitant sert le cou des investisseurs en leur disant faut baisser le loyer qui est trop cher et généralement ils n ont pas le choix ,car 9 fois sur 10 , une clause leur interdit de continuer l’exploitation d un même fonds de commerce , en cas. de refus.. et de rupture du baiL .Ce que l’on ne sait pas c’est quil existe aussi des numerus clausus pour la construction de tels établissements et on a vu des maires peu scrupuleux accorder une nouvelle autorisation au promoteur ( marié à l’exploitant ) qui ,lui , laisse tomber les investisseurs du projet ayant fonctionné pendant 9 ans, lesquels, se retrouvent avec un immeuble vide bon pour la casse … Ensuite il faudrait examiner avec attention les salaires de Direction versés à des gens qui sont trop souvent d’anciens politiques ou amis de politiques sans compétence particulière. bref il ya de tout dans ce domaine ,mais ,les abus existent par ce que l’Administration et les politiques y ont aidé . c’est vieux comme le lmonde ,aprés tout,dans les années 70, Mr Rives Henry ,personnage influent de l’époque a bien ruiné les épargnants de la Garantie Foncière, ( l’ancêtre des SCPI )faute de contrôle ou même de savoir lire un bilan….

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